La transition des moyens de production et de consommation des mains des capitalistes et propriétaires dans celles de la société suppose l’expropriation générale de la classe possédante ainsi que la suppression des entrepreneurs particuliers et la réglementation de la production et de la distribution des biens par les ouvriers organisés.
Cette transformation dans les bases de la société ne saurait être accomplie que dans le régime de la vie réelle des hommes, aussi bien dans les fabriques et dans les ateliers que dans les champs et les maisons.
Ce serait une erreur de croire que la transition de la propriété individuelle à la propriété sociale pourrait avoir lieu en vertu de la loi, de même que les hommes cesseraient de vivre par couples par suite de l’abolition des lois sur le mariage, ou qu’ils mettraient en vogue la crémation de leurs morts en vertu des dispositions d’une loi.
La propriété individuelle ne pourrait être abolie par la loi que dans les formes où elle a été déjà supprimée dans la réalité, c’est-à-dire dans les formes où elle n’est plus respectée par personne.
Les périodes de l’histoire universelle où les institutions humaines, enracinées si profondément dans la nature humaine, comme la propriété dans ses différentes formes, sont extirpées et détruites, ce sont les périodes des grandes révolutions, les heures d’accouchement, lorsqu’une nouvelle société voit le jour.
Jusqu’au moment de la révolution qui s’accomplit sous nos yeux, nous ne pouvons que suivre le processus par lequel la nouvelle société est en train de se former, en facilitant l’accouchement de la vieille société par la puissance du mouvement révolutionnaire et d’affaiblir et ébranler en même temps le pouvoir des classes possédantes et de leurs gouvernements.
La situation dans laquelle se trouvent quelques branches d’industries dans certaines villes du nouveau monde, où les ouvriers organisés, par exemple dans le bâtiment, présentent aux employeurs les conventions fixant les salaires et la durée du travail, et en général les conditions auxquelles travailleront les membres des organisations dans ces villes, nous indique la direction dans laquelle la puissance des ouvriers syndiqués se développe peu à peu. Une telle situation doit être considérée comme une phase de transition pour arriver à la suppression complète du patronat pour le remplacer par rapport à tout travail productif par les ouvriers organisés.
Cette abolition du patronat et l’expropriation des possédants ne saurait avoir lieu que là où les peuples se trouvent placés dans l’alternative, ou d’accomplir cette suppression et cette expropriation, ou d’amener la guerre civile internationale.
Les grèves gigantesques qui se sont produites, d’abord en Australie et aux États-Unis, et après dans l’Europe occidentale et surtout en Angleterre, ont montré au prolétariat organisé que, en présence des réclamations les plus modérées, — par rapport, bien entendu, aux dividendes des actionnaires, — la masse de la population d’un pays ne s’est pas remuée, même lorsque les grands capitalistes avaient jeté dans la misère la plus profonde une partie de la population ouvrière. Tout au plus une partie de la bourgeoisie, qui n’était pas intéressée directement dans la grève, a tenu un meeting de protestation, ou a manifesté sa désapprobation et son indignation au moyen de la presse, quand on a connu les résultats d’une enquête parmi les grévistes affamés d’un district industriel.
Au contraire, si les prolétaires organisés provoquent la ruine de un, deux ou plusieurs fabricants, la majorité de la population, l’opinion publique demeure presque indifférente.
Mais dès que les ouvriers organisés s’emparent des fabriques et des machines, pour les détruire au préjudice des capitalistes, alors la masse de la population s’agite et se remue, parce que le mouvement touche à l’intérêt général et avec les propriétaires menacés, détruits, la population entière, même si elle ne s’y trouve pas immédiatement intéressée, se sent menacée, car des faits pareils pourraient avoir des imitateurs.
Dans le cas où le prolétariat organisé industriel, agricole et commercial serait assez puissant, non seulement dans la localité, mais aussi au point de vue national et international, pour formuler des réclamations de plus en plus importantes aux propriétaires et aux capitalistes, et s’il peut mettre ces derniers dans la nécessité de fermer leurs ateliers, fabriques, mines, moyens de transport et de communication, alors la population tout entière se trouvera dans l’alternative, ou de subir cette fermeture, ou de transférer la propriété des moyens de production et de consommation des propriétaires actuels à ceux qui sont les producteurs directs — c’est son intérêt même qui la poussera à réclamer l’expropriation de la classe possédante.
Le but du prolétariat organisé dans les différentes professions et industries des États modernes, c’est de pousser si loin leurs réclamations, que la socialisation des moyens d’existence entre les mains de la collectivité ne peut être qu’important en même temps et dans la même mesure toute la population.
Le désordre et l’incertitude dans chaque domaine de la production, les escroqueries de la Bourse, ainsi que les spéculations dans l’industrie, le commerce et les communications auront pour résultat d’accentuer de plus en plus la pauvreté des producteurs directs et donneront la première impulsion à la socialisation de la terre et des moyens de travail par la communauté.
Ce n’est pas dans les parlements, ni dans les ministères, ni dans les municipalités que peut avoir lieu l’expropriation des propriétaires et des capitalistes, mais dans la société elle-même, qui évolue dans un sens socialiste, c’est-à-dire dans la vie réelle de l’humanité.
La lutte de classe, devenue une nécessité avec l’existence même du prolétariat comme classe en antagonisme avec les classes qui l’exploitent, des propriétaires terriens et des capitalistes, ne peut être, avant tout, qu’une lutte économique.
L’émancipation économique de la classe ouvrière, par conséquent, est et reste le grand but auquel, comme le disaient encore les statuts de l’Internationale, « tout mouvement politique doit être subordonné comme moyen ».
Aussi bien que la bourgeoisie s’est affranchie à l’aide de la révolution économique qui s’est accomplie vers le milieu du siècle dernier, de même une révolution générale, en train de s’accomplir dans la production par suite du développement de la technique, aussi bien que notre bourgeoisie a pu arriver à son émancipation, sans l’intervention des gouvernements, des ministères et des municipalités, par rapport à ses fabriques, ses ateliers, ses bureaux, l’émancipation des prolétaires doit aussi être obtenue par la lutte économique.
Lorsque, à la fin du XVIIIe siècle, la bourgeoisie exerçait déjà, par le fait, sa domination dans le nord d’Amérique et presque dans toute l’Europe occidentale, alors ont éclaté la révolution des États de l’Amérique du Nord contre l’Angleterre et la grande révolution française de 1789, lesquelles étaient ainsi une conséquence nécessaire, dans le domaine politique, du changement qui s’était opéré dans les conditions économiques de la société ; toutes les deux étaient un résultat inévitable du déplacement du centre de gravité économique dans les États modernes.
Les communistes révolutionnaires pour lesquels l’action révolutionnaire est ainsi en même temps, tout d’abord, action économique, doivent exercer dans la lutte de classe, aujourd’hui engagée par les faits et la parole, leur influence pour s’opposer aux socialistes soi-disant parlementaires, qui ont négligé la lutte économique en la déclarant stérile et dangereuse, ainsi qu’à la tendance de leur parti à dégénérer en parti gouvernemental par les succès électoraux.
Les communistes révolutionnaires sont en même temps des antiparlementaires.
Les temps sont passés où le parlement doit exercer une action révolutionnaire.
A l’époque de la grande révolution française le parlement bourgeois, avant de prendre sous l’influence de la bourgeoisie la forme de machine gouvernementale qu’il a aujourd’hui, était révolutionnaire aussi dans ce sens, qu’il n’a pas hésité à ébranler par la violence les anciennes institutions de l’État, les reliques de la monarchie absolue.
Lorsque, dans la Convention française, les députés, l’un après l’autre, montaient à la tribune pour y déposer leur voix contre ou pour la mort de Louis Capet, cet acte était, à ne pas en douter, un acte révolutionnaire.
A ce moment, l’action parlementaire et l’action révolutionnaire se rencontraient.
Mais les temps ont aujourd’hui bien changé. Le parlement n’est plus une puissance révolutionnaire, la machine servant à l’émancipation du tiers état. Il n’est plus qu’un instrument d’oppression entre les mains des classes dirigeantes, dont la domination tire à la fin et qui, en foulant aux pieds ses lois mêmes, montre sa décadence et son impuissance à garder plus longtemps les fonctions de classe qu’elle exerce.
Le parlement de nos jours n’a plus que le caractère d’un musée d’institutions et d’usages anciens ; il n’est qu’un organe d’une classe, dont la domination tombe en ruine et qui doit disparaître avec la ruine de la bourgeoisie elle-même, comme classe dirigeante.
Ce qui paraît certain, c’est que la société communiste, comme elle sortira de l’organisation capitaliste actuelle, montrera que le système de gouvernement parlementaire est incompatible avec elle.
Tout le machinisme d’oppression par lequel la classe ouvrière a été maintenue dans l’esclavage n’est pas composé de manière qu’il saurait être, en même temps, l’instrument à l’aide duquel le prolétariat militant pourra arriver à sa délivrance.
La composition du parlement, ainsi que ses aptitudes comme représentant du pouvoir législatif, et la situation dans laquelle il se trouve par rapport aux autres pouvoirs de l’État, sont plus que suffisants pour montrer que c’est de la pure utopie de la part des prolétaires de chercher à obtenir une majorité dans les parlements bourgeois, pour établir par la « conquête du pouvoir public » une organisation sociale communiste.
En outre du parlement qui représente le pouvoir législatif — même dans le cas où nous le considérons seulement parmi les corps, que, au sens étroit du mot, on désigne sous le nom de représentation nationale, en laissant dehors le Sénat, la Chambre des lords ou Chambre haute et, comme on les appelle autrement, ces corps d’un pouvoir compensateur et qui ne sont au fond que des représentations surannées des intérêts de la classe possédante, — nous trouvons un pouvoir exécutif et un pouvoir judiciaire sur lesquels les représentants du peuple ne peuvent exercer aucune action directe.
Par le pouvoir exécutif et judiciaire les gouvernements disposent, dans tous les pays, des soldats et de la police ainsi que des canons, fusils et prisons, moyens qui, en définitive, placent toute la puissance et, par conséquent, tout le droit, non pas entre les maii1s de la représentation nationale, mais entre celles du gouvernement.
Mais, même si on fait abstraction de tout cela, le parlement bourgeois, par toute sa composition, par les conditions sous lesquelles les députés y siègent (non-responsabilité vis-à-vis de leurs électeurs), par la durée de la période des sessions et la manière dont on y travaille, le parlement répond à sa destination d’instrument de classe et peut satisfaire aux exigences qu’on a vis-à-vis d’un pouvoir pouvant être, à toute heure, acheté par les capitalistes et les représentants du gouvernement.
S’il était possible aux prolétaires des États modernes de faire occuper même la majorité des sièges dans les assemblées législatives, par des révolutionnaires et de les y garder comme révolutionnaires, on n’aurait ainsi que fourni la preuve que les parlements modernes ont cessé d’être un organe d’une société, dominée par la classe possédante, et que, dans leur composition, des modifications profondes doivent s’accomplir pour qu’ils puissent répondre aux exigences les plus élémentaires de petit-bourgeoisisme et de corruptibilité.
En effet, alors seulement que la bourgeoisie serait persuadée que, sans des moyens violents, les changements réclamés dans la composition des parlements ne puissent être opérés, les gouvernements se verraient dans la nécessité de chasser les représentants de la nation à coups de baïonnettes et d’arrêter les plus récalcitrants [1].
C’est une preuve caractéristique de la prépondérance qu’exerce la puissance économique dans la société et de la subordination vis-à-vis d’elle du pouvoir politique, ainsi qu’une ironie du destin, que les socialistes parlementaires qui s’acharnent à la « conquête du pouvoir public » se trouvent de temps à autre placés dans la nécessité d’insister sur la puissance économique des travailleurs et sur l’organisation du prolétariat en dehors du parlement.
En Belgique, en Autriche on a réclamé l’adoption du suffrage universel sous menace de la grève générale ; c’est fait, même de la part de personnes habituées à dédaigner les grèves comme arme dans la lutte des classes, car. à leur avis, c’était une « épée à deux tranchants » pouvant facilement tuer ceux qui la manient.
Lorsque la grève doit être employée pour leurs buts parlementaires, on la proclame comme le seul moyen auquel appeler, si on ne veut pas accepter immédiatement la guerre civile.
Ne pouvant pas trouver des armes dans leur arsenal politique pour réaliser la réforme électorale, les socialistes parlementaires se voyaient, à la longue, obligés d’en appeler aux organisations ouvrières et de reconnaître ainsi la suprématie, l’efficacité unique de l’action économique.
C’est pourquoi nous n’employons pas des mots trop amers pour stigmatiser les efforts qu’on fait pour conquérir le pouvoir public au moyen de la majorité des représentants dans les parlements bourgeois, en les caractérisant comme une utopie et une mystification.
Le parlement bourgeois restera le mécanisme législatif caractéristique pour assurer la domination de la bourgeoisie, basée sur la propriété individuelle et destinée à servir ses intérêts de classe. Les révolutionnaires, persuadés de la ruine de la société bourgeoise, ne peuvent prendre aucune part au travail parlementaire.
Les communistes, travaillant à saper les bases de la société capitaliste, ainsi que l’organisation de la puissance, qui doit détruire pour toujours la domination des classes possédantes, ne sauraient, en même temps, travailler à conserver l’état de choses actuel et à l’améliorer et consolider sur le principe de la propriété privée ; ils ne sauraient donner leurs voix pour des réformes en tant, au moins, qu’elles doivent être réalisées par les gouvernements de classe de nos jours.
Pour les communistes il n’y a pas de doute que le développement de la société ne peut avoir pour résultat définitif que de montrer combien sont illusoires les réformes les plus étendues et inspirées par les meilleures intentions, ainsi que tous les efforts faits en vue de sauver ainsi le régime de la société actuelle et, en conséquence, ils doivent les rejeter comme utopies, comme choses impossibles.
Les communistes, d’ailleurs, par suite de leurs principes, se trouvent obligés d’abandonner aux partis bourgeois les plus avancés, aux partis démocratiques petits-bourgeois toutes les améliorations qui pourraient être jugées possibles dans le cadre de la société actuelle, soit qu’elles intéressent toute la classe ouvrière ou une partie seulement du prolétariat au préjudice de l’autre.
Ceux qui veulent saper, mettre en pièces et détruire ce qui existe et qui, pensant pouvoir travailler en même temps avec la truelle et le levier en fer, veulent restaurer et entretenir ce qui est condamné à disparaître ; ceux qui s’imaginent de travailler en faveur du mode de production et d’appropriation capitalistes pour l’ordre de choses établi et pour l’ébranler, sont, dans l’hypothèse la plus favorable, des hommes qui n’ont pas une idée bien claire des principes communistes ; autrement, ce sont des politiciens, pour lesquels leurs intérêts de députés priment l’intérêt général.
Aujourd’hui encore, parmi les socialistes et même parmi les socialistes révolutionnaires et les communistes anarchistes, il s’en trouve encore beaucoup qui ne sont pas complètement émancipés de cet hermaphroditisme. Ces communistes d’un caractère si ambigu ont eu leur grand précurseur en Karl Marx, l’écrivain allemand et dans son ouvrage Le Capital, écrit à une époque où les réformes de la législation sur les fabriques, réformes qui dans le cadre de la société actuelle étaient jugées utiles, étaient nécessaires pendant quelques dizaines d’années pour empêcher la ruine de milliers d’ouvriers par l’exploitation capitaliste qui, dans la période de 1860-70, ne pouvait être vaincue sur le terrain international [2]. Il n’est pas encore longtemps qu’aucun mouvement des prolétaires organisés en Europe aussi bien qu’en Amérique et en Australie ne s’était débarrassé de ce caractère hermaphrodite, et nous ne sommes encore qu’au commencement de la formation d’un mouvement révolutionnaire et strictement communiste.
Les partis socialistes de l’Europe, particulièrement de l’Europe centrale, étant encore sous l’influence de la démocratie socialiste allemande, ont encore aujourd’hui ce caractère ambigu, de sorte qu’on les voit osciller entre des petites réformes, pouvant être réalisées dans le cadre de la vieille société capitaliste, et le travail nécessaire pour saper les fondements de cette même société, et pour préparer une forme supérieure de société organisée sur des bases communistes. Ils ne se rendent pas bien compte du fait, que le point de départ de leurs propres théories c’est précisément l’impossibilité d’améliorer, d’une manière durable, la situation des prolétaires salariés sur la base de la propriété privée.
Pour les penseurs conscients dans le domaine de la sociologie, cette phase transitoire d’hermaphroditisme et de conscience incomplète est un phénomène tout naturel aux individus et aux partis, un résultat de la lenteur de l’évolution qui favorise la naissance des formes de transition dans la vie sociale des hommes.
Les communistes conscients ne doivent pas s’étonner de ce phénomène en général, ainsi que du fait que l’indétermination est d’autant plus répandue parmi la population ouvrière de l’Europe centrale que parmi les États de l’Europe occidentale et du nouveau monde, États plus démocratiques.
Dans l’Europe centrale et même dans les grandes villes de la Russie, particulièrement pendant la dernière moitié de notre siècle, l’évolution a parcouru les mêmes phases dans l’industrie, le commerce et les communications que dans l’Europe occidentale, les États-Unis et l’Australie. Sur le marché universel les États de l’Europe centrale et orientale entrent en concurrence avec l’Angleterre, les États-Unis, la France et l’Australie. Mais même le plus développé parmi les pays de l’Europe centrale, l’Allemagne, au point de vue politique est plus arriéré que les autres pays plus démocratiques, et se trouve encore, plus ou moins, sous la domination des hobereaux et du clergé.
Ce qu’on constate dans l’Europe centrale, comme dans l’Europe orientale, c’est un antagonisme entre le développement économique et la structure politique des différents pays, ce qui a pour effet d’amener la classe opprimée, le prolétariat, a obtenir d’abord les droits politiques, ou, comme on dit dans un langage hyperbolique,« à conquérir le pouvoir public ».
On s’explique donc pourquoi les socialistes parlementaires exercent leur action, surtout dans l’Europe centrale.
Cet antagonisme et ce double caractère se manifestent aussi dans les programmes des partis socialistes de différents pays.
Les programmes de la plupart des partis socialistes du monde se composaient, jusqu’à ces derniers temps, et aujourd’hui encore se composent de deux parties, dont l’une s’occupe de l’évolution de la société capitaliste et de sa disparition inévitable, pour faire place à une société communiste. La dernière partie, au contraire, renferme différentes revendications formulées vis-à-vis de la société actuelle : amélioration qu’on réclame dans les relations entre employeurs et ouvriers salariés (législation protectrice du travail, par laquelle les gouvernements bourgeois pourront exercer leur surveillance sur l’agriculture, le commerce et l’industrie), souvent encore des mesures en vue de protéger le petit propriétaire et sa propriété particulière, et qui se trouvent dans les programmes agricoles de divers pays, et enfin, de petites réformes politiques, telles que l’abolition du Sénat, la concession du suffrage universel, égal et direct, etc.
Il n’y a que quelques-unes de ces revendications, qui sont importantes aussi pour l’organisation de la société communiste de l’avenir, comme, par exemple, l’égalisation des deux sexes, l’instruction gratuite, etc.
Il arrive donc une époque, et dans les modernes États, où la population ouvrière est plus développée, elle a même commencé, que quelques-unes, et même la majorité, parmi les revendications formulées dans la dernière moitié du programme, sont devenues incompatibles avec les principes communistes dont elles entravent la réalisation.
Le moment est arrivé, aussi bien dans les pays capitalistes les plus avancés de l’Europe, qu’en Amérique et en Australie, que nous devons crier à nos « aussi-communistes », nos réformateurs parlementaires :
« Choisissez, camarades ! »
Vous ne pouvez pas servir à deux maîtres, et à l’ancienne et à la nouvelle société !
Les communistes révolutionnaires ne sont par prêts à suivre l’exemple donné par plusieurs socialistes et à se régler d’après leur tendance à former un parti de gouvernement, ce qui, selon leur avis, ne peut être qu’une utopie, une aspiration à un pouvoir qui ne saurait être qu’apparent ; ils le considèrent aussi comme un changement de front dans le mouvement ouvrier, une tendance incontestable à placer au premier plan et à donner comme but de la lutte engagée pour l’émancipation du prolétariat, l’adoption de réformes, qui, autrefois, avaient été acceptées par le mouvement ouvrier socialiste, seulement comme moyen d’agitation et d’organisation.
Ils voient ces socialistes, qui aspirent aux pouvoirs publics, tout en cherchant à conserver leur nom de socialiste, pour ne pas perdre toute leur influence auprès du prolétariat animé de l’esprit socialiste, se démasquer peu à peu et se montrer des politiciens petits-bourgeois, des socialistes de gouvernement.
L’aspiration à la conquête du pouvoir public dans la société bourgeoise est accompagnée toujours par les efforts qu’on fait pour adoucir les conditions du prolétariat en invoquant la protection de l’État bourgeois contre l’exploitation capitaliste. Cette aspiration ne peut qu’amener les employés du gouvernement à remplir les fonctions d’inspecteurs dans les fabriques et les ateliers.
Ce n’est pas aux producteurs eux-mêmes, mais aux représentants des producteurs que ces socialistes cherchent à confier la réglementation du travail, sans négliger, cependant, de montrer qu’ils sont les représentants les plus capables des premiers.
C’est ainsi que les socialistes parlementaires deviennent des étatistes. Ils identifient l’État bourgeois avec la communauté et avec une hardiesse et une bravoure s’accélérant toujours, ils font passer pour socialisme la monopolisation par l’État d’une branche d’industrie et du commerce après l’autre (on viendra plus tard à la monopolisation de la terre) partout où cette monopolisation peut être présentée comme protectrice de la classe ouvrière.
Pour ces socialistes, en définitive, toute la différence entre le socialisme d’État et le communisme paraît consister dans la question si la monopolisation des moyens de production doit être proposée dans le parlement bourgeois par le gouvernement ou par les délégués socialistes.
Parmi ces soi-disant socialistes, ces socialistes parlementaires, les plus conséquents, ainsi qu’il arrive en Allemagne, négligent le mouvement professionnel ; ils haïssent les grèves, qu’ils appellent « l’épée à deux tranchants ». C’est justement la lutte économique qui doit mettre le prolétariat organisé en mesure de combattre, même contre le pouvoir législatif, pour la réalisation de ses tendances révolutionnaires ; lutte dans les fabriques, les ateliers, les bureaux ; lutte contre l’État par le refus de payer l’impôt ; lutte contre les propriétaires en se concertant dans les locations ; ces luttes qu’ils n’admettent que dans le cas où elles peuvent servir aux intérêts parlementaires, ils les repoussent toujours en proclamant que la législation réglera les choses au mieux, la législation toute-puissante, per quam omnia facta sunt, par laquelle tout a été fait.
Contre ces efforts des soi-disant socialistes, des socialistes parlementaires et contre les conséquences qui forcément en découlent les prolétaires de tous les pays doivent se tenir en garde.
C’est la tâche des socialistes révolutionnaires et des anarchistes communistes de les avertir.
Par notre but communiste révolutionnaire nous sommes antiparlementaires parce que nous sommes antiétatistes.
Les communistes révolutionnaires ne désirent pas augmenter les pouvoirs de l’État, mais les lui enlever.
Dans la société capitaliste actuelle l’État, c’est-à-dire le Gouvernement, dans les différents corps constitués à cet effet, exerce déjà son influence funeste sur la vie des citoyens, et c’est ainsi qu’il dispose du bonheur de milliers d’employés et de travailleurs au service de l’État ou des communes dans tous les pays.
Le gouvernement n’est pas le serviteur de la société et l’exécuteur de ses volontés, mais il en est le maître, qui donne ses propres ordres, en réglementant ainsi la vie des citoyens et en les tyrannisant.
C’est pourquoi le gouvernement ne fonctionne pas seulement comme intermédiaire entre les différents groupes de citoyens remplissant les mêmes situations, qu’on trouve forcément dans toutes les sociétés, le gouvernement bourgeois ne perdant jamais son caractère de classe en trouvant toujours l’occasion de favoriser les membres de sa classe, mais qu’il exerce aussi le contrôle qui dans l’État bourgeois de nos jours est nécessaire par l’antagonisme qui existe entre les intérêts des producteurs et ceux des monopolisateurs des moyens de production et de consommation.
Mais, même si le gouvernement se montrerait disposé à réaliser au moyen de la législation quelques réformes sociales urgentes, ces ouvriers organisés doivent toujours se tenir sur leurs gardes.
Dans le cas où le gouvernement bourgeois se décidera à procéder à quelques petites réformes dans le but d’adoucir quelque peu l’influence du système d’exploitation capitaliste et d’empêcher la ruine complète des victimes du capitalisme, même dans ce cas ces réformes ne seront jamais réalisées que sous sa surveillance.
La législation protectrice du travail ne peut être appliquée autrement que par les employés, les fonctionnaires de la classe dirigeante, qui exercent ainsi leur influence sur l’agriculture, le commerce et l’industrie. L’appétit vient en mangeant. L’influence de plus en plus grande exercée sur les conditions du travail ne peut être nullement désagréable à nos gouvernements, leur idéal ne pouvant être que celui de dominer directement au nom de « l’ordre social » les conditions de vie de tous les citoyens et de placer en définitive sous le contrôle de l’État l’ensemble de la production et de la distribution des biens.
Pour les plus gros actionnaires des différents chemins de fer américains, pour la plupart des propriétaires de mines et des manufacturiers de coton en Angleterre, ainsi que pour les grands industriels et négociants qui vivent dans un conflit permanent avec leurs ouvriers organisés et qui dans la lutte déchaînée par la concurrence doivent tôt ou tard succomber, pour tous ceux-ci il ne peut qu’être agréable de pouvoir mettre leurs richesses sous la protection de l’État ; et qu’au lieu d’en être expropriés, ils pouvaient les vendre pour pouvoir ensuite, eux ou leurs agents, administrer comme directeurs leurs anciennes entreprises particulières, avec des traitements très élevés de la part de l’État, et la perspective d’une pension, et pouvant ainsi garder leur situation privilégiée.
De capitalistes ils deviendraient ainsi des hommes d’autorité ; d’exploiteurs de la force de travail hàis de leurs concitoyens des commissaires de gouvernement respectés, contre lesquels, comme directeurs de la production dans les ateliers de l’État, toute opposition serait impossible ; des hommes qui pourraient mieux assurer l’obéissance de leurs sujets, sous le nouveau système d’exploitation par l’État, que sous l’ancien système d’exploitation privée pratiquée par les capitalistes eux-mêmes.
Ce système maudit de socialisme d’État, on peut se le figurer développé jusqu’à un point, où même la société actuelle pourrait être considérée, pour un grand nombre de travailleurs industriels, agricoles, commerciaux, comme un palladium de liberté.
Pour juger sur la gravité de ce danger nous n’avons pas à tenir compte, comme il est exprimé follement dans la résolution contre le socialisme d’État adoptée par le congrès des démocrates socialistes allemands tenu à Berlin (1892), — du fait que nos gouvernements modernes pourraient procéder à la monopolisation de quelques branches d’industrie, de commerce, d’agriculture dans un but fiscal
et sans avoir une autre intention.
La monopolisation par l’État demeure toujours monopolisation par l’État, qu’elle s’accomplisse dans l’intérêt du fisc ou en vue de protéger, comme on le prétend, la classe ouvrière ; de même que l’empoisonnement par le chloroforme est toujours un empoisonnement par le chloroforme, qu’il ait lieu par les parents du mourant, en vue de l’héritage, ou par un sentiment d’humanité pour donner au malade un peu de repos.
Ce n’est ni de cette manière ni par la décision adoptée au même congrès de Berlin qu’on pourra échapper au danger que présente l’intervention de l’État en disant qu’à la vérité le socialisme d’État de nos gouvernements n’est qu’un « système de demi-mesures nées de la peur du socialisme », qu’il n’est en somme qu’un ensemble de petites concessions et de palliatifs, et qui ne sauraient valoir que comme des acomptes payés au prolétariat.
Ce qui, au contraire, a une importance décisive, c’est la question de savoir si les prolétaires, en demandant l’appui du gouvernement appelé à réaliser ces réformes, au lieu de l’appui de leurs propres organisations, ne travaillent pas dans l’intérêt du socialisme d’État.
Dans ce cas un « système de demi-mesures », un système incomplet serait encore moins dangereux qu’un système intégral.
Le prolétariat doit toujours se tenir en garde pour ne pas se lier aux employés du gouvernement, aux magistrats et même à ses propres députés, par une législation du travail de plus en plus étendue et absorbante. Ils ont à réclamer le contrôle des ouvriers organisés sur leur propre travail, se développant dans le sens de l’autonomie, et pour préparer les conditions d’un mode de production et de distribution des biens sous la direction des producteurs directs eux-mêmes.
Si les producteurs ne possèdent pas les qualités nécessaires pour pouvoir dominer à l’aide de leurs organisations la production et la distribution des biens, — alors les classes dirigeantes, aidées par les éléments les plus développés, présentés dans le mouvement ouvrier, peut-être par les représentants des ouvriers eux-mêmes dans le parlement, conserveront encore dans l’avenir leur situation privilégiée, et l’assujettissement, l’esclavage du prolétariat continuera comme auparavant, n’ayant changé que de nom ou de forme.
Aux époques assez graves, dans les périodes de transition d’un mode de production et d’appropriation à un autre, l’habitude ou le peu d’habitude des travailleurs de prendre à cœur leur propre cause, la confiance dans leur force plutôt que dans l’intelligence et la sollicitude des employés du gouvernement et respectivement de leurs propres représentants exerceront une influence décisive sur la structure à venir de la société.
C’est un des facteurs économiques qui ont une action prépondérante sur l’ensemble de la vie sociale et politique.
La réglementation du travail salarié par les gouvernements modernes garde toujours son caractère de socialisme d’État ; même si elle a été obtenue par les efforts des soi-disant socialistes et sous les auspices du suffrage universel.
Les communistes révolutionnaires doivent toujours le rappeler aux prolétaires.
D’autre part, les socialistes révolutionnaires et les anarchistes communistes sont tenus aussi de faire front contre les anarchistes individualistes, partout où ceux-ci se montrent des adversaires de toute organisation et où leur action entrave et paralyse la lutte de classes que le prolétariat opprimé a engagée contre ses oppresseurs et affaiblit ainsi la force de résistance et la combativité des prolétaires organisés.
Contre la proposition des socialistes étatistes que les monopoles du sel, du tabac, du blé, etc., renferment un noyau socialiste ;
(Comme par exemple au commencement de mars 1895, le Vorwœrts, journal socialiste de Berlin, disait au sujet de la proposition Kanitz concernant le monopole des blés présentée au Reichstag, que cette motion avait un caractère socialiste, mais que la réforme ne se trouvait pas en bonnes mains.)
Que les télégraphes, téléphones, le gaz, l’eau, les tramways, les chemins de fer, le système des communications, etc., seraient des institutions socialistes, pourvu qu’elles ne soient plus entre les mains de particuliers ou de sociétés anonymes, mais appartiennent à l’État, aux communes, c’est-à-dire se trouvent entre les mains de l’État de classe moderne ;
Contre l’opinion proclamée depuis dix ans par une partie des socialistes parlementaires méritant plutôt le nom de démocrates radicaux, que dans nos États modernes le service postal peut donner une idée de la manière dont sera réglée une société communiste ;
Contre ces déclarations des socialistes étatistes, qui jouent si volontiers le rôle de communistes, les communistes révolutionnaires ne peuvent empêcher de formuler les revendications fondamentales du socialisme libertaire.
Les communistes révolutionnaires sont convaincus que le mode d’après lequel ont lieu la production et la distribution des biens dans chaque société dépend directement du régime de la propriété des forces productives et se modifie avec les changements dans les conditions de cette propriété. Ils savent en outre que la vie sociale, politique et morale des hommes dans la société communiste ne pourra pas entrer de force dans le cadre que quelques penseurs de nos jours voudraient lui imposer, mais qu’elle suivra le mode d’évolution que parcourt la population des États modernes dans la lutte de classe.
Cependant ils croient qu’il est nécessaire de donner, même dès à présent, une ébauche en indiquant, pour autant que c’est possible, les lignes générales d’une société communiste vraiment libre. Ils s’y tiennent obligés pour persuader leurs concitoyens et pour dissiper toute équivoque et tout malentendu.
Voyons en effet en quoi consiste la différence entre la monopolisation du commerce, de l’industrie, des communications, etc., entre les mains du gouvernement bourgeois actuel (État, province, communes) et la socialisation des moyens de production et de consommation telle que la comprennent les communistes.
Partout où le gouvernement bourgeois remplacera les entrepreneurs particuliers dans les différentes branches de l’industrie, du commerce, de l’agriculture en se présentant comme employeur, il ne fait qu’augmenter et fortifier son pouvoir sur les conditions de vie d’une partie des citoyens. Les ouvriers eux-mêmes qui travaillent à son service se trouveront toujours dans la même dépendance qu’auparavant : ils seront des esclaves salariés alors comme aujourd’hui.
Le service des postes, le monopole des allumettes et du tabac, l’exploitation des chemins de fer, etc. par l’État, qu’on voit dans différents pays, ne sont pas plus des institutions communistes que l’État de classe de nos jours n’est une libre organisation communiste.
Ce n’est pas en raison de cette vérité que les employés de la poste, les ouvriers et les ouvrières de tabac et d’allumettes, les travailleurs de la voie ferrée dans les pays en question n’ont pas de meilleurs salaires que les ouvriers qui travaillent pour des employeurs particuliers. Si on devait y trouver la différence caractéristique, il faudrait seulement une augmentation convenable des salaires pour pouvoir donner à ces institutions une empreinte communiste.
Aussi la différence est une autre que celle que les bénéfices importants que le monopole des postes, des allumettes, du tabac, ainsi que l’exploitation des chemins de fer, etc. rapportent tous les ans aux États qui les exercent et qui sont employés par les gouvernements de nos États modernes, à base de militarisme et de police, dans l’intérêt de la domination de classe des capitalistes. Ce dernier ne touche qu’à la manière par laquelle l’État réalise des bénéfices comme employeur, mais non pas le caractère de l’exploitation même faite par l’État.
Ce qui donne au service de la poste, au monopole des allumettes et du tabac, ainsi qu’à l’exploitation des chemins de fer par l’État, etc. l’empreinte d’institutions de socialisme d’État, c’est le caractère hiérarchique que revêt la réglementation du travail, lorsque celle-ci s’accomplit au service de l’État où sous son contrôle.
Dans toutes ces institutions ainsi que l’exploitation de la production du gaz, de la distribution de l’eau par la commune, ce qui est décisif, c’est de savoir :
Qui doit fixer en maître les conditions de travail ?
Les administrations de l’État, des provinces, des communes, dans toutes ces institutions, par exemple pour le transport des lettres, voyageurs, marchandises, dans la fourniture de l’eau, dans la fabrication et le commerce des allumettes, etc., en nommeront-elles les employés (directeurs et ingénieurs) de sorte que les ouvriers ne soient plus que des instruments entre les mains de leurs supérieurs, sur le choix et la révocation desquels ils n’auront aucune influence ?
Ou bien ce seront les ouvriers organisés qui y régleront le travail ? Est-ce que d’accord avec l’intérêt général, avec la volonté de leurs concitoyens, dont ils pourvoient aux besoins, les organisations ouvrières régleront elles-mêmes la durée du travail, ainsi que toutes les autres conditions dans lesquelles le travail doit s’accomplir ? Est-ce que ces organisations nommeront elles-mêmes dans les ateliers et les fabriques qu’ils exploitent pour la communauté leurs inspecteurs, directeurs et ingénieurs, dont ils suivront ainsi librement les instructions, ou s’y refuseront, et qu’ils pourront remplacer par d’autres le jour où les personnes ainsi nommées ne paraîtront pas en mesure de régler le travail ?
Ce que les communistes révolutionnaires cherchent à réaliser comme revendications fondamentales du socialisme libertaire, ce n’est pas une réglementation du travail, qui fixe la journée normale, et un minimum de salaire, qui assure contre les accidents et l’incapacité du travail, des réformes qui doivent être toujours réglées par la loi et exécutées sous l’inspection des employés du gouvernement.
A cette réglementation, qui nous rappelle le système des gildes ou corporations des arts et métiers du moyen-âge, on doit en opposer une autre qui sort directement des ouvriers organisés eux-mêmes, et non des autorités gouvernementales ; c’est cette réglementation que les communistes révolutionnaires ont en vue.
Le travail doit être réglementé et exécuté dans tous les métiers par les organisations ouvrières dans les différentes communes et provinces. De même que le font aujourd’hui les entrepreneurs particuliers, cette réglementation doit être exécutée en tenant compte des désirs des consommateurs, de tous les membres de la communauté, dont on doit pourvoir aux besoins, c’est-à-dire qu’elle doit être contrôlée par l’opinion publique.
Les communistes se rendent compte que même en accordant aux ouvriers l’autonomie la plus complète dans l’enceinte de leurs fabriques et de leurs ateliers, les consommateurs du gaz et de l’eau potable auront toujours le droit de dire un mot au sujet de la qualité de ces articles de consommation, au même titre que les ouvriers qui travaillent dans les établissements susdits. De même tous les citoyens, par exemple, ceux qui envoient des lettres, les voyageurs, les personnes qui reçoivent l’instruction ou qui y ont un intérêt par rapport à leurs fils et à leurs pupilles doivent aussi pouvoir exercer une influence sur la réglementation des services de la poste, des chemins de fer, ainsi que sur l’organisation de l’instruction, comme les ouvriers employés à pourvoir à des différents besoins de la société.
Comme dans chaque branche d’industrie des différends peuvent se produire entre les consommateurs, la communauté d’un côté et les organisations des producteurs dans l’industrie dont il s’agit, de l’autre, ces différends pourront être arrangés par les fédérations de toutes les organisations ouvrières dans les communes, les provinces ou l’État.
Ce que les communistes révolutionnaires se proposent de réaliser, c’est une société, où dans la campagne, les paysans et les valets de ferme ne seront plus que des travailleurs agricoles qui, réunis dans les assemblées populaires, décideront de quelle manière on doit cultiver les terrains, la propriété de la commune, pour en obtenir la plus grande production ; pour approvisionner des objets de subsistance les magasins de la commune et de la province, et de fournir en nature le contingent que la commune aura à contribuer dans le ménage de la communauté, pour satisfaire aux besoins de la population.
Ce qui constitue la différence essentielle entre la société communiste et la société capitaliste et qui est la conséquence, le résultat nécessaire de la transformation du système de production capitaliste dans un régime communiste, c’est l’abolition complète de la production de marchandises, faites en vue de la vente, ainsi que du système du commerce moderne, et son remplacement par la production par la communauté pour satisfaire ses propres besoins.
La société communiste n’aura plus rien à voir avec la production en vue de la vente. Les producteurs organisés ne produisent plus de marchandises dans le but de les vendre à d’autres individus ou groupes d’individus de la société. Ils ne produisent que des valeurs d’usage suivant les besoins des membres de la société, valeurs d’usage qui, sans être obligées à faire d’abord le salto mortale en argent, arriveront directement aux consommateurs.
Dans le domaine politique le socialisme libertaire favorise l’autonomie du peuple basée sur le fédéralisme.
En régime communiste suivant la nature des choses, le centre de gravité sociale se trouvera dans la réglementation de la production et de la consommation ; il ne se trouve plus dans l’antagonisme des classes et des nationalités, qu’il s’agit de maintenir, et qui était une question vitale pour l’ancienne société capitaliste. La société communiste a supprimé le parlement, cette machine de la domination politique de la classe possédante de nos jours.
Les congrès de délégués des organisations locales, provinciales ou nationales des producteurs, les congrès internationaux des représentants des différents pays délibèrent sur la réglementation du travail et sur les moyens à employer pour écarter les différences locales, nationales et internationales.
Les représentants des organisations dans ces différents congrès ne discuteront pas, comme le font les députés dans les parlements bourgeois, suivant leur bon plaisir et sur des questions qu’ils choisissent eux-mêmes, pour imposer ensuite, au moyen de la loi, leurs dispositions à ceux qu’ils représentent ; ils ne doivent qu’exprimer les opinions et refléter les intérêts, la volonté des organisations, dont ils sont les représentants.
Au point de vue fédéraliste, les partisans du socialisme libertaire contestent la domination que les congrès nationaux et internationaux peuvent vouloir exercer sur les organisations ouvrières locales, sur les associations des producteurs dans les fabriques et les ateliers.
Dans la société communiste les congrès nationaux et internationaux doivent être des groupements spontanés d’organisation, qui se réunissent pour échanger leurs idées et pour délibérer.
Cependant dans leur sphère les organisations doivent être autonomes et parfaitement libres de leurs mouvements, tant qu’elles n’empiètent pas sur la liberté des autres.
De la même liberté ont à jouir les individus, les différents groupes de producteurs dans les fabriques, les ateliers et l’agriculture.
Dans chaque organisation, enfin, la plus grande liberté de mouvement doit être assurée à la minorité, qui ne croit pas pouvoir se conformer aux mesures adoptées par la majorité. La minorité doit avoir le droit illimité et inaliénable de sortir d’une organisation et d’entrer dans une autre.
La minorité conserve ce droit, tant qu’elle n’entrave pas la liberté des mouvements de la majorité, ou celle d’autres organisations, c’est-à-dire qu’elle ne blesse pas l’intérêt général.