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V. - L’auteur de la musique de l’Internatio­nale Pierre ou Adolphe ?

dimanche 25 juin 2023, par Hem Day (CC by-nc-sa)

La chanson appartient surtout au peuple. C’est dans le cœur et dans l’âme des travailleurs, des foules plus ou moins malmenées et opprimées, des campagnes et des villes, qu’elle a trouvé ses plus forts et plus beaux accents. Il semble que la souffrance et les aspirations des masses s’expriment surtout dans ces cris de musique et dans ces brèves plaintes mélodieuses que sont les chansons. Dans le trésor artistique il n’est rien de plus précieux que l’en­semble des chants de révolte, de ré­signation, de douleur ou de douceur qui sont nées spontanément, semble-t-il au sein de la multitude. Henri Barbusse (Lettre à la Muse Rouge).

Le chant de l’Internationale a été interprété pour la première fois le 8 juillet 1888. Eugène Pottier est mort le 6 novembre 1887. Il n’a donc jamais entendu chanter son poème.

Ce fait extraordinaire autant qu’étrange, méritait d’être signalé. On doit savoir qu’Eugène Pottier publia ses chansons en deux recueils. Le premier fut édité en 1884 sous le titre Quel est le Fou ?. Le second est daté de juin 1887, il s’intitulait Chants révolutionnaires. Il est préfacé par Henri Roche­fort.

De cette préface nous cueillons ces quelques lignes : Qu’on dégote ces quelques strophes du premier morceau, Jean Misère. N’est pas profond comme Lammenais et coloré comme Ribeira.

Jugez-en par ce premier et ce dernier couplet :

Décharné, de haillons vêtu,
Fou de fièvre, au coin d’une impasse,
Jean Misère s’est abattu.
Douleur, dit-il, n’es-tu pas lasse ?
Ah ! mais ...
Ça ne finira donc jamais ...

A la morgue où coucha son corps
Et tous les jours, dalles de pierre,
Vous étalez de nouveaux morts..
Les otages de la misère.
Ah !, mais ...
Ça ne finira donc jamais ...

Après les massacres de 1871, écrit Rochefort, le vieux combattant a senti la poudre et tout le sang répandu lui a remonté à la gorge. Ah ! les Versaillais peuvent être tranquilles. Leur mémoire ne périra pas. Ils ont trouvé leur Juvénal...

Gustave Lefrançais
(1826-1901)

C’est donc en juin 1871, à Paris, qu’Eugène Pottier composa l’Internationale. L’auteur la dédia à son collègue de la Commune au citoyen Gustave Le­français.

Comment s’est-il fait que ce chant perdu parmi d’autres dans ce volume oublié, Chants révolu­tionnaires, ce chant dont on ne fait même pas allusion, dans les articles qui seront consacrés à Eugène Pottier au lendemain de sa mort, devait sor­tir de l’obscurité et prendre un jour l’essor que nous lui connaissons.

En janvier 1888, P. Argyriadès, bien connu par ses almanachs, publiait une brochure de vingt-quatre pages, consacrée à Eugène Pottier, dans laquelle l’Internationale n’est pas citée parmi les poèmes et les chants dont il est fait allusion.

La poésie de l’Internationale existait depuis dix­-sept ans déjà, quand un membre de la chorale « La Lyre des Travailleurs » adapta aux paroles de Pottier un motif musical entraînant.

« La Lyre des Travailleurs » avait été organisée au sein de la Section Lilloise, du Parti Ouvrier.

Laissons Alexandre Zévaes, nous conter ce qu’elle était :

Cette chorale se réunit à l’Estaminet de la Liber­té, tenu, rue de la Vignette, par le camarade socialiste Gondin. Elle chante le « Bûcheron de la Fournaise ». le « Forgeron de la Paix », les « Hymnes plus ou moins démocratiques de l’époque. »

Ceux qui ont vécu dans ces régions, n’ignorent point du tout ce que représentent ces chorales, sou­vent aidées et encouragées par quelques mécènes mélomanes. La musique est fort prisée, les répétitions suivies, la passion est vive et avec la bonne volonté, les connaissances qui s’acquièrent, produisent des miracles. Quelques-unes de ces chorales ont une répu­tation étendue. N’ont-elles pas donné de grands noms au monde des théâtres : quelques basses et ténors dont la réputation est devenue mondiale ?

Pour ce qui est de la « Lyre des Travailleurs ». l’un de ses organisateur, G. Delory, qui allait devenir un jour maire de Lille, soucieux de voir interpréter par la chorale quelques chants plus con­formes à la propagande socialiste, ayant pris con­naissance du recueil des Chants révolutionnaires. de Pottier, qui venait d’être édité, eut son attention attirée par un chant qui s’intitulait « L’Internatio­nale ».

L’idée lui vint d’en faire composer une musique. Il s’adressa à Degeyter, l’un des membres de la « Lyre des Travailleurs », qui avait la réputation de composer des airs.

Il lui confia le recueil de Pottier, lui signala ce chant tout particulièrement, et lui demanda de com­poser sur ces vers, quelque chose d’entrainant.

Deygeter, après une répétition de la chorale, nanti du recueil de Pottier, se met à l’œuvre. Il est litté­ralement emballé par les paroles du chant de l’Internationale, les vers de Pottier l’inspirent et voilà les notes et les phrases musicales qui se suc­cèdent.
Musicien, Degeyter, l’était, ce militant ouvrier, monteur aux ateliers de Fives-Lille, avait suivi le soir les cours de musique au conservatoire de Lille. Il jouait divers instruments et composait.

A quarante ans, aidé d’un modeste harmonium, il écrivit la musique de l’Internationale. Les jours suivants Degeyter porte le brouillon de sa compo­sition sur lui, à l’atelier ; il en parle et se confie à ses amis Thoilliez, puis à d’autres. Il apporte de ci de là quelques légères modifications, et bientôt, « La Lyre des Travailleurs » se met à apprendre l’Internationale.

A la fin de juillet 1888, la Chambre Syndicale des Marchands de Journaux organise une fête où « La Lyre des Travailleurs » prête son concours. Au pro­gramme est inscrite l’Internationale, qui sera chantée pour la première fois en public.

Cependant l’Internationale ne dépasse pas la ré­gion. Elle va bien être propagée à Tourcoing, Ar­mentières, Roubaix et même à Gand, elle reste ignorée au-delà ou au-deçà des frontières.

Pierre Degeyter

La première édition du Chant de l’Internationale fut tirée à 6 000 exemplaires. Dans cette édition, le nom de l’auteur de la musique n’est pas précédé de son prénom afin d’éviter les susceptibilités de Pierre Degeyter, frère du compositeur présumé. Ceci de­mande des éclaircissements. Les voici :

Une querelle était née entre les deux frères, Adol­phe et Pierre, pour savoir qui était l’auteur de la musique de l’Internationale.

Pierre Degeyter, en 1903 rendait visite à J. B. Clé­ment, qui avait imprimé une édition de l’Interna­tionale, en faisant figurer le nom d’Adolphe sur la couverture, et lui apportait le manuscrit original authentique de la musique qui avait été utilisée pour l’édition originale de 1888. L’erreur fut par la suite réparée.

Pourtant, deux hommes se disputèrent la gloire d’avoir composé cette musique. Les procès et les controverses ne parvinrent guère à prouver qui en fut l’auteur ; historiquement parlant, c’est Pierre De­geyter.

L’attribution ne sembla point contestée au moment où, en décembre 1903, Louis Lumet publiait une bio­graphie de Pierre Degeyter dans la Petite Répu­blique, pas plus d’ailleurs qu’aux fêtes du POB, où Pierre Degeyter avait été invité.

Alors qui, Pierre ou Adolphe ?

On leur prêtait à tous deux, un amour de la musique. La question des droits d’auteur devait faire surgir la rivalité entre les deux frères. De 1904 à 1922, ce fut une suite de longues péripéties devant les tribunaux, chacun, tour à tour vainqueur des enquêtes et contre-enquêtes. En 1914 le tribunal de la Seine trancha le débat en faveur d’Adolphe. Pierre a-t-il interjeté appel ? La guerre de 1914 survint. Un arrêt du 23 novembre 1922 proclama Pierre Degeyter auteur de la musique de l’Internationale.

Que s’est-il passé ?

On sait que Louis Bergot, un Lillois de vieille souche, témoignait qu’à la demande de Delory il alla lui-même trouver Adolphe Degeyter et non son frère Pierre pour lui demander de composer la musique du chant révolutionnaire.

Cette version semble quelque peu contraire à celle que nous offre l’histoire que nous apportent certains biographes.

Mais voici que le magazine Vu reproduisait le fac-similé d’une lettre écrite par Adolphe avant son suicide en 1916.

La teneur de cette lettre, orthographe respectée, la voici :

Lille, le 26 avril 1915.

Cher Frère dans la terrible tourmente que nous traversons ne sachant comment cela finira je Remet à ton Beau Frère Dubart cette letre la décaration que j’aurai faite moi même si je devai venir à Pa-ris au moment de ton appel.
voici
je n’ai jamès fait de Musique encore moin l’internationale si j’ai signé une feuil elle a été préparer Par delory qui ma venu trouver a latelier comme tu sai et je travillier Pour la ville et delory étant Maire je nosés rien lui Refuser. Par crinte de Renvoi et comme tu avez dit que avez signe la Musique de l’internationale de Degeyter si cela pouvez nous servir à quelque chausse que cétai à nous. je nai Pas cru tan Malfaire en signan ce Papier et encor il ne ma Pas dit pourquoi cétait faire.
si je t’écrit c’est Parceque l’on ne sai pas ce qui peu arivé ne menveu pas pour cela si je pouvez te le remettre moi même je serai Bien heureux.
Aphe Degeyter

Cette lettre provoqua en 1922 le revirement de la justice en faveur de Pierre, mais connaîtra-t-on jamais la vérité ?

En 1921, au moment de la scission du SFIO, Pierre Degeyter adhéra au PC et en 1927, il assistait aux fêtes du 10e anniversaire de la Révolu­tion Russe.

Dès 1894 le secrétaire de la mairie, Armand Gos­selin, ancien instituteur, publia une édition popu­laire de l’Internationale. Il est poursuivi, accusé de provocation au meurtre à cause des paroles du cin­quième couplet.

Le 11 août 1894, déféré aux assises de Douai, notre éditeur amateur est condamné à un an de prison et à cent francs d’amende.

Tout cependant passa inaperçu ; Jules Guesde, lors d’une conférence à Calais, rappellera le fait, parce qu’une collecte organisée en faveur de Gosselin suscita une demande de renseignements.

Le Socialiste du 8 septembre 1894, rapporte l’explication de Guesde où il est dit que le couplet incriminé par le jury ayant trait, étant écrit sous l’empire, aux armées des despotes et que, par cette condamnation la justice bourgeoise prenait fait et cause pour les traîtres et les lois des conjurés dont parle la Marseillaise.

A ce sujet Zévaes fait remarquer que Guesde com­met une légère inexactitude, attendu que l’Interna­tionale est postérieure à la guerre et à la procla­mation de la République.

Le 14 septembre 1894, au XIIe Congrès national du Parti Ouvrier, la condamnation de Gosselin est de nouveau invoquée. On y vote un ordre du jour de protestation en faveur de victimes de la réac­tion, l’Internationale n’y est pas citée, on parle d’un chant révolutionnaire de Pottier.

La Jeunesse Socialiste, de mai 1895, signale Zévaes, publia une étude consacrée à l’œuvre de Pottier, là non plus l’Internationale n’était pas signalée, par Henry Pécry, auteur des pages sur le poète Pottier.

En 1896, le 20 juillet, s’ouvre le XIVe Congrès Na­tional du Parti Ouvrier Français. C’est à ce Congrès seulement que l’Internationale va prendre son essor.

Des délégués étrangers assistèrent à cette réunion : allemands, autrichiens, espagnols, roumains, la réac­tion lilloise mobilise ses adhérents, le PO appose sur les murs de Lille, une affiche sur laquelle est fait un appel à la population travailleuse de Lille pour venir saluer les « frères du dehors ». Le 23 juillet à 21h. le cortège se dirige vers le palais Ra­meau. La collision se produit entre les nationalistes et socialistes. Les uns chantent la « Marseillaise » les autres l’« Internationale ». C’est la cohue, mais le peuple ouvrier écrira le Réveil du Nord sort triomphant, et voilà mise en déroute la réaction lilloise. L’« Internationale » a été pour une bonne part pa­raît-il dans la victoire. Du coup, le chant va se vul­gariser en France. On en retient les paroles, on enregistre la musique. Le rythme est engageant, les paroles de Pottier, la musique de Degeyter conquiè­rent les cœurs et l’âme du peuple. A dater de ce jour l’« Internationale » s’imposait dans les réunions ou­vrières.

Au début de décembre 1899, le Congrès Socialiste Français tient au Gymnase Japy, à Paris, ses assi­ses. Au moment de sa clôture, Henri Ghesquière, dé­légué du Nord monte à la tribune et chante l’« In­ternationale » et la salle reprend en chœur le refrain.

L’« Internationale » était adoptée par le Parti Ouvrier Français. Cependant aux Congrès Interna­tionaux, c’est toujours la « Marseillaise » qui est en l’honneur. Au Congrès de Bruxelles le 23 août 1891, Jean Volders, fait encore chanter la « Marseillaise » comme hymne révolutionnaire et ce n’est qu’au Con­grès de Copenhague en 1910 que les délégués Fran­çais entonnent l’« Internationale », reprise par tout le Congrès.

Mais l’hymne révolutionnaire, n’a pas encore trou­vé entière approbation, et des sections sont réticentes, l’esprit de la révolution française domine encore for­tement chez certains socialistes. Les Français, eux, sa­vent à quoi s·en tenir sur les bienfaits de la IIIe Ré­publique. Ils préfèrent s’abstenir d’entretenir une lé­gende qui ne peut que nuire à l’esprit de révolte qui doit animer la classe ouvrière. Ceux qui n’allaient pas tarder à trahir le peuple, penchent plutôt vers la « Marseillaise ».

Voici octobre 1917, la Révolution Russe triomphe, les bolchevistes s’emparent du pouvoir et rejettent le Bojé-Tsara-Krani avec les symboles et attributs de l’ancien régime. L’« Internationale devient le chant officiel de l’Union Soviétique.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là.

La deuxième guerre mondiale met aux prises, hit­lériens, fascistes, démocrates (?). L’U.R.S.S. s’allie avec les États démocratiques et ploutocratiques. Une nécessité s’impose, il faut arrondir les angles, éviter de froisser ses amis et alliés. On cesse à Radio Mos­cou, de jouer l’« Internationale » après les émis­sions, comme c’était l’usage avant. On va même jus­qu’à composer un hymne national soviétique. Il de­vient l’hymne nouveau, accepté par tous, la diploma­tie a sauvé la face des choses.

Ier mai 1948, le Peuple de Bruxelles publie le communiqué suivant :

Nouveau Chant militaire en URSS.
Le premier prix du meilleur chant militaire, vient d’être attribué au compositeur Krouchinine. qui a composé une musique martiale sur des paroles de Borodowski. Les deux lauréats recevront 15 000 roubles.

Le patriotisme coule à pleins bords dans le nouvel hymne, dont la phrase suivante constitue le refrain :

Nous sommes prêts à marcher au combat sur l’ordre de Staline...

Autrefois les Russes chantaient, Dieu protège le Tzar.... Ce n’est pas la peine vraiment de changer de gouvernement.

Ainsi donc, le chant universel du socialisme, a fait le tour du monde. Certains, ont tenté de le plier à leurs fins politiques, étatiques, mais il est trop com­promettant pour servir les desseins fossoyeurs des révolutions. Chaque fois que l’on a voulu l’utiliser pour des fins inavouables, il s’est dressé contre les prétentions stupides de ces renégats. Il a rompu les amarres qui prétendaient entraver sa force dynami­que. Il faussa compagnie aux imposteurs, toujours il réservera de durs lendemains à tous ceux qui ne font que chantonner ces paroles de Pottier, si pleines de révolte à venir.

Et comme un appel de conscience aux pleutres, aux démagogues, aux rénégats, le couplet, dont on veut se débarrasser, resurgit plus vivant que jamais au lendemain d’une seconde guerre mondiale, et, alors que l’on s’apprête à lancer le monde ouvrier dans de nouvelles boucheries. ces strophes resurgis­sent, elles sont là pleines de révolte :

Les rois nous soûlaient de fumées
Paix entre nous, guerre aux tyrans
Décrétons la grève aux armées
Crosse en l’air et rompons nos rangs.

S’ils s’obstinent ces cannibales
A faire de nous des héros,
Ils sauront bientôt que nos balles,
sont pour nos propres généraux.

Paroles que l’on fera bien de méditer, chez les uns et chez les autres et de ne point oublier leur vérita­ble signification.

Mais demain, que chanteront les armées des pays de l’URSS et de la Chine, si elles s’entretuent au nom des prestiges et des dictatures des états totali­taires ? Qui vivra verra.

Voir en ligne : Bibliographie de Hem Day sur Anarlivres.org


IV. - Voici le texte en entier de l’Internatio­nale avec commentaires