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Pourquoi nous sommes anarchistes - VI. Communisme et Anarchie

lundi 18 novembre 2024, par Francesco Saverio Merlino (CC by-nc-sa)

a) LA RÉVOLUTION

Le premier pas vers la société future sera la révolution, qui est inévitable.

Les classes dirigeantes ne cèdent qu’à la force. Les gouvernements feignent de vouloir remédier aux maux les plus violents des ouvriers ; mais comment pourraient-ils le faire, puisqu’ils sont la cause principale de ces mêmes maux ?

Pour se maintenir, un gouvernement a besoin de percevoir des impôts, de répartir des emplois et des adjudications, de dépouiller le peuple pour enrichir une minorité. Toutes ses lois et tous ses actes ont ce même but. Et, nous le répétons, si parfois les Parlements, pour jeter de la poudre aux yeux des naïfs, font quelques lois favorables aux ouvriers, elles ne sont pas appliquées. D’ailleurs, pour une loi au profit de la classe pauvre, il y en a un millier contre les ouvriers et à l’avantage exclusif de la bourgeoisie, en sorte, que c’est toujours le travailleur qui est opprimé et volé. Le seul remède à ses maux, son unique salut est dans la révolution.

L’ouvrier que doit-il faire après s’être révolté contre le gouvernement et l’avoir détruit ? Doit-il en nommer un autre — et attendre son bonheur de ce nouveau gouvernement — ou ne doit-il pas, plutôt, se rendre justice de lui-même et profiter de l’occasion pour arracher à la bourgeoisie les moyens dont elle se sert pour l’affamer et l’asservir ? Nous pensons que l’ouvrier ne doit constituer aucun gouvernement nouveau, ni élire un Parlement quelconque, pour en attendre les concessions et les bonnes grâces. L’ouvrier — le peuple en masse — doit accomplir lui-même sa propre révolution en reprenant tout ce dont-il a été privé, en rentrant en possession de tous ces produits usurpés par d’autres ; — il doit, en un mot, exproprier les propriétaires et les capitalistes, chasser les patrons des usines, ne reconnaître plus aucun maitre.

Que les ouvriers de chaque fabrique, une fois le patron chassé, en disposent à leur gré. Que les locataires ne reconnaissent plus de propriétaires et que ceux qui manquent d’un logement aillent habiter les maisons abandonnées par les riches.

Le peuple doit jouir, doit goûter aussi à tous les biens de la vie. La vraie, la grande révolution consistera dans le fait que le peuple acquerra des besoins qu’il n’a pas encore aujourd’hui. Il ne pourra plus vivre dans le dénuement, ni servir de maîtres et demander sa part des bienfaits de la civilisation. L’état de choses actuel lui apparaîtra comme une barbarie et il ne se laissera plus dominer, ni réduire à la misère et à l’ignorance par personne, car l’aisance et le travail pour son propre compte feront partie désormais de la nature humaine et une nouvelle compréhension de la vie naîtra de ce nouvel ordre de choses.

b) ORGANISATION DE LA SOCIÉTÉ FUTURE

La société future sera organisée comme une vaste fédération de sociétés ouvrières, indépendantes les unes des autres, mais liées ensemble par la libre entente.

La terre sera cultivée par des associations de paysans, Les mines d’où l’on tire les matières premières pour les industries, et les moyens de transport seront propriété commune de toutes les associations et aucun groupement ne pourra s’en servir de façon à spéculer sur les besoins des autres. Il y aura des associations pour tous les travaux et pour tous les buts, et ces associations seront ouvertes à tous ceux qui voudront travailler. Un individu pourra faire partie en même temps de plusieurs associations ; l’ouvrier de la fabrique pourra aussi travailler aux champs. Le paysan pourra s’occuper aussi de chimie et d’autres études. Toute distinction entre ouvriers manuels et intellectuels est appelée à disparaître.

L’homme en alternant ses occupations produit davantage et développe mieux ses facultés. Le travail sera fait librement ; il n’y aura plus de règlements vexatoires comme ceux que le patron impose aujourd’hui aux ouvriers. Chaque association établira d’elle même les conditions de son propre travail, laissant à ses membres la plus grande liberté compatible avec l’intérêt général. Les membres des associations seront égaux entre eux et il n’y aura pas inégalité de traitement. L’ingénieur et le manœuvre seront également considérés, l’œuvre de l’un étant aussi nécessaire que celle de l’autre à la société, et plus le travail sera pénible, plus il sera apprécié et de courte durée. Nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, prétendent se sacrifier au bien public, en se faisant politiciens, en devenant députés ; dans la société à venir ceux qui voudront se rendre plus utiles et gagner l’estime publique s’adonneront aux travaux les plus pénibles. Tous, plus ou moins, d’une manière ou d’une autre, travailleront, l’oisiveté étant insupportable, et tandis qu’actuellement beaucoup sont habitués depuis l’enfance à ne lien faire tout en satisfaisant leurs vices, l’éducation, l’exemple et l’opinion publique de la société future pousseront tout le monde au travail. Pour appartenir à une association, il faudra travailler, et personne n’est assez insensé pour vouloir vivre en dehors de toute société. Et même s’il se trouvait quelqu’un, le mal serait bien moins grand que d’avoir comme aujourd’hui des classes entières qui vivent dans l’oisiveté employant leurs journées à nuire aux autres.

Les oisifs, s’ils devenaient nombreux, s’apercevraient bientôt de leur erreur, car en ne travaillant pas, on ne produit pas, et en ne produisant pas, on ne mange pas non plus. D’ailleurs, le travail ne sera pas pénible, long et mal rémunéré comme aujourd’hui. Quelques heures de travail manuel suffiront et le reste du temps servira à des occupations et des études agréables, sans compter que toutes les conditions de travail auront été transformées.

La fabrique de l’avenir ne ressemblera pas à celle d’aujourd’hui. L’air, l’espace et la lumière n’y manqueront pas plus qu’ils ne manquent actuellement dans les maisons des riches. L’ouvrier ne sera pas condamné à mourir de faim, de chaleur ou de froid pendant qu’il travaille ; à rester debout, à continuer sa besogne lorsqu’il est fatigué. Toutes les commodités, dont jouissent aujourd’hui ceux qui ne font rien, seront devenues l’apanage des travailleurs. Pourquoi dans la fabrique — qui est la maison de l’ouvrier — n’y aurait-il pas d’ameublement ? pourquoi à côté de la salle de travail, n’aménagerait-on pas une salle de récréation, de lecture, etc ? Pourquoi ne chercherait-on pas à rendre le travail plus agréable et moins pénible, par tous les moyens que les progrès de la civilisation mettent à notre disposition ? Nous ne savons pas encore tous les changements que pourront apporter au mode de production les perfectionnements de la mécanique et des sciences techniques ; mais il est certain que même à l’état actuel de nos connaissances la vie de l’ouvrier peut-être entourée de toute l’aisance réservée aujourd’hui uniquement aux riches. Dans les pays où l’agriculture est en décadence elle peut être renouvelée et développée ; les produits des industries peuvent se multiplier à notre gré ; — en sorte qu’il y ait du travail pour tout le monde, du pain pour tous les affamés, des habits pour tous les déguenillés.

Les moyens actuels de communications permettraient de ne plus vivre entassés dans les taudis des villes ; il serait facile de construire le long de la voie ferrée, en pleine campagne, des maisons, où les ouvriers iraient loger, sans manquer de tous les moyens de distraction et d’instruction qui les retiennent aujourd’hui dans les villes.

On peut, en un mot, transformer la face du monde, si les hommes se décidaient une bonne fois à se défendre et à s’aider réciproquement, au lieu de vivre les uns aux dépens des autres.

Les commerçants, les banquiers, les spéculateurs seront-ils encore nécessaires ? — Non, car les associations échangeront directement leurs produits — sans même besoin d’argent.

Toutes les relations établies aujourd’hui entre les différents pays par l’entremise des capitalistes, les nombreuses associations les établiront entr’elles. Une association promettra à l’autre, sauf cas de force majeure, une certaine quantité de produits et elle recevra une promesse semblable pour d’autres denrées. Mais ces échanges seront faits sans avarice ni rapacité ; aucune association ne voudra gagner, comme le font nos capitalistes, sur le travail des autres ; personne ne voudra s’enrichir ou accumuler, d’autant plus que l’accumulation ne servirait à rien, du jour ou l’on ne trouverait plus d’ouvriers voulant vendre leurs bras pour faire fructifier les richesses accumulées.

Les associations au besoin s’aideraient entr’elles. Si dans une contrée la récolte était insuffisante, les associations de paysans d’autres pays suppléeraient au manque avec leur superflu. Si une région était frappée par un malheur, d’autres viendraient à son secours. Cela se pratique déjà aujourd’hui, en cas d’inondation, de famine, etc. Malheureusement les secours passent par les mains des gouvernements et des capitalistes — et il ne reste pas grand’chose pour ceux qui en auraient vraiment besoin.

Nous touchons ici à une dernière question. Un gouvernement, un parlement, un ministère, une police, une magistrature seraient-ils encore nécessaires ? Dans notre système, toutes ces institutions ne serviraient plus à rien, les associations administrant chacune ses propres intérêts et les relations qui surgiraient entr’elles devant être volontaires et différentes selon la nature spéciale des multiples intérêts. Un gouvernement n’a sa raison d’être que dans la centralisation des intérêts de tous aux mains d’un petit nombre de personnes, agissant au nom de toute la nation et pensant pour tout un peuple. Ces gouvernants ne laissent plus la liberté de penser à l’individu et l’obligent à se soumettre à leur volonté ; ils ont le pouvoir de taxer les produits du travail de la foule et d’employer la force pour faire exécuter leur volonté.

Or, tout cela est incompatible avec la société libre et égalitaire dont nous parlons. Le gouvernement est la négation de la libre association et les fonctionnaires gouvernementaux sont les parasites du travail national.

Pour trancher les différends, pour empêcher quelques rares crimes, il n’est nullement besoin d’un gouvernement, d’une police et d’une magistrature — qui sont la cause de luttes et de crimes sans fin dans la société. Les associations suffisent : elles peuvent recourir à un arbitrage, prendre quelques mesures de défense. Chaque membres de la société future se lèvera pour défendre l’opprimé et le faible, tandis qu’aujourd’hui le gouvernement, la loi et la police ne font que protéger le riche contre le pauvre, le patron contre l’ouvrier.

L’ouvrier — nous dit-on — est ignorant et souvent même égoïste. Le patron ne peut que l’exploiter et le pressurer. Il est malheureusement impossible de se passer de patrons, aussi longtemps que l’ignorance et l’égoïsme régneront, c’est-à-dire, aussi longtemps que l’homme ne changera pas sa nature.

Nous répondons que l’ignorance est l’un des effets de la société actuelle et elle ne peut disparaître qu’avec la ruine de celle-ci. La misère d’une grande partie des ouvriers, l’abrutissement d’un travail trop fatiguant et trop prolongé, la démoralisation du chômage, ne peuvent qu’augmenter non seulement l’ignorance, mais l’ivrognerie, la prostitution, les suicides, et tous les maux les plus terribles.

L’égoïsme aussi naît de la misère, qui produit encore les haines entre ouvriers et la concurrence qu’ils se font réciproquement.

Au jour d’aujourd’hui un homme ne saurait trouver son bien que dans le mal des autres : pour faire son chemin, il doit passer sur le corps des camarades, et pour ne pas être exploité, il faut qu’il avise aux moyens d’exploiter les autres, de devenir patron.

L’ignorance et l’égoïsme ne peuvent être efficacement combattus clans la société actuelle et encore moins détruits. La destruction seule de notre société fera disparaître du monde l’ignorance et l’égoïsme.

Et ils disparaîtront certainement le jour où l’humanité, par un effort suprême, aura anéanti les privilèges et les inégalités actuels pour vivre selon les principes du communisme anarchique.

CONCLUSION

Ouvriers ! Nous vous avons expliqué les raisons pour lesquelles nous combattons la propriété, le gouvernement, la famille et la religion — institutions fondées sur l’ignorance, l’esclavage, la misère de l’ouvrier et qui ont pour but de maintenir et accroître ces maux, tout en perpétuant et en augmentant les privilèges, les richesses, la tyrannie et les vices de la classe dominante. Nous vous avons expliqué com ment la société devrait et pourrait être réformée, en substituant le communisme à la propriété individuelle, la libre association au gouvernement, l’union libre à la famille légale, la science et l’instruction à la religion. Nous vous avons démontré que ce changement ne peut s’opérer au moyen de petites réformes, de lois dictées par les parlements présents ou futurs, de gracieuses concessions de gouvernants et de capitalistes ; mais il doit se produire nécessairement, comme tout progrès réel accompli dans le passé, par une révolution. Nous ne sommes pas révolutionnaires pour le plaisir de voir couler le sang, niais par nécessité, car nous sommes convaincus que les bourgeois ne renonceront pas pacifiquement à leurs privilèges. Chaque jour des milliers de vies d’ouvriers sont sacrifiées et nous préférons tomber en luttant que succomber à force de privations et de misères. Les ouvriers, qu’ils le veuillent ou non, sont obligés de lutter contre les patrons, de se mettre en grève, de se révolter. Avec un peu plus d’énergie et d’audace, ils pourraient se libérer pour toujours de leurs patrons et s’as-surer le bien-être et l’indépendance pour eux-mêmes et leurs enfants.