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Louis Lecoin - En marge de l’organisation [02]

lundi 25 janvier 2021, par Sylvain Garel (Copyright)

Entre temps a commencé la lutte entre synthésistes et plateformistes au sein du mouvement libertaire. Lecoin bien qu’il se défiait des comités où majoritaires et minoritaires s’opposent retardant les décisions [1], joue un rôle important dans cette controverse.

Les plateformistes sous l’impulsion des exilés russes Makhno et Archinov sont partisans d’une organisation anarchiste puissante et unie au point de vue idéologique et tactique [2] et veulent se démarquer des individualistes. Les synthétistes trouvent ces positions contraires à l’éthique et à la tradition libertaires et pensent que les trois courants anarchistes (anarcho-syndicaliste, communiste libertaire et individualiste) peuvent coexister et former une synthèse.

Le congrès de l’UA à Orléans les 12, 13 et 14 juillet 1926, évite la scission entre les deux tendances. Un manifeste est proclamé, il réaffirme les positions des synthésistes tout en faisant des concessions aux plate-formistes. L’UA devient Union Anarchiste Communiste (UAC). Lecoin dans un article du Libertaire se félicite que l’unité triomphe [3].

Mais l’abcès n’est pas vidé ; le congrès de Paris des 30 octobre et 1er novembre 1927 marque la rupture entre les deux courants. Les plate-formistes, majoritaires, prennent le contrôle de l’UAC de nouveau transformée en Union Anarchiste Communiste Révolutionnaire (UACR). Trois tendances se déterminent :

1) Un courant majoritaire qui, rejetant l’incohérence et la dispersion des efforts résultant de l’individualisme irresponsable, estimait que l’action de ses groupes ou de membres isolés ne peut être efficace qu’en se trouvant en concordance avec l’idéologie et la tactique générale de l’organisation...
2) Un courant minoritaire qui, quoi qu’en désaccord sur la nouvelle orientation violant, selon lui, les principes anarchistes, décidait de rester dans l’organisation pour les défendre contre leurs détracteurs.
3) Un courant scissionniste, d’accord avec les minoritaires pour la défense du traditionalisme anarchiste, mais refusant d’appartenir plus longtemps à une organisation qu’il assimilait à un parti [4].

Lecoin soutient la deuxième tendance et demeure à l’UACR, malgré le départ de Sébastien Faure qui fonde l’Association des Fédéralistes Anarchistes (AFA). Pendant un an Lecoin reste en retrait, il ne participe pas au congrès d’Amiens en août 1928 où il est néanmoins élu à la Commission administrative. Voyant l’UACR s’affaiblir, Lecoin et quelques compagnons synthétistes lancent une offensive en vue du congrès d’avril 1930. Ils demandent que le congrès soit ouvert aux abonnés du Libertaire ainsi qu’à I’AFA de Sébastien Faure [5]. Les plateformistes refusent ; Lecoin revient à la charge [6] et obtient qu’un vote ait lieu sur la question. La Commission administrative décide que le congrès soit élargi.

Lecoin et une trentaine de militants publient alors un « Manifeste des Anarchistes Communistes » [7]. Ils y réaffirment les principes de base de l’anarchisme, rejettent l’idée d’une armée post-révolutionnaire et appellent à l’unité des anarchistes. Lecoin rédige un cinquième du texte et se charge de recueillir les signatures des militants favorables. La tâche lui vaut d’être la cible des plateformistes : Lecoin et sa tendance croient en imposer à quelques-uns par cette espèce de coup de force moral qui dénote une intransigeance voisine des chefs bolchévistes [8].

Pendant le congrès, Lecoin défend ardemment les principes du « Manifeste ». L’autonomie des groupes est réaffirmée, les synthétistes triomphent. Sébastien Faure collabore de nouveau au Libertaire et I’AFA rejoint l’UA en 1934.

Au cours du congrès, Lecoin prend la défense de l’objection de conscience contre les plateformistes : Toute la beauté du geste repose sur les gestes individuels. Ce sont de tels gestes qui nous ont fait connaître et aimer du peuple [9]. Pourtant Lecoin n’a pas toujours eu cette position. Comme la plupart des anarchistes, au lendemain de la Première Guerre mondiale, il demeure opposé à l’objection de conscience. Les libertaires refusent de demander à l’État, le droit de ne pas faire la guerre et préfèrent appeler à la grève insurrectionnelle en cas de mobilisation. Lors d’un congrès de la Paix, organisé du 17 au 22 août 1926, par la Jeunesse Chrétienne, il fustige les objecteurs. Un mois plus tard il rédige un long article sur le sujet : [...] Des camarades de la tendance du Semeur [10] menèrent particulièrement dans cet organe, une ardente campagne en faveur de la reconnaissance par nos gouvernants de l’objection de conscience, c’est-à-dire le droit légal pour le consciencus objector d’être soustrait aux risques de tuer ou d’être tué pendant la guerre si la preuve était administrée par lui et des témoins, qu’avant la déclaration de la guerre il était un anti-guerrier convaincu.

Thèse extrêmement dangereuse, salement égoïste et nettement anti-révolutionnaire.

Les anarchistes, qui ne séparent point leur sort de tout le peuple, n’accepteront pour rien au monde de se placer eux mêmes sur la bouche le haillon, ils ne veulent à aucun prix d’une exemption officielle qui les rendrait solidaires des officiels dans le plus grand des crimes. [11].

Mais comme la plupart de ses compagnons, Lecoin prend peu à peu conscience de l’impossibilité actuelle, pour les anarchistes de trans-former la guerre en révolution. Et lorsque son ami Pierre Odéon, refuse de se présenter au titre de réserviste en décembre 1929 et est arrêté, il prend sa défense dans le Libertaire : Odéon sait très bien que le problème social, à la solution duquel nous travaillions, ne sera résolu que par une révolution. Mais je ne pense pas qu’en attendant cette révolution il soit interdit d’agir individuellement, selon ses goûts, sa force de volonté et son ouvrage. [12].

L’unité étant faite, Lecoin se retire à nouveau. Il est devenu un militant « exceptionnel » qui intervient lorsque les événements l’exigent. Jusqu’au début de la guerre civile espagnole il participe peu à la vie du mouvement libertaire. Il préfère se consacrer à la défense de nombreux exilés politiques au sein du Comité pour le Droit d’Asile. Il sollicite l’appui de nombreuses personnalités et soutien le vote d’une loi protégeant les réfugiés. Ces activités lui valent l’estime des différentes communautés de libertaires étrangers installés, à cette époque en France. Elles lui valent également des reproches sévères de certains membres de l’UA. Le groupe d’Action Anarchiste de Marseille demande : La suppression du Comité du Droit d’Asile qui est un groupe dont les principes et les méthodes sont contraires aux principes généraux de l’anarchisme.  [13] Lecoin n’en a cure et poursuit son action.


[1Nicolas Faucier, correspondance personnelle.

[2Extrait de l’appel de Makhno aux anarchistes français en avril 1930.

[3Le Libertaire, 13 août 1926.

[4Nicolas Faucier, « Souvenirs d’un permanent anarchiste 1927-1929 », Le mouvement social , avril-juin 1973, p. 47-48.

[5 Le Libertaire, 14 décembre 1929.

[6Le Libertaire, 25 janvier 1930-8 février 1930.

[7Le Libertaire, 15 mars 1930.

[8Le Libertaire, 22 mars 1930.

[9Le Libertaire, 26 avril 1930.

[10Journal libertaire dirigé par Alphonse Barbe.

[11Le Libertaire, 17 septembre 1926.

[12Le Libertaire, 21 décembre 1929.

[13Le Libertaire, 31 janvier 1971.