Il naît à Lodi le 28 mai 1897 et passe ses jeunes années à Reggio Emilia. Il s’inscrit au cercle des Jeunesses Socialistes, qu’il quitte bientôt pour adhérer au mouvement anarchiste ; après une lettre, qui, à son époque, fit beaucoup d’impression sur les jeunes :
Il nous faut un nouvel essor, il nous faut un retour au temps où aimer une Idée voulait dire ne pas craindre la mort et sacrifier toute la vie à une soumission complète. (1915)
En 1917, à vingt ans : Je croyais que la vie valait par la façon dont elle est vécue, au lieu de cela, c’est le destin de tous, même de ceux qui ne sont pas parmi les plus nombreux, de porter le poids de la vie comme une charge, sur la pente
.
Il collabore activement aux journaux anarchistes et eu quotidien Umanità Nova. En 1918, il part soldat au front, il écrit : On combat et l’on meurt. Les violettes poussent sur le sol baigné de sang, le long des fossés d’eau rouge
.
Il termine ses études à l’université de Florence et commence à enseigner comme professeur de philosophie. Persécuté par le fascisme (en tant qu’enseignant ; il s’était refusé à prêter fidélité au régime) il fut contraint de s’exiler. En 1926, il se réfugie en France, mais la police française ne lui laisse pas de répit. Il est au centre du mouvement antifasciste et est l’objet d’arrestations et d’expulsions continuelles de France, de Suisse, Allemagne, Belgique, Luxembourg et Hollande.
D’une prison belge, il écrit en 1930, en français, à Giliana, une de ses deux filles : un jour peut-être tu sauras combien papa a aimé ta maman et vous autres, bien qu’il ait fait si souvent souffrir la première et bien qu’il n’ait pas été tendre avec vous
.
La même année, il écrit à Luigi Fabbri et se définit :
Ce qui est curieux, c’est que d’un côté je suis poussé à la politique militante, de l’autre, dans le domaine culturel, mes études préférées sont ou d’une érudition très particulière (j’ai gâché tant de temps à des choses bouffonnes : psychologie, zoologie, télépathie, etc.) ou terriblement abstraites (j’ai un gros livre, de matériel, sur le finalisme). Il en résulte un malaise général.
Il explique ses conceptions :
Plus je lis notre presse et plus je crois rêver. (...) Si je m’en prends à l’individualisme, c’est parce que, que peu d’importance numérique, il a réussi à influencer presque tout le mouvement. (...) Mon rêve est de susciter l’examen d’une grande série de problèmes, puis, en rassemblant les remarques critiques, les annotations, les solutions, etc. de ceux qui en parleront, d’arriver à un programme pour I932 ou 1933, pour le présenter comme programme d’un groupe d’anarchistes, qui laissent vivre en paix les autres, mais qui veulent marcher sur une route à eux.
Vers la même époque, il aborde le problème de l’organisation :
Il faut sortir du romantisme. Voir les masses, dirai-je, en perspective. Il n’y a pas le peuple, homogène, nais les foules, variées, séparées en catégories. Il n’y a pas la volonté révolutionnaire des masses, mais des moments révolutionnaires, dans lesquels les masses sont un énorme levier. (...) Si nous voulons arriver à une révision potentielle de notre force révolutionnaire non négligeable, il faut que nous débarrassions le terrain des apriorismes idéologiques et de la remise à demain commode du règlement des problèmes tactiques et reconstructifs. Je dis reconstructifs parce que le plus grand danger d’arrêt et de déviation de la révolution est dans la tendance conservatrice des masses. (Volontà, 1952, p. 400)
Et 1934 environ, Berneri publie à Paris Le Juif Antisémite [*]. Ce livre est particulièrement remarquable car alors l’antiracisme était un sujet moins abordé qu’aujourd’hui et les conclusions de Berneri sont toujours actuelles. André Spire, poète et sioniste, le qualifia alors : un livre de première importance
.
À la nouvelle de l’insurrection en Espagne, Berneri décide de partir immédiatement. Il prend part aux combats de Monte Pelado (28 août 1936) et de Huesca (3 septembre). Il participe activement aux côtés de Carlo Rosselli [1] à la défense militaire et se consacre à la propagande. Il fonde et dirige, à Barcelone, le journal Guerra di Classe ; de Radio-Barcelone, il parle au peuple italien.
Berneri critique âprement ce qui lui semble erroné dans la conduite de la guerre :
Il apparaît avec évidence qu’il faut passer de la guerre de positions à une vaste guerre de mouvement, déchaînant l’offensive sur un plan d’ensemble vaste et solide. Le temps est désormais contre nous.
Solidaridad Obrera, en exaltant le gouvernement bolchevique de l’URSS, a, soit dit entre parenthèses, atteint le sommet de l’ingénuité politique.
Pilate est aussi infâme que Judas. Qui est Pilate aujourd’hui ? Ce n’est pas seulement l’assemblée des renards genevois, ce ne sont pas seulement les autruches du ministérialisme social-démocrate. Pilate, c’est toi, prolétariat européen !
Dans L’État et la Révolution, Lénine déguisait les choses, Les marxistes “ne se proposent pas la destruction complète de l’État”, mais ils prévoient la disparition naturelle de l’État comme conséquence de la destruction des classes au moyen de le "dictature du prolétariat", c’est-à-dire du Socialisme d’État, tandis que les anarchistes veulent la destruction des classes au moyen d’une révolution sociale qui supprime avec les classes, l’État. Les marxistes, en outre, ne proposent pas la conquête armée de la Commune par tout le prolétariat, mais ils proposent la conquête de l’État par le parti qu’ils supposent représenter le prolétariat. Les anarchistes admettent l’usage d’un pouvoir direct par le prolétariat, mais ils comprennent l’organe de ce pouvoir comme formé par l’ensemble des systèmes de gestion communiste – organisations corporatives, institutions communales, régionales et nationales – librement constitués en dehors et à l’encontre de tout monopole politique de parti, et s’efforçant de réduire au minimum la centralisation administrative. Lénine, dans des buts polémiques, simplifie arbitrairement les données de la différence qui existe entre les marxistes et nous.
Le 14 avril 1937, il envoie une lettre ouverte à Federica Montseny, une des ministres anarchistes :
La base d’opération de l’armée fasciste est le Maroc. Il faut intensifier la propagande en faveur de l’autonomie marocaine...
L’heure est venue aussi de clarifier la signification unitaire que peut avoir notre participation au gouvernement. (...) Appeler les masses à juger si certaines manœuvres de sabotage du ravitaillement ne rentrent pas dans le plan annoncé le 17 décembre 1936 par la Pravda.
(et Berneri cite celle-ci) :
Quant à la Catalogne, l’épuration des éléments trotskystes et anarcho-syndicalistes est commencée ; cette œuvre sera conduite avec la même énergie qu’elle a été conduite en-URSS.
(...) Le dilemme : guerre ou révolution n’a plus de sens. Le seul dilemme est celui-ci : ou la victoire sur Franco grâce à la guerre révolutionnaire, ou la défaite.
Dans une lettre à sa compagne, il écrivait le 25 avril 1937 : Moi qui dans le danger immédiat ne suis pas peureux en général, je suis, parfois, pris par la peur de la mort, sans qu’il y ait une raison particulièrement objective
.
Dans la nuit du 3 au 4 mai, il écrivait à sa seconde fille Marie-Louise :
Que de mal font les communistes ici aussi ! Il est presque deux heures et je vais au lit. La maison cette nuit est en armes. Je me suis offert à rester levé pour laisser les autres aller dormir et tous ont ri, disant que je n’entendrais même pas le canon (il était un peu sourd) mais après, un à un, ils ont fait dodo et je veille pour tous, travaillant pour ceux qui viendront. C’est la seule chose entièrement belle. Plus absolue que l’amour et plus vraie que la réalité elle-même. Que serait l’homme sans ce sens du devoir, sans cette émotion de se sentir uni à ceux qui furent, qui sont loins, ignorés, et qui viennent. *
Parfois je pense que ce sens messianique n’est qu’une évasion (...) quel qu’il soit, il est certain que les sentiments les plus intenses sont les plus humains.
On peut perdre ses illusions sur tout et sur tous, mais non sur ce qu’on affirme par la conscience morale. S’il m’était possible de sauver Bilbao avec ma vie, je n’hésiterais pas un instant. (...)
Tout ce qui est dit plus haut est d’une solennité un peu ridicule pour quiconque ne vit pas ici. Mais peut-Être qu’un jour, si je peux te parler de ces mois, tu comprendras.
Dans la nuit du 5 au 6 mai, les cadavres de Berneri et du camarade Barbieri sont trouvés parmi d’autres. Ils avaient été arrêtés par la police, dirigée par les communistes russes.
Sur cette mort, aucun doute ne subsiste, et Pietro Nenni lui-même, qui pourtant n’aime guère les anarchistes, reconnaît dans son livre La guerre d’Espagne, (p.75) parlant du terrorisme :
Les polémiques les plus virulentes furent concentrées sur des cas d’une gravité indubitable dans lesquels il était facile de reconnaître la main des communistes. Ainsi ce fut le cas pour l’anarchiste italien Camillo Berneri, enlevé de sa prison à Barcelone et tué à coups de revolver...