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III. L’Attitude des communistes révolutionnaires dans la lutte des classes

dimanche 22 décembre 2024, par Christian Cornélissen (CC by-nc-sa)

Ce qui fait la force des communistes révolutionnaires dans la lutte et épouvante la bourgeoisie, ce qui leur attire la sympathie de tous les oppri­més, de tous les déshérités, c’est leur dévouement inflexible aux principes révolutionnaires, qui imposent avant tout le devoir de renverser les bases de la société capitaliste telle qu’elle a été jusqu’ici. Du moment que les com­munistes quittent ce terrain, pour entrer dans le domaine des réformes par­lementaires, ils s’exposent à perdre non seulement la confiance dont ils jouis­saient auprès du prolétariat conscient, mais aussi le respect et la crainte qu’ils avaient su inspirer aux classes dirigeantes.

Les communistes révolutionnaires ne cherchent pas un succès immédiat de leur propagande, par la parole et par le fait, parmi une population habi­tuée à l’esclavage du salariat et dans un milieu corrompu ; ce ne sont pas les résultats immédiats à obtenir qu’ils jugent décisifs pour apprécier l’uti­lité de leur travail, mais c’est la direction qu’ils donnent au développement du genre humain.

Les communistes n’ayant pas en vue un intérêt matériel, égoïste dans leur action, ne demandent pas comme récompense pour leur travail des places de directeur ou d’administrateur dans des sociétés coopératives, ou des man­dats de représentant à la Chambre ; chaque fois qu’ils hésitent sur l’attitude à prendre dans la lutte de classe contre d’autres groupes ou partis, ou vis-à-vis des nouveaux mouvements qui se forment, dans le cadre de la société actuelle, ils doivent se poser ces questions :

Est-ce que par notre action nous pouvons favoriser, dans l’intérêt actuel de l’humanité, la transformation de la propriété privée en propriété collec­tive, base de toute amélioration à la situation matérielle des hommes et de toute liberté ?

Est-ce que, si nous ne pouvons pas directement favoriser le communisme, nous pouvons au moins secouer l’esprit lourd des éléments les plus arriérés de la classe ouvrière, de manière à pouvoir faire surgir parmi les prolétaires les idées révolutionnaires pour lutter contre l’oppression des classes diri­geantes ; détruire peu à peu dans les masses le respect de la propriété privée, en développant à cet effet les sentiments d’indépendance et de dignité personnelles parmi les travailleurs ? Est-ce que nous pouvons préparer nos concitoyens à une forme de vie plus élevée, à la forme communiste ?

C’est seulement en s’inspirant de ces principes et bien décidés à ne pas s’en écarter, ni à droite, ni à gauche, qu’il sera possible aux communistes révo­lutionnaires de fixer la conduite qu’ils auront à tenir et la position qu’ils devront occuper dans la lutte pour l’émancipation de la classe ouvrière, vis-à-vis des partis et groupes différents, qui se trouvent déjà engagés sur le champ de bataille, ou qui pourront y arriver dans l’avenir.

En ce qui concerne les petits propriétaires qui, sans ou avec les dettes qui les écrasent, possèdent encore leur parcelle de terre et leurs instruments de travail, les socialistes révolutionnaires et les communistes anarchistes doivent les considérer comme représentants d’un mode de production déjà passé et suranné, et qui, sous des formes plus ou moins résistantes, se montre encore dans tel pays plus vivace que dans un autre.

Ce sont les petits propriétaires qui, par leur esprit et par leurs tendances conservatrices, sont l’obstacle à la transformation du sol et des moyens de travail en propriété collective.

Ainsi, tandis que nous, communistes, nous nous posons en adversaires de la noblesse propriétaire qui représente encore la propriété féodale, ainsi que des propriétaires grands et moyens, nous pourrions marcher la main dans la main avec les petits propriétaires et les fermiers, si au moins ils arrivaient à comprendre que leur existence ne peut pas être assurée sans la disparition, complète aussi, de leur propriété privée qui, d’ailleurs, n’existe le plus sou­vent qu’en apparence.

En tant qu’ils s’efforcent de rétablir, par une législation protectrice, leur ancienne situation de travailleurs indépendants, de petits propriétaires, ils ne sont pour nous que des réactionnaires qu’on doit combattre.

La tâche que nous avons à remplir est de favoriser le passage des moyens de production, dans ce cas-ci la terre, en propriété collective, mais non de rendre plus légers aux fermiers et aux paysans indépendants les dettes et les impôts qui les oppriment.

Les communistes anarchistes et les socialistes révolutionnaires sont en principe des adversaires décidés de toutes mesures ayant pour but de proté­ger les petits propriétaires et les fermiers, telles que les a proposées le Parti Ouvrier de France au congrès de Marseille (1892), et complétées plus tard par le congrès de Nantes en 1894, et que l’on trouve formulées dans le pro­gramme agricole du dit parti dans les termes suivants :

« Achat par la commune, avec le concours de l’État, de machines agri­coles, ou location de ces machines, mises gratuitement à la disposition des petits cultivateurs ;

« Création d’associations de travailleurs agricoles pour l’achat d’engrais, de drains, de semences, de plantes, etc., et pour la vente des produits ;

« Caisse de retraite agricole pour les invalides et les vieillards ;

« Réduction par des commissions d’arbitrage, comme en Irlande, des baux de fermage et de métayage, et indemnité aux fermiers et aux métayers sor­tants pour la plus-value donnée à la propriété ;

« Suppression des droits de mutation pour les propriétés au-dessus de 5,000 francs ;

« Revision du cadastre et, en attendant la réalisation de cette mesure géné­rale, revision parcellaire par les communes. »

Des mesures pareilles ne sont, tout au plus, que de petites réformes qu’on peut réaliser dans le cadre de la société bourgeoise et qui, ne pouvant que lui servir de soutien, ne pourraient figurer en conséquence que dans un pro­gramme radical, mais point dans un programme communiste.

Quant à d’autres mesures de ce genre, telles que la revision du cadastre et la suppression des charges qui frappent la petite propriété, ces réformes ont un caractère conservateur et même réactionnaire, car elles ont pour but de maintenir la petite propriété et de la codifier d’une manière plus satisfai­sante, pour qu’elle puisse continuer à subsister, malgré qu’elle soit menacée par le progrès du mode de production capitaliste.

En général on peut dire que toutes ces réformes n’ayant d’autre but que de protéger les petits cultivateurs et les fermiers, comme propriétaires ou pseudo-propriétaires, ont pour base le régime capitaliste en vigueur qu’elles fortifient ou au moins qu’elles sont destinées à fortifier.

Ainsi ces réformes n’exercent pas seulement une influence réactionnaire, mais elles ont aussi un caractère utopiste, la marche de l’évolution ne pou­vant être arrêtée à la fin, non plus par les soi-disant socialistes, qui les ont formulées.

Voici en effet les considérants que ces pseudo-socialistes du « Parti Ouvrier » ont développés au congrès de Nantes en 1894, pour justifier ces réformes :

Si, dans le domaine industriel, les moyens de production ont déjà atteint un tel degré de centralisation capitaliste qu’ils ne peuvent être restitués aux producteurs que sous la forme collective ou sociale, il n’en est pas de même actuellement (le Parti Ouvrier parle spécialement de la France) dans le domaine agricole ou terrien.

Pour les communistes révolutionnaires ces considérants signifient seule­ment que pendant longtemps encore il faudrait renoncer à l’espoir de réaliser les principes communistes en matière de propriété foncière, et que pour le moment on devrait se borner à favoriser des réformes contraires à ces mêmes principes. Ainsi les communistes révolutionnaires peuvent regarder ces considérants comme un démenti infligé aux principes socialistes d’an­tan [1].

Nous, communistes révolutionnaires, nous regrettons que pour gagner des voix dans les campagnes, nécessaires à faire nommer des députés socia­listes, on n’ait pas hésité à renier les principes communistes et à favoriser la petite propriété dans les différents pays, comme l’Allemagne (l’Allemagne du Sud surtout), la France, la Belgique et le Danemark, pays qui ont un pro­létariat bien organisé. Il est à craindre que le désir de conquérir le pouvoir ne crée un péril sérieux pour le socialisme international.

Nous croyons de notre devoir de signaler publiquement cet abandon des principes communistes. Ces phraséologues de petits bourgeois, qui voudraient passer pour socialistes et qui nous ennuient avec leur « conquête du pou­voir » dans les parlements bourgeois, devraient renoncer au nom de com­munistes.

Il est nécessaire de tracer une ligne de démarcation bien nette entre ces mesquins réformateurs parlementaires et les communistes révolutionnaires.

Ces derniers ne peuvent soutenir que les revendications suivantes :

Expropriation sans indemnité de toute propriété immobilière ;

Socialisation de toute propriété foncière et exploitation par les communes dans l’intérêt général, de la manière qui sera indiquée par l’assem­blée populaire de chaque commune.

Tant que ces principes ne seront pas complètement appliqués, les com­munistes, comme révolutionnaires, favoriseront tout essai d’opposition et toute manifestation de sentiments révolutionnaires de la part des fermiers et des paysans, en leur montrant qu’ils agissent d’après nos principes communistes ; ils aideront les fermiers et les paysans, lorsque ceux-ci refuseront de payer les dîmes et les autres charges dues à l’État aussi bien qu’aux provinces et aux communes, aux propriétaires fonciers et aux capitalistes ; viendront à leur secours dans le cas où les dîmes sont affer­mées ; feront de la propagande dans les campagnes pour obtenir que, dans tous les affermages de terrains et de fermes, ainsi que pour l’achat, les paysans agissent d’un commun accord, à l’effet de faire baisser les prix de vente ou le montant des fermages ; les communistes révolutionnaires prépareront de la sorte, par des moyens pratiques, la population rurale à l’abolition des fermages et des hypothèques, par la socialisation de la terre dans l’intérêt de ceux qui la cultivent directement.

Quant à la petite bourgeoisie, les socialistes révolutionnaires et les communistes anarchistes prendront la même position que vis-à-vis des petits propriétaires, paysans ou fermiers.

Pour autant que la petite bourgeoisie — petits commerçants, petits fabri­cants, employés, médecins, artisans indépendants (petits patrons) et les plus favorisés parmi les ouvriers de l’industrie — ne réclame que des réformes pouvant être réalisées dans les cadres du régime capitaliste et introduites par la législation bourgeoise de nos jours ; pour autant que cette petite bourgeoisie ne demande que la diminution des impôts qui l’oppriment, l’augmentation des heures de repos, la fixation d’une journée de travail équitable avec un salaire minimum, il faut qu’elle s’adresse aux partis de la bourgeoisie, qui sont les plus avancés : les radicaux bourgeois et les démo­crates chrétiens, ainsi qu’au groupe des socialistes parlementaires, qui penchent de leur côté.

Seulement, pour autant que la petite bourgeoisie, voyant son appauvris­sement lent mais progressif, l’aggravation de son assujettissement sous le régime de la grande industrie, sa ruine inévitable et sa précipitation dans le prolétariat qui s’accomplit sous nos yeux, veut nous aider à socialiser les moyens de production dans l’intérêt des producteurs, elle nous peut fournir des éléments précieux pour favoriser le mouvement ouvrier contemporain.

Ainsi les communistes révolutionnaires appuieront, en même temps que les petits propriétaires qui cultivent eux-mêmes leur terre et les fermiers, la petite bourgeoisie contre le capitalisme et contre les gouvernements bour­geois, partout où il s’agit de fortifier les sentiments d’indépendance et de favoriser l’opposition révolutionnaire des opprimés contre les classes diri­geantes et la solidarité entre tous les opprimés. C’est pourquoi les commu­nistes révolutionnaires soutiendront le refus de payer l’impôt, l’empêche­ment des ventes par autorité de justice à cause de dettes, lorsque les débiteurs méritent d’être aidés, et le mouvement des locataires contre les propriétaires de maisons si souvent impitoyables ; partout où ces mouve­ments se produisent non seulement dans les masses prolétariennes, mais aussi dans les milieux de la petite bourgeoisie.

Les syndicats professionnels et les associations des ouvriers des grands ateliers et des fabriques, où travaillent ensemble des ouvriers de différents métiers, sont considérés par les communistes révolutionnaires comme les cellules de la société de l’avenir ; comme les associations qui, successivement changées de caractère et devenues des organisateurs de production après avoir été des instruments de lutte, sont appelées dans la communauté socia­liste de remplacer les entrepreneurs capitalistes de la société actuelle.

Par suite des progrès de l’humanité dans le domaine de l’intelligence, et de la moralité, et de la participation, de plus en plus grande aussi parmi les masses du peuple à l’étude des différentes sciences, finira par tomber la muraille chinoise qui avait fermé jusqu’ici l’accès aux professions libérales, pour lesquelles l’instruction universitaire est nécessaire à tous ceux qui n’appartenaient pas aux classes possédantes. C’est ainsi que disparaîtra, en même temps, le mépris qui s’attachait à certaines catégories d’ouvriers, qui accomplissent un travail grossier et qui sont appelés les ouvriers non qualifiés.

Une fois que les moyens de production et de consommation auront été socialisés, viendra aussi à disparaître l’antithèse, qui existe encore aujour­d’hui entre les travailleurs de l’intelligence et les travailleurs manuels, n’ayant plus aucune raison d’être.

En même temps, par suite du déplacement du centre de gravité de la production qui passera des hommes ayant des capacités techniques, pro­fessionnelles, aux ouvriers au service des machines, c’est-à-dire des profes­sions spéciales aux ateliers généraux, les cloisons entre les différents métiers seront nivelées peu à peu dans la société capitaliste moderne.

Les associations professionnelles, telles qu’elles fonctionnent actuellement parmi les ouvriers syndiqués, changeront complètement de caractère à mesure que l’évolution sociale avancera dans sa marche, non seulement par rapport à la structure de leur organisation, mais aussi par le but qu’elles doivent avoir dans une société communiste.

Ayant été appelées dans la société capitaliste moderne à contre-balancer, par leur force et leur résistance, la situation économique privilégiée que les capitalistes isolés ou réunis en syndicats ou trusts prennent de plus en plus, ces organisations deviendront dans la communauté communiste les associations spéciales, ayant la haute direction de la production et de la distribution des richesses. Dans une société communiste les producteurs ne seront pas seulement les propriétaires du sol et des moyens de travail, mais ils régleront aussi les conditions sous lesquelles le travail doit être exécuté.

Les socialistes révolutionnaires et les communistes anarchistes n’oublie­ront jamais que les organisations ouvrières, de nos jours, ont un double caractère : l’un décisif pour le présent et l’autre pour l’avenir. C’est pour­quoi ils appuieront les ouvriers organisés, partout où ils peuvent augmen­ter la puissance des organisations ouvrières vis-à-vis des employeurs ou paralyser la puissance de ces derniers.

Dans les cas où des grèves, des boycottages ou des mouvements de salaires viennent à se produire, pourvu qu’ils soient préparés avec la pru­dence voulue et que leur nécessité soit reconnue par les syndicats ouvriers, les communistes révolutionnaires les appuieront autant que possible. Ils se croient appelés là où ils se trouvent dans tels mouvements d’y repré­senter la puissance menant et poussant les éléments révolutionnaires.

A l’aide de ces mouvements les communistes révolutionnaires s’efforce­ront de réveiller l’esprit d’opposition contre l’oppression, ainsi que les sentiments révolutionnaires qui sommeillent dans les cœurs de millions et de millions de prolétaires inconscients, exploités et abrutis ; ils chercheront à réunir ensemble, à fondre les grandes forces latentes dans le sein du prolé­tariat, et qu’on pourra rendre utiles pour l’organisation d’une forme sociale supérieure.

Les socialistes révolutionnaires et les communistes anarchistes produi­ront dans les syndicats professionnels les éléments nécessaires pour contre­balancer le courant parlementaire étatiste parmi les travailleurs.

Ainsi, partout où sous l’influence des radicaux, des démocrates chrétiens ou des démocrates soi-disant socialistes, les organisations ouvrières se montrent empressées d’obtenir des gouvernements bourgeois des lois pro­tectrices du travail, il est du devoir des communistes révolutionnaires de s’opposer à ce mouvement, en étendant et en développant, contre l’autorité du gouvernement, la puissance des organisations ouvrières.

Les communistes révolutionnaires, d’ailleurs, à chaque réforme ayant pour but d’améliorer pendant quelque temps, et au profit seulement de quelques couches du prolétariat, la situation économique, sous le système de production capitaliste, devront faire comprendre aux travailleurs qu’on ne peut rien attendre des pouvoirs législatifs, mais que tout doit être obtenu au moyen de l’union des ouvriers, par leur organisation. De leur côté, les communistes révolutionnaires réclameront, quant à la réglementation du travail, que la fixation des salaires et de la durée du travail, ainsi que l’ins­pection des ateliers et des fabriques, même dans le cadre de la société actuelle, soit faite exclusivement par les organisations ouvrières elles-mêmes. Ils réclameront que, même sous le régime capitaliste en vigueur, la sur­veillance du travail doit être confiée à des ouvriers qui exerceront ces fonctions, comme inspecteurs des fabriques ou de l’agriculture, nommés par les ouvriers et révocables en tout temps, même si leurs traitements sont à la charge de l’État.

Les communistes révolutionnaires, cherchant à ne jamais se séparer de la grande masse ouvrière, mais de lutter avec elle pour que ses réclamations soient écoutées dans chaque établissement et dans les différentes branches d’industrie, se plaçant toujours au premier rang lorsqu’il s’agit de se dévouer à la cause de la solidarité des opprimés, s’efforceront en même temps d’élargir l’horizon des prolétaires demeurés encore inconscients, et de leur faire comprendre l’importance de la mission que la classe ouvrière aura à remplir dans l’avenir.

La grande masse des ouvriers sont trop préoccupés de leurs intérêts, qui ne dépassent pas bien souvent l’enceinte de leurs ateliers ou les limites de leur industrie. Cette masse végète, ne vivant que du jour au lendemain, moins poussée par les principes que par ses intérêts immédiats. C’est aux socia­listes révolutionnaires et aux communistes anarchistes qu’il appartient de porter la grande question vitale de tous les peuples, c’est-à-dire le commu­nisme, dans leurs organisations et de persuader les ouvriers de toutes les branches de l’industrie, du commerce, des communications, ainsi que de l’agriculture, que la lutte sociale doit aboutir non pas à mieux régler le servage des salariés, mais à l’abolir en expropriant les capitalistes et les pro­priétaires terriens.

C’est encore aux socialistes révolutionnaires et aux communistes anar­chistes qu’il incombe de combattre aussi, dans le sein des organisations, l’autorité de leurs administrateurs, pour que le sentiment de dépendance des ouvriers vis-à-vis de leurs « meneurs » plus intelligentsia, puisse faire place à la conscience de leur indépendance vis-à-vis de mandataires qui doivent exécuter, dans chaque cas particulier, la charge que les organisations leur ont donnée.

Les communistes révolutionnaires s’emploieront pour que les directions des anciennes organisations ouvrières, calquées sur le modèle bourgeois, perdent leur caractère de corporations indépendantes, et pour qu’elles ne puissent pas se développer à l’avenir, isolées du mouvement prolétarien, ayant en vue leurs intérêts spéciaux en antagonisme, bien souvent, avec les intérêts des organisations auxquelles elles doivent servir.

C’est seulement de cette manière qu’on pourra préparer les producteurs directs à la direction de la production et de la distribution des richesses exercée par leurs organisations elles-mêmes, avec l’écartement complet des entrepreneurs capitalistes.

Ainsi, loin de se retirer des organisations professionnelles et des associa­tions des ouvriers qui travaillent dans les mêmes grands ateliers et les fabriques, les communistes révolutionnaires mêmes s’y trouvent sur un ter­rain économique favorable, en dehors de l’enceinte du parlement et des hôtels de ville.

Les socialistes révolutionnaires et les communistes anarchistes, au con­traire, n’ont rien à faire dans les sociétés coopératives de consommation et de production créées par les ouvriers.

Les économistes socialistes considèrent le plus souvent les sociétés coo­pératives comme « formes de transition » du système de production capita­liste au régime d’association ; comme des terrains où l’antagonisme entre le capital et le travail a disparu, pour autant que les ouvriers associés soient leurs propres capitalistes et portent eux-mêmes leur travail sur le marché.

En réalité, cependant, on peut comparer ces « formes de transition n à certaines variétés qu’on trouve dans le règne animal et dans le règne végétal et qui sont des formes bâtardes, se multipliant même longtemps, mais qui semblent être destinées à reproduire et à propager plutôt les qualités mauvaises que les bonnes de leurs parents.

Dans les fabriques coopératives aussi bien que dans les sociétés coopéra­tives de consommation, le salariat domine, en même temps que la lutte contre ce système se trouve paralysée et même rendue impossible, parce qu’elle paraît une lutte engagée contre l’organisation dont on fait partie.

La plupart des directeurs des sociétés coopératives, et qui sont plus en vue, placés dans des milieux petits-bourgeois, devenus directeurs, adminis­trateurs, etc. d’une entreprise capitaliste par le fait, sont un danger pour le mouvement ouvrier de leur endroit. Dans des conditions de vie si modi­fiées, ils ne perdent pas seulement leurs aspirations révolutionnaires, mais ils ont bientôt des intérêts en antagonisme avec le développement du mou­vement prolétarien révolutionnaire, sans se voir obligés cependant de rompre avec ce même mouvement.

Comme système social la coopération dans les milieux du prolétariat mi­litant est source de corruption et de népotisme ; elle amène la formation d’une direction hiérarchisée à la dépendance de quelques individualités fortement développées, tandis que dans la lutte pour l’émancipation du prolétariat contre les classes dirigeantes, la coopération n’a pas d’impor­tance. C’est absolument indifférent pour le renversement des bases de la société capitaliste que la concurrence se produise entre les entrepreneurs particuliers ou entre des associations ouvrières.

L’attention des communistes révolutionnaires doit s’arrêter surtout sur la question des sans-travail.

Ils sont persuadés que l’existence permanente d’une masse d’ouvriers sans travail est une condition vitale pour le régime capitaliste, dans sa forme actuelle, et que l’augmentation de l’armée de réserve industrielle est un phénomène inévitable du développement du mode de production et d’ap­propriation capitaliste.

Ils ne manqueront pas de faire connaître à la bourgeoisie que pour elle il sera à l’avenir de plus en plus difficile et même impossible de pourvoir à l’entretien de ces victimes de sa domination ; et que comme classe dirigeante elle doit disparaître sous les attaques du prolétariat le plus asservi, ainsi que des ouvriers sans travail, des invalides et des estropiés, résultat du système de production capitaliste.

D’un autre côté, les communistes révolutionnaires se rendent bien compte combien il est important pour l’histoire des peuples, pour le développement physique, intellectuel et moral de l’humanité future, qu’on puisse arrêter la corruption et la démoralisation de la grande masse des prolétaires sans travail ainsi qu’en partie des ouvriers incapables pour travailler et de leurs familles.

Si les communistes révolutionnaires refusent de sacrifier leur travailleur intelligence, leur liberté et leur vie pour réaliser les petites réformes que les classes moyennes proposent dans le but de se ramener dans leur situation privilégiée d’autrefois, ils comprennent en même temps que, dans l’intérêt de l’humanité, ils ont à prendre parti avant tout pour ceux qui sont suc­combés dans la lutte pour l’existence et qui ne peuvent se sauver eux-­mêmes ; pour tous ceux qui réclament encore les premiers éléments de la vie, un abri, des vêtements et un morceau de pain.

A mesure que parmi la masse des prolétaires sans travail naissent et se dé­veloppent le mécontentement et la résistance à l’oppression, dont ils sont les victimes, à mesure que leurs réclamations pour obtenir des conditions d’exis­tence meilleures seront exprimées avec plus d’énergie par la parole et par les faits, sous les yeux des classes possédantes, la situation de la bourgeoisie comme classe dirigeante deviendra de plus en plus insoutenable, sa domi­nation de classe s’en trouvera d’autant plus abrégée. C’est par le chômage que la société capitaliste devra disparaître et la résistance de plus en plus accentuée de ses propres victimes ne fera qu’en accélérer la chute.

Les communistes révolutionnaires, pénétrés de ces idées, appuieront tout mouvement qui se produit parmi les ouvriers sans travail, qu’ils appar­tiennent au prolétariat industriel ou à celui du commerce ou de l’agricul­ture.

Les ouvriers sans travail doivent quitter leurs trous, leurs caves, leurs galetas et descendre dans la rue pour montrer aux classes dominantes les résultats du système capitaliste, d’une manière saisissante.

Les ouvriers sans travail ainsi que leurs familles doivent être entretenus suivant les principes des communistes révolutionnaires ; ils doivent être entretenus par la communauté où ils ont été précipités dans leur triste situation.

En conséquence, partout où la question de la procuration de travail aux ouvriers qui chôment viendra à se poser, les communistes révolution­naires devront non seulement soutenir le principe que leur entretien doit être à la charge de la commune, mais chercher en outre à donner aux pro­duits du travail des ouvriers sans travail une destination communiste et d’imprimer aussi au travail lui-même un caractère communiste.

Ils indiqueront à cet effet les travaux qu’il faudrait exécuter pour améliorer les conditions sanitaires de toute la population, ainsi que les voies de communication, les égouts et les promenades des communes ; pour démolir les maisons inhabitables et construire des maisons populaires salubres et propres ; pour gagner des polders sur la mer et mettre en culture des terrains en friche, appartenant aux communes. Ils soutiendront la nécessité d’exécuter ces travaux par des associations formées par des ouvriers non occupés eux-mêmes, et sous leur direction, d’après les salaires moyens des autres ouvriers, tous les frais demeurant à la charge de la commune.

En outre, les communistes révolutionnaires réclameront dans cette société même la nourriture, l’habillement ainsi que l’instruction gratuite, à la charge des communes pour tous les enfants qui les demanderont, n’importe dans quelle saison de l’année, c’est-à-dire non seulement pen­dant l’hiver.

Les communistes révolutionnaires ne se contenteront pas d’aider le mou­vement qui pourra se produire parmi les ouvriers sans travail, mais ils porteront la question du chômage dans les organisations professionnelles, en persuadant les ouvriers organisés dans les fabriques et les ateliers, que c’est par leurs organisations que le mouvement des ouvriers sans travail doit être soutenu, au moyen des données statistiques au sujet du chômage, aux différentes époques de l’année, ainsi que par des appuis financiers et moraux.

Pour les travailleurs organisés, les ouvriers sans travail d’aujourd’hui sont appelés à les remplacer demain.

Si les organisations ouvrières ne s’occupent pas de la situation des ouvriers sans travail, ce sont ces derniers qui se mêleront des syndicats professionnels en rendant à peu près impossible, dans toutes les branches d’industrie, toute amélioration aussi légère et temporaire qu’elle soit dans la situation des ouvriers organisés et en accentuant l’assujettissement du pro­létariat sous les exploiteurs.

C’est seulement en s’appuyant les uns les autres que les ouvriers forcés de chômer et les ouvriers organisés peuvent obtenir que, dans la période de transition de la société capitaliste à la société communiste, ils ne soient pas ruinés complètement aussi bien au point de vue physique qu’intellectuel et moral.

La religion dans ses différentes formes est à considérer comme un pro­duit naturel, un produit de l’imagination des peuples, et qui sous l’in­fluence du climat, du sol, des circonstances sociales dans lesquelles les hommes se trouvent, s’est développée dans les formes qu’elle a de nos jours, s’adaptant aux besoins intellectuels et moraux des masses qui les pro­fessent.

Les communistes révolutionnaires ne peuvent attendre l’extirpation de tant de croyances erronées et de superstitions que de l’amélioration des conditions de la vie sociale, d’un développement plus haut intellectuel et moral des masses et non pas de la violence, ou des mesures de répression sociales ou politiques, que d’ailleurs ils ne pourraient que réprouver, étant partisans de la liberté de tous.

Les communistes révolutionnaires, cependant, se trouvent sur un pied d’hostilité vis-à-vis des communautés religieuses qui, par rapport à la reli­gion, exercent les mêmes fonctions que l’État par rapport à la société, en représentant dans le domaine spirituel les éléments conservateurs, adver­saires de tout progrès.

Ce n’est pas la religion qui domine les communautés religieuses, mais celles-ci qui dominent la religion.

De même que l’État, au lieu d’être le serviteur de la société, s’est déve­loppé comme un organisme autonome et s’impose à la société dont il subordonne les intérêts à ceux de sa domination, de même l’Église — c’est­-à-dire toutes les communautés religieuses établies — s’est développée comme une corporation indépendante, dans un sens hostile aux conceptions primitives du christianisme.

En effet, les communautés religieuses ne s’occupent pas, tout d’abord, de l’observation des préceptes de la religion, mais elles se soucient de ce qui touche les intérêts matériels de leurs corporations et les intérêts des indivi­dus parmi lesquels se recrute le clergé.

Un véritable chrétien pourrait être, en même temps, un communiste révolutionnaire. Comme chrétien, en invoquant les principes de la charité chrétienne, il pourrait être partisan de la propriété commune de tous les moyens d’existence nécessaires aux besoins de l’humanité. En se basant sur le précepte qu’on doit obéir plus à Dieu qu’aux hommes, il pourrait résister à toute autorité établie de nos jours.

Comme chrétien, il pourrait refuser de porter les armes pour tuer ses semblables ; il pourrait refuser aussi de payer les impôts destinés à entrete­nir une bureaucratie vénale et aux armements meurtriers des peuples ; il pourrait refuser de prêter tout serment, ainsi que de participer à la justice et à tout service politique, à tout ce qui, en un mot, peut favoriser le maintien de la société actuelle, si mal organisée [2].

Mais les communautés religieuses ne peuvent pas se placer à ce point de vue. Les préceptes de leur religion ne peuvent venir qu’en deuxième lieu. Elles doivent, d’abord, défendre leurs propriétés et, dans ce but, elles ont besoin de l’appui de l’État de classes, qu’elles ne sauraient, par conséquent, combattre, l’appui de ses pouvoirs judiciaire, militaire et policier ; tandis que le gouvernement, de son côté, a besoin de l’appui de l’Église pour maintenir « l’ordre social ».

Au point de vue de ses intérêts de classe, l’Église en général, et toute communauté religieuse reconnue en particulier, doivent surtout insister, auprès des croyants, pour qu’ils obéissent aux autorités établies. Toute résistance, violente ou passive, à la domination bourgeoise doit être forcé­ment condamnée par l’Église.

Le principe que la grande masse des socialistes ont admis presque par­tout, d’après lequel la religion ne serait qu’une chose privée, ne suffit pas pour caractériser la position que les communistes révolutionnaires doivent prendre vis-à-vis de ceux qui professent les différentes religions. Il faudrait la compléter de la manière suivante :

Il est du devoir des communistes révolutionnaires de combattre partout les communautés religieuses, qui se sont développées sur le terrain de la société capitaliste, et dont le développement est dominé par les conditions modernes de la propriété et par les différences de classe.

En raison de la lâcheté des libres penseurs petits-bourgeois, de jour en jour plus accentuée, de ces gens qui, poussés par leurs intérêts de classe, se montrent de plus en plus disposés, sinon à conclure une paix durable, au moins à signer une trêve, un armistice avec l’Église ; en raison aussi de l’hermaphroditisme qu’on constate chez les socialistes parlementaires, les démocrates soi-disant socialistes qui, dans le but de capter les voix de la population rurale et de la petite bourgeoisie des villes, dissimulent leurs pensées au sujet de l’Église et de la religion, il est plus que jamais du devoir des communistes révolutionnaires de mettre au premier plan la position du prolétariat vis-à-vis les communautés religieuses.

Les communistes révolutionnaires sont des cosmopolites.

De même que l’exploitation du prolétariat par les classes dominantes n’est pas limitée par les frontières politiques ou par la différence des races, la puissance destinée à la combattre ne le saurait être davantage. Le mou­vement ouvrier est international, de même que la production et le système de commerce capitalistes.

Pour les prolétaires il n’y a de patrie, dans les frontières de laquelle leurs intérêts puissent harmoniser avec les conditions sociales et politiques actuelles. Les prolétaires demeurent-des prolétaires, des esclaves salariés, malgré tous les changements politiques et sociaux qu’a pu avoir le pays où ils habitent sur les bases de la propriété capitaliste.

Le prolétaire, même s’il se tourne dans une pensée d’amour vers l’endroit où il a vu le jour et où il a souffert, ne peut qu’être persuadé, s’il n’est pas un inconscient, que, même dans son pays natal, les propriétaires et les capitalistes sont ses ennemis, parce qu’ils forment les classes dont la puissance lui a ôté les moyens d’existence : le sol, les vivres, les instruments de travail. Les prolétaires conscients doivent être convaincus de même que, dans la lutte engagée contre le capitalisme, les prolétaires des autres pays leur viendront en aide, car, eux aussi ont souffert et souffrent encore sous la même domination de classe.

Les communistes révolutionnaires ne voient dans le militarisme qu’une partie du machinisme d’oppression, par lequel la bourgeoisie exerce sa suprématie de classe sur le prolétariat, destiné en même temps à défendre ses intérêts industriels et commerciaux aussi bien vis-à-vis de la bourgeoisie des autres pays, que vis-à-vis des races plus arriérées dans les colonies.

L’histoire des dernières dizaines d’années a appris aux communistes révolutionnaires que les classes dirigeantes, partout où il s’agit d’opprimer le prolétariat international, sont toujours prêtes à oublier la haine même entre les gouvernements bourgeois. La Commune de Paris a montré que pour massacrer la capitale de la France, les Thiers, les Mac-Mahon, les Gal­lifet pouvaient compter sur l’aide de Bismarck et de l’armée allemande.

Les communistes ne peuvent qu’être partisans de l’armement général du peuple, qui est incompatible avec la domination de classe telle qu’elle existe dans tous les États modernes ; ils soutiendront le service des armes, mais restreint par le droit des peuples de se défendre aussi bien des attaques des peuples étrangers que contre la tyrannie d’une classe dominante, à l’inté­rieur.

Les guerres modernes, commerciales et industrielles, aussi bien celles qui éclatent entre les différents États modernes pour maintenir le prétendu équi­libre entre les différentes puissances, que les guerres pour faire des con­quêtes coloniales en Asie, en Afrique, en Amérique et en Australie ont, aux yeux du prolétariat qui est en proie à la domination de classe, une toute autre signification que pour les classes dirigeantes.

Une guerre entre les États modernes de l’Europe, de l’Amérique et de l’Australie, qui paralyserait le mouvement ouvrier au moins pendant dix ans, ne saurait que mériter comme réponse, parmi un prolétariat bien orga­nisé dans les pays en question, une grève générale partout où les ouvriers peuvent exercer leur influence sur la guerre, ou directement la révolution nationale.

Une grève générale dans les branches d’industrie, qui se rattachent directement au transport des troupes ou à l’approvisionnement de l’armée ; une grève des ouvriers qui travaillent dans les mines, dans l’industrie des transports et communications, dans les postes et les télégraphes, dans le com­merce qui s’occupe de fournir des chevaux aux armées qui vont entrer en campagne, cette grève, disons-nous, pourrait rendre absolument impossible une guerre parmi deux États modernes, y produisant un tel désordre dont les effets seraient décisifs pour les gouvernements intéressés.

Mais dans ces conditions la grève générale ne serait autre chose que la révolution, pas encore la révolution armée, mais la révolution par la résis­tance passive.

Elle ne suppose pas, cependant, seulement une puissante organisation des ouvriers dans toutes les branches d’industrie, dans lesquelles la grève se produirait, mais aussi un mécontentement général, en raison de la marche des événements parmi la masse de la population et dans l’opinion publique, qui ne peut être poussée à la guerre par l’influence du gouvernement, la presse bourgeoise et l’Église.

Elle est possible seulement à une époque où le procès de décomposition dans la société capitaliste a déjà atteint un degré assez élevé, pour que ce régime actuel soit écarté et que sa transition dans un système communiste soit devenue une nécessité.

C’est alors seulement que l’effort des gouvernements d’étouffer dans le sang le mouvement international ouvrier pourra être empêché ; c’est alors seulement que la révolution surgira contre la révolution. C’est alors que l’initiative particulière pourra faire ce que l’organisation générale ne pourra pas remplir, et en augmentant la confusion générale, chacun pourra con­tribuer à écarter la guerre.

Les communistes révolutionnaires bien décidés à ne jamais tirer sur les prolétaires, mais seulement sur les représentants des gouvernements bour­geois, lorsqu’il y a danger de guerre, pourront rendre de grands services non seulement en dehors, mais aussi dans les rangs de l’armée.

En raison de la grande influence qui est exercée dans les temps de guerre, non seulement par le développement de la masse de la population en général mais aussi et surtout par celui de la partie de la population qui est appelée au service militaire, les communistes révolutionnaires feront et entretiendront une propagande active en faveur des principes du commu­nisme, de fraternité et d’humanité, autant parmi les conscrits appelés sous les drapeaux, que parmi les militaires en activité de service et parmi les réservistes.

Par des écrits, où l’on montre ce que c’est le militarisme dans les États bourgeois et quelle est la situation faite aux militaires dans l’armée et dans la flotte, les révolutionnaires sèmeront les nouvelles idées parmi les fils des prolétaires qui, des endroits les plus éloignés, sont enlevés à la charrue, à l’atelier, pour qu’ils paient l’impôt du sang au militarisme et remplissent les places laissées vacantes dans le grand mécanisme employé pour l’oppres­sion des peuples.

En ayant toujours sous les yeux leurs principes communistes, il sera assez facile aux socialistes révolutionnaires et aux communistes anarchistes de préciser d’une manière aussi accentuée que décisive la position qu’ils doivent prendre vis-à-vis des mouvements qui peuvent se produire, se développer et disparaître dans les milieux prolétariens. Cependant il faut constater ici clairement que les communistes révolutionnaires ne sont pas opposés aux améliorations dans la situation matérielle du prolétariat, ou même de certaines couches seulement.

Aux yeux des communistes révolutionnaires la déchéance matérielle, morale et intellectuelle de la classe ouvrière ne saurait augmenter les chances de la révolution sociale, ni hâter la ruine de la domination de classe. Au contraire ils croient qu’il est nécessaire que tous les ouvriers, dans les différentes branches, s’efforcent d’obtenir par une lutte régulière des améliorations à leur situation matérielle, même si elles étaient momen­tanées, et de se maintenir dans la phase de transition du régime capita­liste à l’organisation communiste.

Ainsi les communistes révolutionnaires ne sauraient demeurer hostiles ou indifférents aux réclamations concernant, par exemple, la diminution de la journée du travail, de la durée de huit heures au minimum, ou l’adou­cissement des conditions du travail ; l’augmentation des salaires ; ou à d’autres mesures prises pour restreindre et modérer la puissance des capitalistes et pour améliorer en général les conditions d’existence des travailleurs.

Par rapport à toutes ces améliorations, cependant, les communistes révolutionnaires ne manqueront pas de montrer qu’elles ne pourraient être dans l’intérêt absolu de la classe ouvrière, que lorsqu’elles sont faites et exécutées par les ouvriers organisés eux-mêmes. Ils insisteront que ces réformes ne servent pas à augmenter l’influence du pouvoir, mais à fortifier la puissance des travailleurs et à l’étendre à toutes les branches de l’agri­culture, de l’industrie, du commerce et des communications.

Sous la pression des communistes révolutionnaires, la journée de huit heures de travail ne figure plus dans la fête du 1er mai qu’à l’arrière-plan, aussi bien en Amérique qu’en Europe ; partout la fête du travail prend peu à peu le caractère d’une fête de la fraternité internationale, d’une démonstration pour la réalisation des idées communistes. Cependant, il ne faut pas en conclure que les communistes révolutionnaires ne donnent aucune importance à la diminution de la journée de travail, aux restric­tions qu’on veut imposer à l’exploitation des capitalistes dans l’intérêt de la classe ouvrière.

Ce qui, dès le commencement, assurait à la fête du 1er mai dans tous les pays les sympathies des prolétaires conscients, ce n’étaient pas avant tout les revendications formulées par le Congrès international de Paris et con­firmées par les congrès successifs : l’agitation en faveur de la journée de huit heures ; c’était encore moins la tendance, qu’on trouve par-ci par-là dans le mouvement ouvrier, à réclamer ce jour-là des lois internationales protectrices du travail de la part des gouvernements bourgeois.

C’était, au contraire, la conscience que, au moyen d’une démonstration internationale faite le 1er mai, les prolétaires de tous les pays auraient fourni la preuve d’être tous réunis dans une pensée et en mesure d’agir tous ensemble et d’accord.

Ce qui est le plus à remarquer, c’est que dans tous les pays, quel que soit le degré de leur développement économique et politique, leurs mœurs et leurs habitudes, les travailleurs ont osé proclamer que le 1er mai était leur fête à eux. A la lutte de classe engagée par le prolétariat contre ses exploi­teurs était imprimé par ce fait vis-à-vis les classes dirigeantes un caractère international. C’est là l’importance capitale qu’avait pour l’histoire la décision votée par le Congrès international de Paris.

Par cela la signification de la démonstration du 1er mai était transférée déjà tout d’abord des réclamations votées, à la démonstration elle-même, ainsi qu’au jour où elle a lieu.

Ainsi pour les communistes révolutionnaires la fête du 1er mai est devenue une fête vraiment révolutionnaire, une grande initiative prise par les ouvriers organisés par rapport aux conditions du travail, même en régime d’exploitation capitaliste.

C’est par cela qu’on s’explique pourquoi les communistes révolution­naires non seulement ont formulé dès l’abord, à côté de la démonstration en faveur d’une journée de huit heures, leur revendication de la réalisation du communisme lui-même en réclamant en même temps la fraternité des peuples comme nécessaire à cet effet ; — mais qu’ils se sont opposés aussi à ce que la fête du 1er mai soit célébrée un autre jour de l’année.

Un dimanche, un jour de fête en général vers le 1er mai, n’a pour le communiste révolutionnaire aucune importance comme fête du travail. Choisir un tel jour ; c’est reconnaître le partage de l’année en jours de fête et jours de travail, comme il est imposé aux travailleurs sous la domination de la bourgeoisie.

Le 1er mai, au contraire, est un jour de fête révolutionnaire, fixé par les prolétaires organisés eux-mêmes, prouvant que leur conscience est réveillée et leur donnant une idée de la puissance qu’ils ont déjà acquise.

Si la démonstration du 1er mai n’avait d’autre but que de formuler cette réclamation vis-à-vis des capitalistes, de réduire à huit heures la journée de travail de leurs esclaves salariés, dans ce cas la démonstration aurait pu avoir lieu dans n’importe quel autre jour du mois de mai, ou de tout autre mois de l’année.

Mais dès que ces démonstrations doivent s’accomplir en un jour fixe, qui n’est pas un jour de fête, le jour choisi devient forcément un jour de fête international du travail.

Alors le 1er mai ne révèle pas seulement le caractère révolutionnaire qui lui vient par son choix même, mais on lui donne une portée plus élevée, une signification plus profonde, auxquelles ne peut avoir rapport désor­mais qu’une revendication strictement communiste et révolutionnaire.


II. La lutte des classes - Parlementarisme - Réglementation du travail salarié par l’État - Revendications fondamentales du socialisme libertaire  



[1Ce que nous venons de dire au sujet du programme agricole du Parti Ouvrier fran­çais s’applique aussi au projet de programme agraire qu’en Allemagne la commission agraire avait présenté au congrès de Breslau (1895), avec l’intention de le faire ajouter dans la dernière partie du programme général des démocrates-socialistes allemands. On en peut dire autant des mesures spéciales aux travailleurs agricoles, qu’on trouve formu­lées dans le programme du Parti Ouvrier de la Belgique adopté dans le congrès de Bruxelles en 1893 et de Quaregnon en 1894.
Les dispositions en faveur des paysans proposées au congrès de Breslau et rejetées à la fin par le congrès, malgré qu’elles étaient sympathiques à bien des délégués, sont à regar­der comme un programme modèle pour obtenir les voix des paysans et les duper ensuite.
Avec certaines dispositions pouvant être approuvées aussi bien par les agrariens et par le centre du Reichstag allemand avec d’autres ayant la tendance d’effacer les derniers débris du féodalisme, avec surtout son socialisme d’État très prononcé, sa socialisation par l’État (Verstaatlichung, sa législation protectrice du travail, ce programme agricole ne contenait rien qui était spécifiquement communiste.
En naïveté, cependant, quant à la tendance de capter les voix des paysans pour les élec­tions politiques, tout est surpassé par le programme des socialistes belges, fait dans les Flandres pour les élections de l’été 1894 et proposant des réformes comme par exemple : « Profit des arbres dans les champs pour les paysans qui les affermeront. » « Indemnité aux familles des soldats appelés sous les drapeaux pendant les grandes manœuvres. »
Un pareil programme montre d’une manière frappante la manie des réformes qui s’est répandue parmi les hommes qui s’appellent socialistes et à quelles frivolités peut conduire l’utopie infantile de ces réformateurs, qui ne cherchent qu’à gagner les voix des paysans.

[2C’est ce chrétien que Léon Tolstoï dépeint dans son livre Le Royaume de Dieu est en nous.