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Quand l’école était militaire : Les bataillons scolaires 1880-1891

École Pellerin à Beauvais (Oise) vers 1890. Le bataillon scolaire en exercice dans la cour de récréation.

mardi 1er octobre 2024, par Albert Bourzac (CC by-nc-sa)

Au début de la IIIe République, les exercices militaires font leur apparition dans l’enseignement scolaire des jeunes Français. Pendant une dizaine d’années, l’école devient l’antichambre de la caserne et prépare les enfants à défendre la patrie, voire à se sacrifier pour elle, avant que l’idée de patriotisme abandonne peu à peu le camp des républicains et qu’on remplace l’instruction militaire par la gymnastique.

A Bordeaux, dès le 26 juin 1871, un mois seulement après la signature du traité de Francfort (10 mai) qui met fin à la guerre franco-prussienne, un mois après l’écrasement de la Commune (28 mai), Gambetta, incarnation de la foi nationale, tire la leçon de ces tragiques événements et répond aux questions qu’ils soulèvent. L’une concerne l’armée, l’autre l’enseignement. Il faut mettre partout, à côté de l’instituteur, le gymnaste et le militaire, afin que nos enfants, nos soldats, nos concitoyens soient tous aptes [...] à supporter vaillamment toutes les épreuves de la patrie. Aussi dans les années à venir cette idée va progressivement se concrétiser dans un nouveau contexte politique.

CONTEXTE POLITIQUE

Les désastres militaires ont provoqué la formation insurrectionnelle d’un régime républicain (4 septembre 1870). Le 8 février 1871, l’Assemblée nationale élue comporte une majorité monarchiste. Le pouvoir exécutif est confié à Thiers pour ratifier les préliminaires de paix. Toute idée de restauration est ajournée (pacte de Bordeaux, 10 mars 1871). La Commune éclate le 18 mars 1871, puis ce sera le deuxième siège de Paris par les Versaillais. Après la semaine sanglante (21-28 mars), le mouvement est réprimé. Les républicains sont écartés de la vie politique française. Thiers commence la réorganisation militaire (loi de 1872). Le 24 mai 1873, Thiers est renversé par les monarchistes. Mac Mahon le remplace. Le duc de Broglie instaure « l’ordre moral » et prépare une restauration monarchique qui échoue. La crise du 16 mai 1877 oblige le président à se démettre. Il démissionne le 30 janvier 1879. C’est la victoire des républicains qui vont mettre en œuvre l’organisation de la République dans de nombreux domaines, notamment scolaire et militaire.

Défilé de Bataillon scolaire à Breteuil-sur-Noye (Oise), 1899

L’OPINION PUBLIQUE

Les défaites françaises de 1870 condamnent le système militaire ancien. Des réformes s’imposent. Œuvre de compromis entre un système obligatoire et un service de sept ans, la loi du 27 juillet 1872 proclamait un service militaire obligatoire de cinq ans pour une partie de classe et d’un an pour l’autre partie après tirage au sort. S’orienter vers une réduction du service militaire à trois ans suppose l’adhésion de tous, conservateurs et républicains, sans que ce choix nuise à la force militaire. Ce sera réalisé en 1889.

La défaite de 1870-1871 provoque également un grand élan patriotique et un désir de revanche. Le souvenir de la Commune est toujours présent. Elle a été écrasée impitoyablement. La société, effrayée par des événements « dont elle ne comprend pas la signification » s’est sentie menacée. Reconstituer une armée pour défendre la patrie, mais aussi faire face à toute menace révolutionnaire, tel est l’objectif.

La Chambre des députés et le Sénat auront à en débattre. Les conservateurs dont l’idéologie est fondée sur l’ordre, l’autorité hiérarchique et le respect des croyances chrétiennes veulent une armée disciplinée, obéissante et entièrement soumise à la loi. Les républicains considèrent que le patriotisme et le sacrifice pour sa patrie doivent s’affirmer dans le modèle républicain soumis à la raison, à la modernité et à l’idéal laïque.

VERS UNE RÉDUCTION DU SERVICE MILITAIRE

Une brochure à l’usage des élèves publiée vers 1885.

La commission militaire examine une modification de la loi de 1872. Au cours de la séance de la Chambre des députés du 14 juin 1881, le ministre de la Guerre, le général Farre, s’en explique et fixe les conditions d’une réduction du service de l’armée active : Le service de trois ans, tel qu’il existe dans un autre pays, doit, pour porter ses fruits, avoir été précédé pendant longtemps d’un dressage préliminaire spécial acquis à l’école. Il faut donc développer l’instruction, l’instruction à tous les degrés, et surtout l’instruction militaire civique. Apprenons aux enfants ce que c’est que le soldat : quels sont ses devoirs ; quelle charge lui impose sa mission ; et même quelle grandeur et quel honneur il y a dans les charges qui lui sont imposées. Cette préparation est très nécessaire, elle est même indispensable, avant de réduire le service à trois ans. Deux points forts de son argumentation : l’école doit procéder au dressage préliminaire, ceci relève des exercices militaires ; elle doit également développer l’instruction militaire civique, cela répond à un souci éducatif et patriotique.

Paul Bert, ministre de l’Instruction publique dans le grand ministère Gambetta (novembre 1881), et Jules Ferry (1883-1885) souhaitent également un service militaire plus court et une éducation militaire et civique à l’école. On aperçoit une éducation de type spartiate, toute entière tournée vers l’exaltation patriotique où l’école devient l’antichambre de la caserne. (Raoul Girardet — La société militaire de 1815 à nos jours)

Pour atteindre ces objectifs, les bataillons scolaires sont créés par le décret du 6 juillet 1882 en application de la loi du 27 janvier 1880 qui a pour but de rendre obligatoire l’enseignement de la gymnastique dans l’enseignement primaire. De 1880 à 1891, cette institution va développer l’éducation militaire à l’école de la République.

Décret du 6 juillet 1882

Ministère de l’Instruction publique et des Beaux-arts

Direction de l’enseignement primaire

Relatif à l’instruction militaire et à la création de bataillons scolaires dans les établissements d’instruction primaire et secondaire.

Le président de la République française,
Sur les rapports des ministres de la Guerre, de l’Instruction publique et des Beaux Arts, et de l’Intérieur ;
Vu l’article 1er de la loi du 28 mars 1882, qui met la gymnastique et les exercices militaires au nombre des matières d’enseignement des écoles primaires publiques de garçons ;
Vu la loi du 27 janvier 1880, qui rend l’enseignement de la gymnastique obligatoire dans tous les établissements d’instruction publique de garçons ;
Vu le décret du 29 juillet 1881 et l’arrêté du 3 août fixant le programme de cet enseignement dans les écoles normales d’instituteurs ;
Vu l’article 6 de la loi du 27 juillet 1872 sur le recrutement de l’année ;
Vu les articles 8 et 10 de la loi du 24 juillet 1873, relative à l’organisation générale de l’armée ;
Vu l’article 54 de la loi du 13 mars 1875, relative à la constitution des cadres et des effectifs de l’armée active et de l’armée territoriale ;
Vu le décret du 2 avril 1875, relatif à l’organisation militaire des douaniers ;
Vu le décret du 2 avril 1875, relatif à l’organisation militaire du corps forestier ;
Vu le décret du 29 décembre 1875, sur l’organisation des corps de sapeurs-pompiers ;
Vu les procès-verbaux de la commission mixte formée de délégués des trois ministères de la Guerre, de l’Intérieur et de l’Instruction publique, chargée de préparer un règlement relatif à l’instruction militaire dans les établissements d’instruction,

Décrète :

Art. 1er. Tout établissement public d’instruction primaire ou secondaire ou toute réunion d’écoles publiques comptant de deux cents à six cents élèves âgés de 12 ans et au-dessus pourra, sous le nom de bataillon scolaire, rassembler ses élèves pour les exercices gymnastiques et militaires pendant toute la durée de leur séjour dans les établissements d’instruction.
Art. 2. Aucun bataillon scolaire ne sera constitué sans un arrêté d’autorisation rendu par le préfet. Cette autorisation ne pourra être accordée qu’après que le groupe d’enfants destiné à former le bataillon aura été reconnu capable d’exécuter l’école de compagnie. Il sera procédé à cette constatation par les soins d’une commission de trois membres, savoir : deux officiers désignés par l’autorité militaire et l’inspecteur d’académie ou son délégué.
Art. 3. Tout bataillon scolaire, après sa constitution, devra être inspecté au moins une fois par an, par la commission désignée à l’article 2.
Art. 4. Tout bataillon scolaire recevra du ministre de l’Instruction publique un drapeau spécial qui sera déposé, chaque année, dans celle des écoles dont les enfants auront obtenu, au cours de l’année, les meilleures notes d’inspection militaire.
Art. 5. Chaque bataillon scolaire se composera de quatre compagnies dont chacune comprendra au moins cinquante enfants.
Art. 6. Ne pourront faire partie du bataillon les élèves que le médecin attaché à l’établissement aura déclarés hors d’état de participer aux exercices gymnastiques et militaires du bataillon.
Art. 7. Tout bataillon scolaire est placé sous les ordres d’un instructeur en chef et d’instructeurs adjoints désignés par l’autorité militaire. La répartition des élèves dans les diverses compagnies est faite sur la proposition des chefs d’établissement par l’instruction en chef.
Art. 8. Un maître au moins de chaque établissement scolaire dont les élèves font partie du bataillon devra assister aux réunions du bataillon. Ces réunions auront toujours lieu, sauf autorisation spéciale de l’inspecteur d’académie, en dehors des heures de classe réglementaires.
Art. 9. Le bataillon scolaire ne pourra être armé que de fusils conformes à un modèle adopté par le ministère de la Guerre et poinçonnés par l’autorité militaire. Ces fusils, dont la fabrication sera abandonnée à l’industrie privée, devront présenter les trois conditions suivantes : n’être pas trop lourds pour l’âge des enfants ; comporter tout le mécanisme du fusil de guerre actuel ; n’être pas susceptibles de faire feu, même à courte portée. Ces fusils seront déposés à l’école.
Art. 10. Pour les exercices du tir à la cible, les élèves des bataillons scolaires âgés de 14 ans au moins, et que l’instruction en chef aura désignés comme aptes à y prendre part, seront conduits au stand ou au champ de tir et y seront exercés avec le fusil scolaire spécial dans les conditions qui seront réglées par un arrêté des ministres de la Guerre et de l’Instruction publique.
Art. 11. Aucun uniforme ne sera obligatoire. Les uniformes qui pourraient être adoptés par les bataillons scolaires devront être autorisés par le ministre de l’Instruction publique. Les caisses des écoles pourront seules être autorisées par le préfet à fournir aux élèves, dans des conditions à déterminer par des règlements locaux, tout mi partie des objets d’habillement jugés nécessaires.
Art. 12. Les établissements libres d’instruction primaire et secondaire qui déclareront se soumettre à toutes les prescriptions du présent décret sont autorisés, soit à incorporer leurs élèves dans le bataillon scolaire du canton, soit, si leur effectif est suffisant, à former des bataillons scolaires distincts qui seront à tous égards assimilés à ceux des écoles publiques.
Art. 13. Les ministres de la Guerre, de l’Instruction publique et de l’Intérieur sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret.

Fait à Paris, le 6 juillet 1882

Par le président de la République : Jules Grévy
Le ministre de la Guerre, Billot
Le ministre de l’Instruction publique, Jules Ferry
Le ministre de l’Intérieur, René Goblet
(ANF 17 11639)

LES ENJEUX

Des bataillons scolaires sont créés. Ils se développent dans de nombreuses communes de France sous le contrôle du ministère de la Guerre et du ministère de l’Instruction publique. Un enseignement civique est donné. Il inspire aussi l’enseignement général. Dans une situation politique qui évolue, ils deviennent un enjeu politique et idéologique qui les détourne de leur finalité.

Sur le plan militaire, l’œuvre de rénovation complète qu’il fallait entreprendre n’a pas été réalisée. Les habitudes, bonnes ou mauvaises, réapparaissent : traditions étriquées, routine, médiocrité du commandement, difficultés qu’affrontent les officiers subalternes dans le déroulement de leur carrière. Ce ne sont pas là des conditions favorables à la mise en place des bataillons scolaires. Mais les difficultés les plus graves viennent du fait que l’école n’est pas la caserne. La discipline ne peut s’organiser de la même manière sur un enfant et sur un adulte, à l’école et à la caserne. Aucune solution n’a été retenue pour poursuivre l’instruction entre la fin de la scolarité et l’arrivée au régiment. La pesanteur des réalités quotidiennes (enfant, famille, école, maître) se heurte à la susceptibilité et au souci des préséances des militaires. On perdait de vue les objectifs de l’institution.

Le service de trois ans doit, pour porter ses fruits, avoir été précédé pendant longtemps d’un dressage préliminaire spécial acquis à l’école.

Arrêté

Portant règlement sur l’exécution des exercices de tir dans les établissements d’instruction primaire ou secondaire.

Les ministres de la Guerre, de l’Instruction publique et de l’Intérieur,
Vu le décret en date du 6 juillet 1882,
Arrêtent :

Dispositions générales
Art. 1er. Les fusils scolaires destinés aux exercices de tir et mis en service à raison de trois par école seront, ainsi que les munitions, déposés soit dans les casernes de gendarmerie, soit dans les magasins des corps de troupes, suivant les ordres de l’autorité militaire.
Art. 2. Ces armes ne seront délivrées que les jours d’exercices de tir réduit, et, exceptionnellement, les jours des exercices préparatoires ayant pour but de démontrer le maniement du fusil devant la cible, le pointage et les positions du tireur.
Art. 3. Les fusils et les munitions nécessaires pour le tir de la journée seront remis à l’instructeur militaire, sur sa demande écrite et motivée.
Art. 4. L’instructeur militaire prendra, de concert avec les chefs des établissements scolaires, les dispositions nécessaires pour faire transporter, dans de bonnes conditions, les armes et les cartouches sur le terrain de tir, et pour les faire rapporter à la caserne, et, s’il y a lieu, pour faire transporter les cartouches du centre de fabrication à la caserne de gendarmerie.
Art, 5. Les armes seront nettoyées et réintégrées au lieu de dépôt, le jour même de chaque exercice, par les soins de l’instructeur militaire ; remise sera faite, en même temps, des cartouches non consommées.
Art. 6. Dans chaque subdivision de région, l’autorité militaire désignera les corps de troupes chargés de fournir des cartouches aux groupes scolaires qui désireront pratiquer le tir réduit. Après les tirs, les étuis vides seront rapportés aux corps désignés, pour être rechargés par leurs soins, s’il y a lieu.
Art. 7. Le prix de cession de l’étui est fixé à 0,04 F. Celui du chargement, y compris le nettoyage des étuis et la fourniture des divers éléments qui le composent est de 0,009 F par cartouche. Ces dépenses, ainsi que les frais de transport, seront à la charge des établissements scolaires.
Art. 8. Il sera alloué aux corps par cartouche livrée aux écoles une somme de 0,002 F, dont 0,001 F pour les frais de combustible, etc. et 0,001 F pour le personnel subalterne qui procédera au chargement. Cette allocation sera payée sur les fonds de l’armement et devra être comprise dans le relevé des dépenses annuelles effectuées pour ce service par les corps.
Art. 9. Les demandes de délivrance de cartouches scolaires ou de chargement d’étuis vides, établies en triple expédition et conformes aux modèles ci-contre, seront adressées par les inspecteurs d’académie aux généraux commandant les subdivisions de région, qui les transmettront pour exécution aux corps désignés à cet effet. L’une de ces expéditions sera conservée au corps, la seconde sera envoyée à l’inspecteur d’académie, et la troisième au ministre de la Guerre. Toutes les trois porteront le récépissé de l’instructeur militaire.
Art. 10. Ces demandes seront totalisées par les soins de l’administration de la Guerre ; la dépense totale sera indiquée au ministère de l’Instruction publique, qui en remboursera le montant annuellement.

Exécution du tir
Art 11. Le tir réduit avec le fusil scolaire s’exécute en employant trois lignes de mire, savoir :
De 10 à 20 mètres : employer la ligne de mire qui passe par le sommet du guidon et le cran du talon de la hausse couchée (ce cran porte l’indication 10 à 20).
À 30 mètres : employer la ligne de mire qui passe par le sommet du guidon et le cran du talon de la hausse couchée (ce cran porte l’indication 30).
À 40 mètres : employer la ligne de mire qui passe par le sommet du guidon et le cran du curseur abaissé, la planche de hausse étant levée (un trait, affleurant le bord supérieur du curseur abaissé, est tracé sur le côté droit de la planche, et l’indication 40 est inscrite au-dessus).
Art. 12. La cartouche de tir réduit pour fusil scolaire comprend
1° Un étui vide de cartouche modèle 1874, raccourci de 0,01 m ;
2° Les divers éléments nécessaires au chargement :
1 amorce ;
1 couvre-amorce ;
1 balle sphérique en plomb de 8,70 gr. ;
1 charge de poudre de 0,4 gr.
Cette cartouche est chargée exactement comme la cartouche de tir réduit ordinaire.
Art. 13. Chaque enfant susceptible de prendre part aux exercices de tir réduit, dans les écoles où ces exercices auront été organisés, pourra tirer au maximum cinq séries de six balles, soit trente cartouches par an. Il ne sera jamais tiré dans la même séance plus de 6 cartouches par enfant.
Art. 14. Avant de commencer une série de six coups, on aura soin d’huiler fortement l’intérieur du canon afin de faciliter le glissement de la balle ; cette précaution est indispensable. L’expérience a montré que le graissage de la balle nuisait à la justesse. Si, dans le tir, une balle restait dans le canon, on l’enlèverait avec la baguette et on huilerait de nouveau le canon. L’intérieur du canon, la chambre et la culasse mobile seront soigneusement nettoyés après chaque séance de tir.
Art. 15. Les plus grandes précautions seront recommandées pendant l’exécution des tirs. Il sera toujours préférable de construire un stand peu coûteux, analogue à ceux qui sont décrits dans l’instruction ministérielle du 27 janvier 1882, sur la confection et le mode d’emploi des cartouches de tir réduit. L’établissement d’un stand sera obligatoire pour les tirs au-delà de 20 mètres, exécutés soit dans des cours, soit près des habitations. Les généraux commandant les subdivisions de région donneront aux corps de troupe sous les ordres des instructions pour qu’ils fournissent aux directeurs des écoles qui le demanderont tous les renseignements nécessaires sur la construction de ces stands.
Art. 16. Le tir réduit pourra exceptionnellement être exécuté en rase campagne ; dans ce cas, la direction de tir ne devra rencontrer, à moins de 450 mètres de la cible, ni route, ni canal, ni voie ferrée, ni habitation. On tirera, s’il est possible, contre une butte en terre naturelle ou artificielle. Les habitants devront être prévenus avant chaque séance, par les soins de l’autorité municipale, du jour, de l’heure et de l’endroit choisis pour l’exercice.
Art. 17. Les généraux commandant les subdivisions mettront autant que possible les champs de tir à la disposition du bataillon scolaire.

Fait à Paris, le 6 juillet 1882

Billot
Jules Ferry
René Goblet
(ANF 17 11639)

L’enseignement patriotique est à l’honneur. L’école patriotique forme un tout. En instituant les bataillons scolaires, les républicains se placent dans la tradition de la Grande Révolution. Le vrai républicain ne peut être que patriote, c’est-à-dire un citoyen, un homme de progrès et un soldat. C’est un système éducatif cohérent, où tous les enseignements visent à atteindre cet objectif. L’inculcation scolaire joue à cet égard ce rôle d’imprégnation inconsciente et presque indélébile dont l’influence n’est plus à démontrer. L’enseignement patriotique est l’élément moteur du système.

Les bataillons scolaires participent également à l’éducation sociale. Organiser une véritable instruction populaire, c’est, pour certains, prendre le risque de favoriser la formation militaire des couches de la société sensibles aux idées subversives. La position de Jules Ferry est ferme, qui affirme que l’ordre est la condition essentielle du progrès. Une même éducation est nécessaire à la cohésion sociale, même si on doit tenir compte des différences d’éducation que les enfants reçoivent dans leur famille. La morale est fondée sur la nécessité du travail et de l’obéissance. L’obéissance, le respect des chefs, qu’on enseigne aux enfants des bataillons scolaires, développent en eux les bons sentiments civiques. (Mermeix — La France sous les armes)

Quant au travail, grâce aux bataillons scolaires, on aura une jeunesse saine et forte, capable de défendre la patrie, mais également de préparer à la France la glorieuse et puissante armée du travail (Jules Simon) formée de travailleurs disciplinés et efficaces. Amour du travail et amour de la patrie masquent les inégalités de l’ordre social, favorisent la mise en place de la domination sociale des couches dirigeantes de la République, imposent un dressage orienté vers des fins d’intégration sociale.

Des critiques sont adressées aux bataillons scolaires. Des critiques générales : l’opinion cléricale et conservatrice est hostile, on dénonce les pantalonnades de bambins et la discipline rigide des militaires qui risque de dégoûter à jamais les enfants de la vie militaire. On critique également l’organisation et le fonctionnement de l’institution. La presse de l’époque (Le Figaro, L’Estafette, Le National, avril 1891) se fait écho d’un rapport établi par le conseiller municipal de Paris, Blondel : C’est une institution à la fois puérile et dangereuse que les bataillons scolaires. Puérile, parce qu’en forçant les enfants à jouer au soldat, elle n’aboutit qu’à former au prix de sacrifices considérables de ridicules automates. Dangereuse, parce qu’elle les éloigne des exercices corporels propres à favoriser la croissance et à préparer à l’armée des éléments forts et musclés. Bientôt une ample majorité se prononce pour la transformation des bataillons scolaires en sociétés de gymnastique et sociétés de tir.

Le contexte politique évolue. Certains accusent les conquêtes coloniales qu’engage Jules Ferry d’abandonner la politique de revanche. Avec l’émergence du nationalisme, le « patriotisme » devient un des fondements de la politique de droite. Le mouvement socialiste se développe, les questions sociales prennent de plus en plus d’importance. Les premières formes d’antimilitarisme apparaissent. L’alliance de l’armée et du clergé accentue la méfiance de la République vis-à-vis de son armée. Les républicains n’ont plus besoin de cet instrument de propagande trop agressif. Les souvenirs des « jeunes scolos » survivent dans la mode (le costume marin des petits enfants), dans la publicité (enfants en uniforme), dans la mémoire populaire (le petit fusil en bois). Plus tard la propagande les fera revivre lors de la Grande Guerre.

Dans une école en région parisienne vers 1885.