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I. Partis bourgeois ; socialistes parlementaires ; socialistes révolutionnaires ; communistes anarchiste

vendredi 20 décembre 2024, par Christian Cornélissen (CC by-nc-sa)

Ce que tous les partis bourgeois, malgré leurs différences de tendances et de tactique, ont de commun entre eux, c’est qu’ils reconnaissent la pro­priété privée des moyens de production et de consommation comme bases de la société.

En se plaçant à ce point de vue, les partis bourgeois ont contre eux tous les socialistes, parmi lesquels aussi les communistes anarchistes, qui tous considèrent comme une nécessité inévitable amenée par l’évolution sociale elle-même la socialisation de tous les moyens de production et de consommation, condition absolue pour arriver à la suppression complète de toutes les différences de classes et de toutes les misères.

C’est précisément par suite de cette différence caractéristique entre les partis bourgeois et les socialistes, que les socialistes révolutionnaires et les communistes anarchistes réclament à juste titre que les socialistes parlementaires ne puissent pas être reconnus comme socialistes par le mouve­ment ouvrier international.
Ces socialistes déclarent en théorie qu’ils sont demeurés toujours socia­listes, en proclamant, comme le reconnaît la grande masse de leurs parti­sans, qu’il faut « conquérir le pouvoir public » et favoriser ainsi la révolution économique dans la société.

C’est à ce point de vue que s’est placé entre autres le parti socialiste de l’Europe centrale, dominé par la démocratie socialiste de l’Allemagne. Ce point de vue, cependant, est incompatible avec la conception matérialiste de l’histoire, telle qu’elle a été toujours proclamée par les socialistes eux­-mêmes et surtout par les socialistes de l’Allemagne, et d’après laquelle le pouvoir politique de l’État dans les différents pays et en des époques diffé­rentes n’est que le reflet et l’expression législative de rapports de pouvoirs matériels ; la codification et la sanction, dans la société capitaliste, de la supériorité économique de la bourgeoisie.

D’après cette manière d’envisager l’histoire, la structure économique de la société est imposée par le système suivant lequel les peuples pourvoient à leurs besoins les plus élémentaires en rapport avec le degré de développement qu’ils ont atteint.

Dès lors la conquête du pouvoir public serait une conséquence inévitable de l’émancipation économique du prolétariat, c’est-à-dire qu’elle serait le résultat nécessaire de la puissance que les travailleurs organisés exercent effectivement dans la société, dans les ateliers, les fabriques et les campagnes par rapport à leurs conditions de travail.

Les socialistes parlementaires qui prennent part au travail législatif se trouvent en contradiction avec la conception de l’histoire, telle qu’ils l’ont formulée eux-mêmes et se voient ainsi placés dans la nécessité de se sou­venir, pour la défense de leur tactique, que par suite de la loi générale de l’action réciproque de la cause et des effets, la législation doit aussi exercer son influence sur la structure économique de la société.

Ils sont ainsi forcés de déclarer que leur parti ne peut vivre que parce qu’un autre mouvement, le mouvement réellement révolutionnaire, existe, qui se trouve d’accord avec l’évolution et les conditions économiques qui donnent la puissance dans la société actuelle. Ils déclarent en même temps que leur parti ne peut exercer aucune influence que par l’action exercée par d’autres partis, et uniquement en tant que, par ces autres partis, les condi­tions matérielles de la vie de l’humanité soient à ce point modifiées, que d’elles découle comme une conséquence logique un changement de condi­tions politiques.

C’est ainsi que les socialistes parlementaires ont été à même, au moyen de la législation, de diriger par-ci par-là et dans les parties les plus arriérées du pays, le mouvement de la population dans la voie du progrès, et peut­-être aussi de pouvoir, grâce à la loi et à la puissance qu’elle donne, forcer les éléments, d’après eux trop avancés, à ne pas devancer le cours de l’évolu­tion sociale, c’est-à-dire à patauger dans les eaux du parlementarisme.

C’est ainsi que les socialistes parlementaires ont cessé d’être des éléments révolutionnaires dans le mouvement ouvrier et qu’ils sont devenus un parti de réformes dont les aspirations sont adaptées aux rapports de pouvoir éco­nomiques, telles qu’ils les trouvent sous leurs yeux ; parti qui s’efforce seulement de se perfectionner dans la science de régler sa conduite selon les circonstances. Rien n’empêche donc plus ces gens de chercher à deve­nir, autant que possible, un parti de gouvernement.

D’ailleurs, l’expérience a prouvé que l’application logique des principes dits parlementaires socialistes ne peut avoir d’autre résultat que l’effort de former le plus tôt possible dans l’État bourgeois un parti ministériel se pliant aux conditions sociales et politiques existantes dans les pays.

Les socialistes qui ont franchi l’enceinte parlementaire dans n’importe quel pays, dans le but sincère d’agiter en faveur des principes socialistes, ont montré par le fait qu’ils ne peuvent rien faire à ce point de vue où ils s’étaient placés de bonne foi.

Étant données les bases de la société capitaliste actuelle, les assemblées parlementaires sont là pour livrer un travail édifiant sur ces bases et non pas pour écouter les discours socialistes, prononcés dans un but d’agitation.

Mais même en supposant que le député socialiste, dès qu’il a franchi le seuil du parlement, s’empresse de remplir sérieusement son mandat, malgré que les intérêts de ses électeurs puissent être contraires à ses intérêts de député et malgré que le nouveau milieu ne puisse manquer d’exercer son influence sur lui, il ne pourrait pas troubler toujours les séances du parlement, en faisant tout le temps de la propagande en faveur des prin­cipes socialistes. Dès lors il deviendra un embarras et sera amené à changer de conduite, ne pouvant pas se contenter toujours avec le rôle d’un taquin profitant du peu d’occasions favorables pour faire de la propagande socia­liste et pour répéter ainsi ce qu’il avait déjà dit à plusieurs reprises.

Il se verra donc dans l’alternative ou de quitter le parlement, ou de par­ticiper au travail législatif sur la base du régime de propriété capitaliste et dans ce dernier cas de se contenter de proposer sur le nouveau terrain les réformes les plus hardies, compatibles avec la constitution de son pays.

Mais les ouvriers eux aussi seront bientôt dégoûtés de cette tactique et persuadés de l’agitation stérile des députés socialistes dans les parlements vis-à-vis des délégués dont on ne peut pas modifier l’esprit et les tendances bourgeoises et qui se moquent des critiques assez justifiées et de la grande éloquence des socialistes, convaincus comme ils sont que la puissance armée se trouvera toujours entre les mains de la classe possédante.

Par suite de l’augmentation de la misère et du mécontentement parmi la population ouvrière, le prolétaire conscient doit poser avec insistance aux députés socialistes la question s’ils n’en ont pas assez du travail parlementaire et s’il ne serait pas mieux que les amateurs d’éloquence socialiste parle­mentaire allassent dans les assemblées populaires pour favoriser l’organi­sation des ouvriers en dehors du parlement dans la lutte engagée contre le capitalisme et s’il ne serait pas plus utile que les luttes apparentes qui se produisent dans les chambres des représentants, et les petites réformes qu’on peut en attendre soient abandonnées exclusivement aux partis bourgeois.

Placé ainsi dans l’alternative ou de quitter le parlement, ou de participer au travail parlementaire, le député, élu comme socialiste et se disant encore socialiste, mais décidé une fois à se battre avec dans tout travail législatif qu’on lui met sous le fléau, n’a qu’un seul pas à faire pour s’allier aux partis bourgeois les plus avancés, avec les radicaux et les démocrates chrétiens.

Il arrive ainsi, suivant la marche naturelle des choses à former des alliances pour voir réaliser les réformes qu’il appuie, malgré l’opposition des éléments les plus réactionnaires de la représentation populaire.

Ces alliances, on les trouve dans les parlements des différents États et en réalité cette fraction même soi-disant socialiste se compose en partie — partie pas la moins habile dans l’éloquence et connaissant les nuances par­lementaires — de radicaux, de bourgeois démocrates, disposés à placer la transformation de la propriété privée en propriété sociale comme une ensei­gne devant leur atelier de raccommodage parlementaire, seulement pour gagner les voix de la classe ouvrière ayant des tendances socialistes.

Il n’y a pas de doute que vis-à-vis des différents partis bourgeois, ainsi que des socialistes qui inclinent de leur côté, les socialistes révolution­naires et les communistes anarchistes doivent marcher d’accord et former une puissance dans les divers pays, partout où il existe des groupes qui sympathisent avec eux.

En tenant compte de l’évolution historique de ces deux courants révolu­tionnaires, la chose est probable.

Les socialistes révolutionnaires sont des communistes d’origine, au moins en grande partie. Ils ont pour but de socialiser les moyens d’exis­tence de l’humanité, non seulement les moyens de production, mais aussi les articles de consommation, la socialisation de ces derniers n’étant pour eux que la conséquence de celle des premiers.

En effet, dès que la société aura entre ses mains les moyens de production, elle disposera aussi des produits et tout changement dans le mode de production des biens nécessaires à l’existence de l’humanité aura pour résultat d’amener forcément aussi un changement y correspondant dans le mode de leur répartition.

Les anarchistes ne sont pas des communistes d’origine, au moins en grande majorité. Ils étaient des individualistes. Toujours encore ils tien­nent avant tout à la liberté personnelle de l’homme, dans la conviction que quand la liberté individuelle de se développer sera complète, l’homme pourra augmenter toutes ses dispositions naturelles sans être entravé par personne et que le plus grand bonheur en sera le résultat, non seulement pour l’in­dividu, mais pour l’humanité tout entière.

Ennemis déclarés de toute autorité, quelle qu’en soit la forme, de toute contrainte, ils sont encore aujourd’hui hostiles à toute domination exercée par la majorité sur la minorité du peuple.

La plupart des anarchistes considéraient à l’origine, et beaucoup considèrent encore, par dessus tout, la liberté personnelle comme principe suprême de la société humaine, de sorte que même dans leurs groupes ils ne supportent aucune autorité, afin que parmi eux personne ne cherche à dominer les autres et que, par conséquent, il n’y ait aucun embryon gouver­nemental ; c’est pourquoi il n’y a pas dans leurs réunions de bureau pour diriger les discussions, qu’on n’y prend, d’en haut, pas de décisions, consa­crées par la contrainte et même qu’on n’y vote pas.

Quant à la question de la propriété collective ou individuelle des moyens de production et de consommation, beaucoup d’anarchistes n’avaient pas, tout d’abord, pris une attitude aussi décidée comme ils ont fait dans le domaine politique. Même il y a eu et il y a encore, au sujet de la propriété sociale, parmi les anarchistes des opinions différentes. Dans le courant de l’évolution que les anarchistes ont faite, la plus grande partie sont deve­nus des communistes, en se séparant des autres anarchistes, peu nombreux, d’ailleurs, qui veulent garder leur liberté personnelle, poussée si loin que, par suite de ce principe, ils sont partisans décidés de toute propriété indivi­duelle.

Les anarchistes communistes, comme on les appelle souvent pour les distinguer des anarchistes individuels, ont toujours soutenu en principe que la propriété sociale de tous les moyens d’existence des hommes est une condition absolue de la liberté personnelle de l’individu et qu’elle doit servir de base à la société.

Si des individus (c’est ainsi qu’ils expliquent leur principe) demeurent les propriétaires du sol, des fabriques, des ateliers, des machines, de l’outil­lage, des magasins et de leurs approvisionnements, des maisons, des moyens de transport et de communication, etc., alors la continuation de l’assujettissement du prolétaire à son maître, qui est la base du salariat actuel, en sera la conséquence nécessaire. Et la liberté individuelle ne sau­rait être pour la grande masse des hommes qu’un pieux désir.

C’est ici que se rencontrent ces deux courants révolutionnaires du mou­vement ouvrier contemporain, les socialistes révolutionnaires et les com­munistes anarchistes, et dès lors il est possible non pas de les confondre ensemble, mais d’agir d’un commun accord.

Il ne faut pas penser de pouvoir former un parti unique ; d’ailleurs, les communistes anarchistes surtout, qui sont opposés à toute idée de « parti », ne le voudraient pas.

Dans les questions de tactique, certainement, dans les luttes sur le terrain économique des différences pourront exister entre les individus, qui font partie de ces groupes ; dans l’un les socialistes-révolutionnaires met­tront au premier rang les intérêts de la collectivité, du groupe, tandis que les communistes anarchistes placeront encore avant tout la liberté indivi­duelle.

En général, cependant, les socialistes révolutionnaires et les commu­nistes anarchistes ne demeurent séparés principalement les uns des autres qu’en leurs opinions différentes sur l’organisation de la société future.

Par rapport à la propriété sociale du sol, des instruments de travail et par conséquent aussi des produits, les socialistes révolutionnaires soutien­nent que la production et la consommation des biens, que l’ensemble de la vie sociale et politique doit être en la basant sur la volonté de la majo­rité, mais en donnant des garanties sérieuses à la minorité pour lui assurer la liberté de ses mouvements ainsi que de ceux qui en font partie. Les communistes anarchistes doivent chercher à réaliser dans le domaine social et politique le système des « organisations libres » dans lesquelles l’indi­vidu n’est entravé par personne dans ses mouvements et qu’il peut quitter toujours à son gré pour entrer dans d’autres groupes plus conformes à ses vues.

Dès lors il ne s’agit pas de discuter si cette différence doit être observée non seulement dans la théorie, mais aussi dans la vie pratique et s’il ne vaut pas mieux d’espérer qu’au moment de l’action les socialistes révolu­tionnaires et les communistes anarchistes resteront d’accord.

Ce qui est certain c’est que par rapport à l’organisation future de la vie sociale de l’humanité sur la base de la propriété sociale, des moyens de production et de consommation, les socialistes révolutionnaires défen­dent la démocratie, le mot démocratie cependant étant pris ici dans le sens d’administration des choses d’après la volonté de la majorité du peuple et non dans le sens que lui donnent et dans lequel l’emploient beaucoup de démocrates socialistes, c’est-à-dire de participation au travail législatif pratique dans les parlements bourgeois.

Les anarchistes communistes, toutes les fois qu’il est question de l’orga­nisation future de la société, se montrent anarchistes, adversaires de tout gouvernement, de toute autorité, aussi de l’autorité de la majorité.

Ainsi, les socialistes révolutionnaires et les anarchistes communistes s’inspirent autant aux mêmes principes que tous sont au fond des com­munistes. Dès lors ils sont les adversaires non seulement des partis bour­geois, mais aussi des soi-disant socialistes parlementaires.

Ces derniers, quoique s’appelant socialistes, ont mis au dernier plan l’ex­propriation des capitalistes et des grands propriétaires, qui do,it précéder la naissance de la nouvelle société, organisée sur une base communiste ; en se fondant sur la théorie de la « conquête du pouvoir public », ils ne s’occu­pent par le fait que de réaliser de petites réformes dans les cadres de la société bourgeoise.

Aux yeux des socialistes révolutionnaires et des anarchistes communistes, les différents partis bourgeois, y compris les socialistes parlementaires, comme parti de transition, ne sont au fond que des groupes conservateurs et même, dans plusieurs cas, réactionnaires. Tous ont pour but de mainte­nir et de défendre la propriété privée, comme base de la société ou au moins ils la favorisent par le fait, en prétendant en théorie — comme le font les socialistes parlementaires — vouloir l’attaquer.

II est non seulement utile, mais il est absolument nécessaire que les socialistes révolutionnaires et les anarchistes communistes fassent front contre tous ces partis, car il s’agit de défendre ensemble les principes com­muns, — le communisme !

Cette entente, cependant, ne pourrait pas exposer au danger de violer les opinions particulières à des personnes des deux groupes ; le but de cet écrit ne saurait être celui de proposer un arrangement, un compromis, que nous ne pourrions conseiller sans manquer, en partie au moins, à nos convictions.

Ce travail ne peut avoir d’autre but que de rechercher si et jusqu’où les socialistes révolutionnaires et les anarchistes communistes, tout en gardant chacun leurs principes, pourraient s’entendre sur la tactique à suivre pour arriver à l’émancipation économique du prolétariat.


Le Communisme révolutionnaire, projet pour une entente et pour l’action commune des socialistes révolutionnaires et communistes anarchistes   II. La lutte des classes - Parlementarisme - Réglementation du travail salarié par l’État - Revendications fondamentales du socialisme libertaire