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Zo d’Axa, écrivain pamphlétaire et journaliste libertaire

vendredi 30 août 2024, par Charles Jacquier (CC by-nc-sa)

Né Alphonse Gallaud, le 24 mai 1864 à Paris, dans une famille aisée — son père est ingénieur de la ville de Paris —, le futur Zo d’Axa, après des études au collège Chaptal, prépare Saint-Cyr. Engagé dans un régiment de cuirassés, il part ensuite dans les chasseurs d’Afrique. Mais l’aventure n’a pas les couleurs escomptées. Le jeune homme s’y ennuie fort et, premier coup d’éclat, il déserte en emmenant la femme de son supérieur. Sa vie durant, il sera constamment et violemment antimilitariste et manifestera à chaque occasion sa solidarité avec les victimes de l’institution militaire. Réfugié à Bruxelles, il devient journaliste aux Nouvelles du Jour. Mais la vie sédentaire ne lui sied guère, et il part en Suisse, puis en Italie. Amnistié en 1889, il rentre à Paris.

Zo d’Axa a un peu plus de vingt ans.

Selon Jean Grave, ce fut dans les milieux littéraires de Montmartre qu’il fit son apparition, et commença à se faire remarquer dans quelques petits cénacles où il annonça son intention de publier un journal. Hésita-t-il entre le royalisme ou l’anarchisme, comme l’indique Grave, qui le range parmi les originaux qui vinrent tâter de l’anarchie. Manifestement, il n’y avait guère de points communs entre Zo d’Axa et le « Pape de la rue Mouffetard » ! Malgré leurs personnalités opposées — Lucien Descaves parle de « chevalerie errante » pour l’un, et de « roture sédentaire » pour l’autre — Grave reconnaît cependant à Zo d’Axa un tempérament d’aristocrate et le mérite de publier de très bons articles.

En mai 1891, Zo d’Axa publie le premier numéro de L’Endehors, « organe essentiellement littéraire de l’anarchie » (Flor O’Squarr) qui tire à six mille exemplaires. Lucien Descaves, jeune écrivain et futur membre de l’Académie Goncourt, connut Zo d’Axa à cette époque et, dans ses souvenirs, en brosse un portrait admiratif : Avec sa barbe rousse taillée en pointe, Zo d’Axa ressemblait à un mousquetaire travesti en civil. Il était beau, il était brave, il était sarcastique et d’une indépendance à nulle autre pareille. Il ne mâchait pas plus à ses amis qu’à ses adversaires ce qu’il croyait être la vérité... la sienne. Il était de toute sa personne en dehors. Il n’attendait pas la provocation pour tomber en garde. Aussi indépendant qu’incapable de calcul, il obéissait à ses impulsions, sans en devoir compte à personne. Sous le pavillon parlant L’Endehors, il avait frété à ses risques et périls ce bateau de petit tonnage chargé de torpiller une société corrompue.

Une gravure d’époque représente la salle de rédaction du journal, installée dans un sous-sol de la rue Bochard-de-Saron, près du Boulevard Rochechouart : aux côtés de Zo d’Axa se tiennent notamment Jean Grave, Augustin Hamon, Bernard Lazare, Charles Malato, Octave Mirbeau. Des hommes aussi divers que Tristan Bernard, Georges Darien, Lucien Descaves, Sébastien Faure, Félix Fénéon, Emile Henry, Camille Mauclair, Pierre Quillard, Emile Verhaeren y écrivent également. A tous, Zo d’Axa offre une tribune où l’on peut s’exprimer sans euphémismes discrets ni peureuses réticences. Dans Le Figaro, Jules Huret écrit : L’Endehors est un journal hebdomadaire qui publie, toutes violences déchaînées, des écrits anarchistes, des critiques littéraires ultra-modernes ; c’est l’asile de réfractaires comme Georges Darien, et de purs poètes comme Henri de Régnier et Saint-Pol Roux. Le directeur, Zo d’Axa, est un vaillant. Selon Paul Adam, Zo d’Axa est un journaliste de valeur et ses articles offrent d’excellentes et justes diatribes contre l’iniquité du temps (Entretiens politiques et littéraires, tome VI, n°37, 25 février 1893).

Zo d’Axa, par Steinlein.

Logiquement, L’Endehors est bientôt poursuivi. L’auteur d’un article, Louis Matha le gérant, et Zo d’Axa sont condamnés chacun à mille francs d’amende. Dans le numéro suivant, Zo d’Axa commente : Trois mille francs c’est pour rien. Et il administre une nouvelle volée de bois vert à la magistrature ! Après l’arrestation de Ravachol et de ses compagnons, en mars 1892, L’Endehors ouvre une souscription pour ne pas laisser mourir de faim les mioches dont la Société frappe implacablement les pères parce qu’ils sont des révoltés. Zo d’Axa est arrêté sous l’inculpation d’association de malfaiteurs et emprisonné pendant un mois à Mazas. L’Endehors continue de paraître pendant sa détention grâce, notamment, à Félix Fénéon. Peu après, un autre article entraîne de nouvelles poursuites. Sans attendre une nouvelle arrestation, Zo d’Axa traverse la Manche. Les 1er juin et 5 juillet 1892, il est condamné successivement à dix-huit mois de prison pour provocation au meurtre et au pillage, puis à deux ans de prison et deux mille francs d’amende pour le même motif.

Exilé avec Matha, il trouve un refuge temporaire chez Charles Malato, parmi la nombreuse émigration révolutionnaire du quartier français de Londres. Son hôte en brosse le portrait d’un écrivain et cavalier errant, drapé dans une cape de couleur sombre et coiffé d’une façon de Sombrero, sous les larges bords desquels on ne distinguait que des flots de barbe rutilante : Zo d’Axa eût pu revendiquer pour armes la plume, l’épée et la guitare, car il était aussi redoutable polémiste que vaillant escrimeur et Don Juan irrésistible. Au bout de trois mois, fatigué d’une vie morne sur les bords de la Tamise, il décide de partir pour un long périple qui allait l’amener à traverser l’Europe, puis à poursuivre vers le Proche-Orient. Au milieu de cet étrange voyage, il se demande si profitant des suspicions gouvernementales et bénéficiant d’expulsions successives — forces locomotrices qui vous entraînent d’un bout à l’autre des pays, on ne pourrait avec un peu de bonne volonté réussir le tour du monde ? Mais, en décembre 1892, il est arrêté à Jaffa par le consul de France qui, manu militari, le rapatrie sur un bateau des Messageries maritimes en partance pour Marseille. Arrêté à son arrivée, il passe quelques jours dans une prison marseillaise avant d’être transféré à Paris, où il est incarcéré à Sainte-Pélagie, refusant de signer une demande en grâce. Libéré le 1er juillet 1894, jour des funérailles du Président de la République, Sadi-Carnot, exécuté le 24 juin à Lyon par l’anarchiste italien Santo Caserio, il est aussitôt mis au Dépôt, le temps de l’enterrement.

En prison, il a écrit le récit de son voyage et de ses pérégrinations, De Mazas à Jérusalem. L’ouvrage est très bien accueilli par la critique, de Jules Renard à Octave Mirbeau en passant par Laurent Tailhade et Georges Clemenceau. Jules Renard écrira, par exemple, que son livre fait aimer son caractère. Insouciant d’une carrière littéraire, Zo d’Axa dirige l’éphémère quotidien anarchisant La Renaissance (décembre 1895-janvier 1896), où il écrit aux côtés de Félix Fénéon, Mécislas Golberg, Bernard Lazare, Laurent Tailhade, Michel Zévaco, puis il reprend sa vie de voyageur...

En octobre 1897, au milieu des tumultes de l’affaire Dreyfus, Zo d’Axa tente une nouvelle expérience. Il publie « à chaque occasion » La Feuille, et s’explique :

Nous aussi, nous parlerons au peuple ; et pas pour le flagorner, lui promettre merveilles et monts, fleuves, frontières naturelles, ni même une république propre ou des candidats loyaux ; ni même une révolution préfaçant le paradis terrestre...

Toutes ces antiennes équivalentes se psalmodient cauteleusement — ici nous parlerons clair.

Pas de promesses. Pas de tromperie. Nous causerons des faits divers, nous montrerons les causes latentes, nous indiquerons des pourquoi.

Et nous débinerons les trucs et nous nommerons les truqueurs, gens de politique et de sac, gens de lettres — tous les jean fichtre.

Nous dirons des choses très simples et nous les dirons simplement.

Sur une simple page figure, au recto, un dessin de Maximilien Luce, Steinlein, Wilette, etc., et, au verso, un article de Zo d’Axa. Qu’on juge du ton à propos de l’affaire qui enflamme les passions des dreyfusards et des antidreyfusards : Si ce monsieur ne fut pas traître — il fut capitaine. Passons. Cela ne l’empêche pas, bien au contraire, de fustiger les faussaires de l’état-major (« En joue... faux ! ») et les glapissements antisémites de La Libre parole (« Drumont et Vacher »). Mais son coup de maître reste l’élection du candidat de La Feuille : un âne baptisé Nul, hissé le jour de l’élection sur un char et promené dans Paris sous les acclamations des badauds. Quand les forces de l’ordre interviennent, Zo d’Axa déclare : N’insistons pas, c’est maintenant un candidat officiel. N’avait-il pas présenté le bourricot comme un âne pas trop savant, un sage qui ne boit que de l’eau et reculerait devant un pot-de-vin. A cela près le type accompli du député majoritard.

A l’aube d’un siècle nouveau, Zo d’Axa, fatigué de tant de combats, arrête La Feuille et reprend sa vie errante sur les trois continents. Il envoie simplement ses impressions de voyage à différents journaux et écrit dans L’Ennemi du peuple, dirigé par Emile Janvion, qui paraît du 1er août 1903 au 1er octobre 1904. Aux États-Unis, il se rend à Paterson où, selon ses propres termes, des évadés du Vieux Monde s’en vont affûter des couteaux et mâchonner des balles de plomb contre la quiétude des rois. Dans un faubourg de Jersey City, il rencontre la veuve de l’anarchiste italien Bresci qui abattit le roi d’Italie, Umberto 1er, le 30 juillet 1900. La Revue blanche des frères Natanson publie son récit en septembre 1902.

A son retour en France, il s’installe à Marseille où on le rencontre flânant sur la Canebière ou parcourant en bicyclette la Corniche ensoleillée (L. Campion). Sollicité en 1917 par le rédacteur en chef de L’Ordre, Emile Buré — renégat notoire mais journaliste de talent selon Mualdes —, pour écrire ses mémoires, Zo d’Axa lui répond : Ce n’est pas par hasard que je n’écris jamais et si d’ailleurs il me prenait quelque vain plaisir à penser tout haut, je ne serais pas rétrospectif. C’est au présent que je parlerais et trop en dehors, croyez-le, des ronrons de l’Union Sacrée, car je suis le même, malgré le poil blanc et le silence... Toujours réfractaire, ni la guerre de 1914-1918, ni la dictature bolchévique n’obtiennent ses suffrages (L. Campion). En 1921, de passage à Paris, il publie son dernier article dans Le Journal du Peuple pour répondre à une insanité journalistique. L’homme a vieilli, mais la plume est toujours aussi alerte, superbe :

... me taire ne suffirait peut-être pas à me préserver de l’honneur de figurer comme repenti (...) Les derniers amis de L’Endehors et de La Feuille connaissent le sens d’un passé que le présent n’entend pas renier. Pendant un bon bout de chemin, contre les laideurs du temps, nous avons réagi ensemble. On nous traitait d’anarchistes, l’étiquette importait peu. (...) Qu’est-ce donc vivre si ce n’est passer, selon sa nature, un moment ? J’aime le matin sur les routes proches ou lointaines, et sans stylo, sans autre ambition ni but que de comprendre la journée claire en dehors des mirages flottants, en dehors ainsi que toujours, à des feuilles d’écriture près...

Après une tentative ratée de suicide en 1927, Zo d’Axa, qui demeurait 71 Promenade de la Corniche, met fin à ses jours le 30 août 1930 à Marseille. La veille de sa mort, il avait brûlé presque tous ses papiers...

Contrairement à la prévision de Victor Méric, le nom de Zo d’Axa ne s’est pas encore inscrit en lettres flamboyantes dans les anthologies de nos grands écrivains et pamphlétaires. Raison de plus pour, modestement, rappeler sa mémoire en attendant une possible, mais tardive, reconnaissance de ses qualités d’écrivain et de la rectitude morale d’une des figures les plus originales et les plus attachantes de l’anarchisme « fin de siècle »...

 

CEuvres : Zo d’Axa, De Mazas à Jérusalem, Paris, Chamuel éditeur, 1895 (le même livre a été édité à Bruxelles sous le titre de Le grand trimard) ; Endehors, Paris, Chamuel éditeur, 1896 ; Les Feuilles, Paris, La Société libre d’édition des gens de lettres, 1900 ; Endehors, textes rassemblés et présentés par J.-P. Courty, Paris, Champ libre, 1974 ; La Feuille (réimpression dans son format original de la collection complète des 25 numéros. 1897-1899), Saint-Denis, Le Vent du Ch’min, 1978.

Sources : Journaux cités ; Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français 1871-1914, Paris, Éditions ouvrières ; Lucien Descaves, Souvenirs d’un ours, Paris, Les Éditions de Paris, 1946 ; Georges Darien, L’Ennemi du peuple, précédé de Crève la démocratie !, Paris, Champ libre, 1972 ; Jean Grave, Quarante ans de propagande anarchiste, Paris, Flammarion, 1973 ; Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, vol. I, Pans, François Maspéro, 1975 ; Charles Malato, Les Joyeusetés de l’exil, rééd., Mauléon, Acratie, 1985 : Flor O’Squarr, Les Coulisses de l’Anarchie, rééd.. Paris, L’lmsomniaque, 1990 ; Joan U. Halperin, Félix Fénéon, Paris, Gallimard, 1991 ; Olivier Barrot/Pascal Ory, La Revue blanche, Paris, UGE 10/18, 1993 ; Jules Renard, Journal 1887-1910, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 1993 ; Pensée et Action, n°35-36, janv.-juin 1968, « Zo d’Axa, mousquetaire-patricien de l’Anarchie » (articles de A. Barcelone, Léo Campion, Hem Day, Victor Méric, Pierre Mualdès, etc.) ; Renseignements de Marianne Enckell (CIRA-Lausanne).

 

Cet article est la version revue et complétée d’une notice précédemment parue dans la partie « Auteurs » de l’ouvrage collectif, Marseille XXe : un destin culturel, Marseille, Éditions Via Valeriano, 1995, 304 p. Je remercie Mme Béatrice Arnac pour les renseignements et illustrations fournis. Durant les mois de juillet et août 1996 se déroulera une exposition consacrée à Zo d’Axa au Centre national et Musée Jean Jaurès, 2 place Pelisson 81100 Castres. Tél. 63. 72. 01. 01.

 

Voir en ligne : Tous les numéros de la revue Gavroche (1981-2011) sont sur le site Fragments d’Histoire de la gauche radicale.