Accueil > Partages > Cahier d’un milicien dans les rangs de la CNT-FAI [03]

Cahier d’un milicien dans les rangs de la CNT-FAI [03]

samedi 25 mars 2023, par Albert Minnig (CC by-nc-sa)

Le Réveil anarchiste N°982 – 25 Septembre 1937

Chaque groupe a son drapeau qui a été confectionné par des miliciennes qui, elles, viennent au front, ce qui confirme la volonté générale de la classe travailleuse de s’émanciper de ces oppresseurs sanguinaires que sont les fascistes. Une foule innombrable se joint à nous et nous accompagne jusqu’à la gare. Plusieurs jeunes filles nous donnent leur adresse en nous priant de leur écrire ; elles nous enverront des paquets de vêtements et vivres. Chacun fait ses adieux et beaucoup pleurent en voyant partir toute cette troupe jeune et fière et qui n’a qu’une seule pensée, défendre sa liberté et libérer les opprimés. L’hymne anarchiste « Hijos del Pueblo » est entonné et le train part, salué par des applaudissements. Toutes les stations où l’on s’arrêtera ensuite sont pleines de monde qui acclame. Des jeunes filles nous tendent des bouteilles de vins et liqueurs, fruits et sandwichs dont on se regaléra durant le trajet et chaque départ c’est un délire, une tempête d’applaudissements. Les lumières se sont éteintes et on comprend que l’on rentre dans la zone dangereuse. La locomotive souffle, ronfle et peine, car il y de très fortes rampes. Le soleil enfin se lève. La végétation luxuriante du bord de la mer a complètement disparu et ce sont de grands plateaux superposés, pelés et brûlés par le soleil. A perte de vue, ce sont des vignes et des champs de blé déjà fauchés. Nous arrivons à Tardienta. La gare a été bombardée et pour la première fois nous voyons les effets terribles des bombes lancées par les avions rebelles. Les rails ont été tordus comme des fétus de paille et il ne reste d’un train plus que le squelette. Malgré cela, il y a beaucoup d’animation et personne n’a l’air de songer au danger qui est si proche. Le train repart jusqu’à une station dont je tairai le nom et en cinq minutes notre colonne se met en marche. Chacun touche quelques cartouches, CINQ, car il y en a très peu. Un vent violent gêne considérablement notre avance et soulève d’immenses nuages de poussière. En très peu de temps nous en sommes recouverts et nous prenons la couleur du terrain. Après l’escalade de plusieurs plateaux, nous voyons une petite agglomération de bâtiments et chacun accélère le pas, satisfait de pouvoir bientôt étancher la soif qui nous dévore. Nous arrivons enfin. Des cuisines sont installées en plein air et laissent échapper des nuages de vapeur odorante, qui réveille la faim calmée par la poussière et la chaleur. Nous trouvons de la place dans un grenier où l’on décide de passer la nuit. Des cris joyeux résonnent à la comida dans la cour. Assiette et quart en main, nous nous rangeons en une longue file pour la distribution de la soupe. Des camarades plus pressés assaillent les marmites et les cuisiniers mécontents crient « à la colla » et servent ceux qui se sont rangés. Enfin c’est notre tour. L’assiette pleine de bouillon, un bon morceau de bouilli et un quart de vin feront ce repas du soir. Comme nous sommes très fatigués, nous allons nous coucher tout de suite sur un immense tas de grains, et roulés dans la couverture nous nous endormons dans un sommeil plein de rêves, jusqu’à 6 heures du matin.

Juan García Oliver

Un camarade va toucher les rations du petit déjeuner pour tout le groupe et c’est derrière un bâtiment, dans un coin bien abrité, que nous déjeunerons en toute tranquillité. Le café, sardines, pain, ont vite disparu et chacun raconte sa petite histoire pour passer le temps. Tout à coup des cris : « Aviation » retentissent de tous côtés et mon cousin qui a bonne vue tend le bras en comptant ; il y en a 9. Ils avancent rapidement dans notre direction et nous nous demandons si ce sont les nôtres. Ils passent sur nos têtes à environ 300 mètres et paraissent ne pas vouloir s’occuper de nous, mais quelle erreur ! Des explosions formidables secouent toutes les maisons. Nous courons voir où sont tombées les bombes. Heureusement aucune n’a touché les bâtiments et un grand Italien nous en montre une, en nous disant : C’est une bombe Ya ! Et comme il a fait la grande guerre il nous en explique la fabrication et nous recommande la position couchée pour se garer le mieux possible de ces terribles engins. Les avions sont très loin et nous entendons le bruit sourd des bombes lancées sur des villages. L’émoi est vite passé et nous allons reprendre nos discussions derrière la maison. Le bruit des moteurs qui s’était éloigné se rapproche de plus en plus et les trois escadrilles apparaissent à nouveau au-dessus de nos têtes et nous levons vers elles un regard interrogateur. Tout à coup de petits filets de fumée bleue se dessinent dans le ciel et avant d’avoir eu le temps de s’interroger, les balles sifflent et s’écrasent contre le mur. Je m’enfuis à quelques mètres dans un angles où je me jette à plat ventre et je suis tout de suite recouvert par mes camarades qui m’ont suivi. Chevalier jure tout ce qu’il peut ; il a mis la main en plein dans des excréments, mais chacun rigole parce que personne n’est blessé. Plusieurs balles sont entrées dans le bureau de Garcia Oliver, mais sans faire de victimes. N’étant pas très en sécurité clans ce « castillo », nous décidons d’aller un peu plus loin au milieu des oliviers. A midi, nous venons à la distribution et à peine le repas commencé, la garde signale à nouveau l’aviation. Ce sont les neuf avions fascistes du matin et chacun court se cacher. Des détonations effroyables secouent les maisons, des femmes hurlent et s’évanouissent. Une cinquantaine de bombes sont tombées tout autour du castillo, un hangar a été démoli et nous courons pour voir s’il n’y a pas de blessés. Des camarades reviennent déjà avec des brancards chargés, un Espagnol a eu la tête arrachée. Nous arrivons vers une petite maison, un homme à demi agenouillé tenant encore son fusil est plaqué contre le mur, il est noirci par l’explosion et il lui manque un bras. Vite un brancard pour le transporter à l’infirmerie. Le docteur regarde : Il est mort ! vite un autre, laissez la place, et des infirmiers le lavent, stupeur, c’est Rajaud, un Toulousain de notre groupe. La tristesse est sur tous les visages, mais dans les cœurs se réveillent la haine et le désir de vengeance. Le triste bilan de ce bombardement se chiffre à sept morts et dix blessés. Le coup de fouet est donné. Garcia. Oliver et Rosselli promettent l’attaque pour demain. Nous nous préparons hâtivement et nous dormons jusqu’à la nuit. A onze heures, nous partons en avant, conduits par un capitaine français. Nous occupons un castillo abandonné par les fascistes à quelques kilomètres, mais depuis Huesca on nous a vus et l’artillerie commence. Les obus sifflent et explosent avec un bruit de tonnerre, mais aucun ne nous atteint. Une heure après, le calme est revenu et nous commençons tout de suite des travaux de protection. Après cinq jours de travail acharné, un tunnel pour 80 personnes est creusé. Des mitrailleuses sont arrivées et nous faisons de l’instruction. Un soir, un cavalier apporte des nouvelles. Les fascistes vont attaquer à notre gauche et vite les mitrailleuses sont placées, mais la nuit se passera sans besoin d’intervenir. Le capitaine que l’on presse pour avancer demande dix volontaires pour aller en reconnaissance et nous avons la chance d’être les préférés. Nous partons, fusil à ballant, déployés en tirailleurs, et après quelques kilomètres nous voyons un castillo qui semble abandonné, mais quelques-uns disent y avoir vu entrer des hommes. Nous nous approchons avec lenteur et prudence, profitant de tous les creux, mais l’émotion ne sera pas grande. Nous sommes à vingt mètres et pas un coup, de feu n’a été tiré, donc il n’y a personne.. Nous entrons les uns par les fenêtres, les autres par la porte. Visite de tous les locaux où règne la tranquillité, mais aussi un désordre indescriptible. Les meubles sont renversés et tous les papiers de famille sont épars, sur le plancher. (A suivre.)