Passons à une autre institution : le Gouvernement.
Les gouvernements prétendent faire le « bien du peuple », prétendent même n’être constitués que par la « volonté exprimée » du peuple. Mais s’il arrive un jour, que ce même peuple manifeste le désir d’être débarrassés de ses gouvernants, ceux-ci s’obstinent à rester et emploient même, s’il le faut, les baïonnettes et les canons contre le peuple souverain.
Quant au bien qu’ils prétendent faire, voici de quoi il s’agit : Un gouvernement n’a rien à lui : tout ce qu’il a, il le doit aux citoyens, auxquels il prend dix, pour n’encaisser qu’un : la différence de neuf est absorbée par les percepteurs, les huissiers, les gendarmes, les usuriers, les avocats, les juges, les journalistes, par toutes les personnes, en un mot, qui s’emploient à faire rentrer dans les caisses du Gouvernement l’argent pris aux contribuables.
Un gouvernement a tout intérêt à percevoir beaucoup, à encaisser tout ce qu’il peut ; plus il dispose d’argent et plus nombreux seront ceux qui, mangeant à sa crèche, le soutiendront. C’est ainsi que chaque année le gouvernement augmente ses dépenses et invente de nouveaux prétextes pour écorcher les contribuables. Dans les dépenses, le gouvernement emploie la même méthode que pour les rentrées. Pour un travail qui coûterait 10 à un particulier, le gouvernement dépense 100. Depuis les ministres et les députés, touchant des pots-de-vin pour proposer ou voter une loi sur les chemins de fer ou autre, jusqu’au dernier des employés, tous ceux qui appartiennent à l’administration perçoivent quelque chose, et le peuple paie. Mais cela ne suffit pas : lorsque le gouvernement pour faire face à ses engagements ou à ses gaspillages, impose les terrains, ou les maisons, ou les marchandises, ou les industries, ou les baux, ou les loyers, et que les prix des objets augmentent, l’ouvrier est celui qui en souffre le plus, il paie même pour tous.
L’augmentation des impôts diminue la consommation, la production se restreint, et les percepteurs, les financiers, les entrepreneurs, les avocats et les juges engraissent, tandis que les paysans, qui vivaient de leurs lopins de terre, se voient expropriés et réduits avec leurs familles à la mendicité.
Le gouvernement, à part quelques travaux publics, quelques chemins de fer, quelques écoles, les postes et les télégraphes, n’a pas de raison d’être. Mais toutes ces entreprises et ces services d’utilité publique peuvent être organisés par la libre initiative privée ou par voie d’entente entre les intéressés. Les États-Unis, l’Angleterre, la Suisse et d’autres pays encore nous donnent déjà des exemples.
Toutefois, le gouvernement prétend avoir une plus haute mission, une plus grave raison d’être. Il est devenu le gardien de l’Ordre, le défenseur de la Justice dans la Société. Il a la prétention d’empêcher les crimes et de réprimer les désordres qui pourraient surgir entre citoyens. En un mot, il se donne comme arbitre suprême entre les citoyens et se porte garant de la paix sociale.
Sous ce rapport aussi, le gouvernement en lui-même n’est rien. La force dont il dispose se compose de citoyens, pour la plupart ouvriers. Ce sont eux qui maintiennent « l’Ordre », défendent la propriété, exécutent les sentences des juges et les ordres des ministres.
Pour empêcher les crimes et résoudre les conflits entre citoyens, les ouvriers n’ont nullement besoin d’un gouvernement, ni de codes remplis de subtilités, ni d’avocats experts en finasseries et duplicités. Les exemples ne manquent pas de sociétés où les hommes ont vécu en paix et en bonne harmonie, sans législateurs et sans policiers. Les gouvernements ne savent que venger les délits une fois commis, tout en vendant cher la justice aux plaignants.
Et encore, est-il vraiment permis de parler de justice, d’ordre et de paix ? Les gouvernements commettent plus de crimes qu’il n’en préviennent. Ils protègent les grand criminels, tout en empêchant les victimes de se défendre. Les capitalistes peuvent massacrer impunément les ouvriers ou les affamer ; les commerçants peuvent empoisonner leur clientèle ; les financiers peuvent voler en grand ; les libertins bourgeois peuvent tromper et ruiner les filles pauvres ; les politiciens peuvent mentir aux électeurs de mille manières — et le gouvernement laissera faire. Mais au moindre signe de mécontentement des ouvriers, au moindre geste de la justice populaire, ce même gouvernement interviendra avec ses soldats, ses policiers, ses juges payés, ses tortionnaires, et frappera les ouvriers pour les maintenir enchaînés.
Le gouvernement, toujours au service de la bourgeoisie, est l’ennemi des ouvriers, l’affameur du peuple, la peste de la société.