En Catalogne, à la veille du coup d’État nationaliste, la situation des unités d’artillerie s’établit comme suit : La 4e division militaire regroupe le 2e régiment d’artillerie lourde (Gerona), le 8e régiment d’artillerie légère (Marato) et le 2e régiment d’artillerie de montagne (Barcelone). Un second régiment d’artillerie légère, le 7e de Barcelone relève, pour sa part, de la 5e région militaire.
Place forte de première importance avec Madrid, Barcelone héberge également le 2e groupe d’information de l’artillerie ainsi que le parc de corps d’armée. Atout majeur dans le jeu des généraux factieux, cette masse importante d’hommes et de matériel (plus de 2 000 soldats dont une majorité de jeunes recrues), sera lancée à l’assaut des bâtiments officiels. De son attitude dépend, en grande partie, le succès des rebelles.
Les canons de Barcelone
Sous les injonctions de ses officiers, le 7e régiment tente, non sans résistances internes, de gagner le cœur de la cité par deux itinéraires différents. Pratiquement dépourvues d’infanterie, ces forces se heurtent rapidement aux gardes d’assaut restées fidèle au Gouvernement républicain et aux syndicalistes CNT armés. Alors qu’un second combat d’artillerie s’engage à l’ouest de la ville, le 2e régiment d’artillerie de montagne sort de la caserne des Docks avec une infanterie d’accompagnement, mais doit se replier sous la pression populaire. Vers 10 heures du matin, ce 19 juillet 1936, des signes flagrants de fléchissement apparaissent au sein de la troupe : c’est alors qu’on observe des scènes de fraternisation. Le soir, ne résiste plus que le parc d’artillerie de San Andrés, où les officiers putschistes tentent sans succès un ultime « baroud d’honneur »... Les unités stationnées à Mataro et Gerona, un instant placées en état d’alerte, basculent finalement dans le camp loyaliste. A l’échelle de la Catalogne, le soulèvement militaire est un échec cuisant.
Cependant, dans les provinces voisines d’Aragon, la situation est tout autre et de nombreuses villes de l’ouest, dont Saragosse, sont restées aux mains des militaires insurgés.
L’artillerie des Milices
Le 24 juillet, à midi, la première des milices catalanes, la célèbre colonne Durruti (CNT-FAI), quitte Barcelone en direction de Saragosse. L’artillerie est organisée par le sergent Manzana, membre des comités antimilitariste de la CNT. Manzana sera bientôt épaulé par un trio de capitaines principalement occupés, dans un premier temps, à regrouper les pièces récupérées sur les unités régulières catalanes. L’ensemble est chapeauté par un responsable délégué, siégeant au Comité de Guerre de la colonne Durruti.
Au nord, la colonne Pirenaica, sous la direction du comandant Mariano Bueno, avance en direction de Huesca. Cette unité comprend environ 1 500 miliciens et deux batteries de 105 de six à huit pièces. Plus au sud, une formation équivalente du Parti Socialiste Unifié de Catalogne tente de déployer ses trois batteries d’artillerie improvisées. En fait, chacune des nombreuses colonnes s’ingénie à regrouper ses pièces d’artillerie en une formation cohérente.
Pourtant de nombreux problèmes subsistent.
A la suite de l’échec du soulèvement militaire, la plupart des officiers d’artillerie parfaitement conscients de leur potentiel technique [1], est en fuite. D’autre sont emprisonnés ou abattus (s’ils ont participé activement au coup d’État). Les quelques officiers loyaux ont, de toute façon, perdu la confiance des recrues et il n’est alors pas rare de voir un sergent propulsé à la tête d’une batterie [2]. Les équipes de pièces, disloquées lors des combats urbains, sont complétées par des volontaires enthousiastes mais dépourvus des connaissances les plus élémentaires nécessaires au maniement d’armes aussi complexes. Dans des cas extrêmes, l’absence de pointeur peut se révéler dramatique et aboutir à un gaspillage important de munitions. Mais les tirs, même approximatifs, concourent cependant à soutenir le moral des miliciens.
Plus grave peut-être, les projectiles trop souvent périmés sont en nombre toujours insuffisant. Quant aux équipes de pièces, manquant du matériel d’optique et de mesure le plus élémentaire (lunettes, jumelles, niveau de pointage...), elles suivent les évolutions du front sur des cartes Michelin, fort répandues en Espagne à cette époque.
Dans ces conditions, l’artillerie des milices ne pouvait être que d’une efficacité restreinte, du moins dans un premier temps. Durant les mois qui suivirent, ces ouvriers, profondément antimilitaristes pour la plupart, montreront cependant qu’ils sont capables de riposter efficacement au pilonnage nationaliste. Cette performance sera rendue possible grâce aux prouesses de l’industrie catalane, associées à une expérience toujours chèrement acquise sur le terrain.
Ces formations avaient hérité en fait de l’équipement totalement obsolète de l’ancienne armée, simple instrument de police intérieure et siège d’une gabegie inimaginable. La dotation comprenait principalement de vieux obusiers Schneider de 155 et des canons de 75 de même origine. Quant aux servants, vêtus de combinaisons « mono » et chaussés d’espadrilles, ils ne se distinguent guère, en cet été 1936, de la grande masse des miliciens : le peuple en armes.