Libéré et revenu à Paris, Pouget s’occupa de représentation. Il fit la place pour la librairie. En même temps, il reprenait sa propagande.
En 1889, au moment de l’élection de Boulanger, il fonda le Père Peinard.
Les tout-jeunes d’aujourd’hui ne savent pas ce que fut le Père Peinard. Mais d’autres se souviennent. C’était en quelque sorte une résurrection du Père Duchesne, rajeuni et modernisé. Pouget y faisait parler un cordonnier, un gniaf. Les cordonniers d’ailleurs constituent la corporation la plus révolutionnaire et ont toujours fourni de nombreux militants.
Rédigé dans un style, à dessein populacier, mais plein de verve mordante et d’aperçus originaux, le Père Peinard en disait de rudes à la bourgeoisie de son époque. La réflexion que nous faisions plus haut à l’occasion de la brochure A l’armée, s’impose de nouveau. Aujourd’hui, il est absolument impossible d’écrire, même dans un style correct, la moitié de ce qu’écrivait Pouget dans son Père Peinard.
Il faut feuilleter la collection du Père Peinard pour se rendre compte du courage et de la hardiesse de son rédacteur. Au début, le Père Peinard était tout petit, minuscule ; c’était une brochure dans le genre de la « Lanterne de Bocquillon ». Plus tard, il se transforma en journal. Il y eut, d’ailleurs, plusieurs éditions différentes. La publication, sans cesse poursuivie, tracassée, se transformait pour échapper à la police, mais continuait son chemin quand même.
En 1894, Pouget est de nouveau poursuivi. C’était le commencement des hostilités, les bombes, les emprisonnements, les condamnations. Époque inouïe, où toutes les fractions du parti socialiste croyaient la Révolution prochaine et luttaient ardemment, selon leurs moyens et leurs conceptions. Mais les anarchistes se distinguaient au premier rang. Ils marchaient à l’avant-garde, avec une ardeur et un désintéressement qu’on ne reverra pas de sitôt. La bourgeoisie, vigoureusement attaquée, se défendait à coups de condamnations et forgeait les Lois scélérates. Les bagnes s’emplissaient. Vint ce fameux procès des Trente, dont nous avons parlé abondamment à propos de Jean Grave. Pouget, plusieurs fois poursuivi, s’était réfugié à Londres, d’où il continuait à lancer en France son Père Peinard qui passait le détroit, à la barbe des policiers, comme autrefois la Lanterne de Rochefort. C’est, d’ailleurs, ce que constate le Père Peinard dans son numéro d’octobre 1894, daté de Londres (Printed and published by E, Pouget, at 23, King Edward St-Islington. London.).
Les charognes de la gouvernance, s’écrie le vieux gniaf, sont bougrement à cran.
Mes flambeaux leur passent sous le nez, et ils n’y voient que du feu.
Rien n’est saisi... excepté eux !
Ce n’est pourtant pas faute d’ordres, mille marmites.
Les ordres de chaparder mes brochurettes fourmillent... Kif-kif les asticots dans la tripaille de Dupuy : le misérable qui a pour spécialité de lire et de barboter les lettres qu’on lui confie, en a pondu tant et plus.
C’est même très rigolboche !
Comme mes flambeaux changent de titre à tous coups, il n’y a pas mèche de donner un ordre définitif.
Il faut repiquer au truc chaque quinzaine.
Cela continua jusqu’en 1895. Les « flambeaux » de Pouget allumaient la révolte au sein des groupements ouvriers. A l’élection de Félix Faure, le père Peinard revint en France pour y purger sa contumace. Il fut jugé et acquitté.