Très honoré professeur,
Je vous suis redevable de la guérison d’une grave hystérie que votre élève, le docteur Otto Gross, de Graz, a obtenue sur moi d’après votre méthode. J’espère que le récit d’un patient, sur un traitement cathartique tout à fait réussi, présente assez d’intérêt pour vous pour excuser cette lettre.
Je souffrais de symptômes pathologiques graves : une forte irritabilité qui conduisait à des accès de rage, se terminant par des états nébuleux pendant lesquels je restais étendu, privé de tout contrôle de mes sens, et sans pouvoir rassembler l’énergie nécessaire pour bouger et agir. Parfois, les attaques conduisaient à des états de complète confusion mentale et amenaient même un dysfonctionnement de certains sens, tels qu’une totale cécité temporaire.
Le docteur Gross, avec qui j’entretenais des relations amicales, me parla abondamment de la méthode et m’accepta en traitement à ma demande. La réussite dépassa toutes les espérances. Je fus complètement guéri en l’espace d’environ six semaines. Je souhaiterais que les observations que j’ai faites durant le traitement ne vous restent pas inconnues. (...)
Je remarquai progressivement comment la capacité naissante à ramoner les symptômes de ma maladie à leurs causes profondes entraînait toujours davantage leur disparition, et je pouvais parfois constater comment, soudain, un pan entier de maladie se détachait de moi grâce à une question du médecin et à la réponse qui s’ensuivait avec ses associations. De même, en dehors des séances et après la fin du traitement, la méthode fonctionnait toujours en moi, automatiquement : en me fixant spontanément sur un objet, un mot, une impression, je me libérais des cryptomnésies [1] ; j’étais ainsi dégagé d’autres inhibitions pesantes.
Comme écrivain, j’étais bien sûr particulièrement intéressé par le fonctionnement de votre système. A mon avis, sa valeur résidait surtout dans le fait que la tâche du médecin était essentiellement de faire en sorte que le patient devienne son propre médecin. Le patient commence par diagnostiquer sa pathologie. Sur cette base, il dirige alors son propre traitement. Il est amené à ne plus s’intéresser à lui-même, individu souffrant, mais à la souffrance elle-même. Il objective sa maladie. Il ne se considère plus comme important en tant que patient à plaindre, martyr affectif et hystérique cherchant la guérison, mais au contraire comme un médecin, non plus comme quelqu’un qui ressent la maladie mais comme quelqu’un qui l’observe. Cette transformation de sensations subjectives en valeurs objectives est le processus de la guérison.
J’avais craint que le traitement puisse paralyser ma productivité de poète, car la production artistique consiste finalement dans la projection directe, sans élaboration intellectuelle, de processus subconscients (Jans un vécu sensoriel. Je croyais que la simple modification psychologique d’un tel processus suffirait, dans l’avenir, à mettre en œuvre un jugement intellectuel le concernant. Aujourd’hui, je peux déclarer avec joie que cette crainte ne s’est pas réalisée. Au contraire, mon psychisme est devenu plus sensible, grâce à la suppression d’innombrables phénomènes gênants qui s’étaient placés autour du noyau de mon être. Il a réagi plus facilement à des influences qui stimulent la production artistique. (...)
Je vous remercie tous les deux pour la libération d’un poids immense qui m’écrasait et l’enrichissement de connaissances infiniment précieuses. (...)
Votre très dévoué Erich Mühsam, écrivain
(Munich, le 28 mai 1907)