Les précurseurs
Le 19e siècle a vu l’émergence de l’anarchisme comme courant idéologique organisé autour de la pensée de Pierre-Joseph Proudhon, Michel Bakounine et Pierre Kropotkine, pour n’en nommer que quelques-uns. Au Québec, ce sont davantage les révolutions de 1837 (au Canada), 1848 (Palerme, Naples, Milan, Venise, Paris, Vienne, Berlin...) et de 1871 (Paris) qui ont servi de modèles aux premiers libertaires canadiens-français. Certains d’entre eux sont davantage des humanistes radicaux que des anarchistes. C’est notamment le cas d’Arthur Buies (1840-1901), un libre-penseur anticlérical et révolutionnaire qui participa à l’insurrection républicaine dirigée par Garibaldi [1] lors de son séjour en Europe de 1859 à 1862. A son retour, Buies cherche à diffuser ses idées par le biais d’un journal populaire et satyrique s’attaquant à l’emprise du clergé sur la société canadienne-française. Au mois de septembre 1868, il publie le premier numéro de La Lanterne, un bulletin de 16 pages pleines de « propos révolutionnaires » et de « chroniques scandaleuses ». Pourfendant l’autorité du clergé, Buies s’attaque à l’atrophie des consciences dans une société peu réceptive à ses idées : l’entre en guerre avec toutes les stupidités, toutes les hypocrisies, toutes les infamies
[2]. Il y proclame avec force son idéal de liberté : la république, ou la liberté, n’est pas aujourd’hui ce que les peuples pensaient autrefois. La liberté moderne est inséparable de la fraternité. On ne la veut pas seulement pour un peuple, mais pour tous les peuples. On veut effacer les frontières, et voir tous les hommes unis dans la recherche du bien commun. Voyez ces associations d’ouvriers qui se rencontrent sur un point donné de l’Europe, mais qui viennent de tous les pays à la fois. Ces ouvriers déclarent qu’ils sont frères, et que les gouvernements ne les forceront pas à se battre les uns contre les autres. Voyez ces congrès pacifiques qui se tiennent à Genève. C’est le premier pas vers la fusion des races et l’harmonie des droits populaires
[3]
L’humanisme radical de Buies va de pair avec une éducation libre, fondée sur la Raison et débarrassée des dogmes religieux. Ainsi seulement sera-t-il possible d’envisager une réelle égalité sociale et économique : il faut pour cela que l’instruction soit libre, qu’elle soit dirigée par des hommes qui veulent faire d’autres hommes et non par une caste ambitieuse qui ne cherche qu’à faire des esclaves afin de leur commander
[4]. La Lanterne paraîtra régulièrement pendant six mois avant d’être interdit de vente par le clergé. Buies n’est pas le seul à être visé par les autorités religieuses : quelques années plus tôt, un prêtre saisit chez un libraire de Montréal plus de 1 500 volumes mis à l’index par l’Eglise catholique et les brûle sur la place publique [5]. Les seuls alliés objectifs de Buies semblent se trouver du côté de l’Institut canadien de Québec. L’Institut canadien est animé par quelques esprits progressistes malheureusement coupés du reste de la population. Cet isolement s’explique sans doute par la féroce répression dirigée contre eux par le clergé, mais également par leur proximité idéologique avec le libéralisme politique, alors très présent en Europe et aux États-Unis mais de plus en plus éloigné du mouvement ouvrier et davantage encore des idées socialistes.
L’influence de la Commune
Paradoxalement, c’est grâce à la Commune de Paris (1871) si l’anarchisme pose son pied au Québec. Face à l’arrivée imminente des troupes prussiennes et l’incapacité du gouvernement français à assumer la défense de Paris, le peuple s’arme, prend le contrôle de la Ville et proclame ses lois révolutionnaires en rupture avec l’État. Après un siège de plusieurs semaines, la révolte est durement réprimée par l’armée régulière française [6] : 30 000 communards sont fusillés par les contre-révolutionnaires et un nombre égal prend le chemin de l’exil ou du bagne. La réaction du clergé canadien-français à cette révolution (avortée) est foudroyante. Monseigneur Raymond écrit : La capitale de la France, centre de ces iniquités et de ces immondices, ne m’apparaît plus que comme une terre souillée, ainsi que celle de Babylone ou de Sodome, et comme telle appelant la vengeance du ciel
[7]. Dès lors, la panique s’empare des curés canadiens-français : et si des communards venaient s’établir ici ? Une campagne ouvertement xénophobe est orchestrée à travers la province de Québec. Les autorités religieuses mettent en garde l’opinion publique : Le plus grand malheur qui peut arriver au Canada serait de tomber dans la possession de ces révolutionnaires. Dans la conjoncture présente, le gouvernement n’est pas le seul intéressé à éloigner les Français de cette province... mais tout fidèle sujet, tout vrai patriote, tout bon catholique qui désire conserver sa religion, ses libertés, ses lois, sa morale, y est particulièrement et personnellement intéressé
[8]. Malheureusement pour les curés (et heureusement pour nous !), le spectre de l’anarchisme se matérialise bientôt sous leurs yeux, prenant la forme d’une marée humaine difficile à endiguer.
En 1871 et 1872, entre 1 000 et 3 000 communards s’exilent au Canada, la plupart à Montréal. Ceux-ci constituent une société bruyante qui doit même être dispersée par la police lors d’une manifestation
[9]. Le consul de France à Montréal les décrit comme des socialistes, des ivrognes
, des gens déclassés et des réfractaires à la loi militaire
[10]. On trouve parmi eux un ancien rédacteur du journal le Père Duchesne, Alphonse Humbert (dit d’Abrigeon). Selon le consul, celui-ci attaque les principes sur lesquels repose l’ordre social dans tout pays civilisé
[11]. Humbert, condamné aux travaux forcés pour avoir incité le peuple à la révolte dans les pages de son journal, reviendra en France en 1879, profitant de l’amnistie qui est accordée aux communards. Entre-temps, il prononce en 1874 une conférence à l’Institut canadien de Québec sur les misères rencontrées par les immigrants français au Canada. Ces derniers ont la vie dure : la crise économique fait rage et le chômage massif plonge la plupart des exilés français dans la misère. La présence à Montréal d’un millier d’anciens soldats et d’officiers de la Commune oblige le consulat français à mettre sur pied en 1876 une société de bienfaisance pour venir en aide aux nouveaux immigrants arrivant de France. Les diplomates français craignent que les tendances anarchiques
[12] et l’anticléricalisme des communards en exil déteignent non seulement sur leurs compatriotes fraîchement arrivés, mais également sur les travailleurs canadiens.
La révolte gronde
Aux yeux des réactionnaires canadiens-français, la Commune symbolise le mal révolutionnaire et socialiste. Il en va de même pour les associations ouvrières qu’une loi promulguée par le gouvernement fédéral rend légales en 1872. Le journal le Nouveau Monde (ultramontain, c’est-à-dire ultra-clérical) prédit les résultats d’une telle mesure : Sir John A. MacDonald veut introduire au Canada une loi en vigueur en Angleterre... Mais la loi anglaise a été sanctionnée le 29 juin 1871, elle n’a donc pas encore été en position de donner sa mesure et d’annoncer les résultats qu’elle produira infailliblement. Pourquoi se hâter quand nous savons ce que cette législation a produit en France. (...) N’avons-nous pas vu l’Association Internationale des Travailleurs diriger les mouvements révolutionnaires, établir la commune à Paris et à Lyon. C’est en 1864 que les Chambres françaises légalisèrent les coalitions et c’est en 1871 que l’Internationale est devenue maîtresse de Paris et qu’elle fit trembler la France
[13]. En fait, ce n’est pas la présence des communards ou la légalisation des syndicats qui entraîneront des troubles dans la province de Québec, mais bien une grave crise économique, comparable à celle de 1929. Entre 1873 et 1878, les conflits ouvriers se multiplient aux quatre coins de la province au fur et à mesure que le chômage et la misère prennent de l’ampleur. Les travailleurs se tournent vers l’action directe pour avoir gain de cause. La spontanéité et la radicalité des révoltes ouvrières vont de pair avec un durcissement de la lutte des classes.
Le 17 septembre 1877, des journaliers employés à l’agrandissement du canal Lachine près de Montréal quittent le travail. Le motif : les 300 employés de la Davis et Cie affirment avoir été employés pour 90 cents par jour et n’en recevoir que 80
. Ainsi, la grève se répand dans les autres sections du canal, certains confrères devant parfois être convaincus par la force, c’est-à-dire à coups de cailloux ; tous les travaux se trouvent paralysés. (...) les grévistes attaquent le bureau de la Davis et Cie ; plusieurs coups de feu sont échangés et deux hommes sont blessés. Des détachements de la police de la ville et une cinquantaine d’hommes de la milice doivent demeurer en permanence sur les lieux pour maintenir l’ordre
[14]. Cette grève se règle finalement au début de janvier 1878, pour mieux reprendre sur d’autres chantiers de construction ailleurs en province.
De nouvelles émeutes ouvrières éclatent à Québec au mois de juin 1878 : plus de 500 employés sur les chantiers de construction du gouvernement, débraient, exigeant un salaire de 1,00$ par jour au lieu de 50 et 60 cents qui leur sont alloués à la suite d’une baisse de salaire ; ils marchent sur le parlement de Québec, paradant dans les rues de la ville en arborant le drapeau rouge et exigeant de voir le Premier ministre, M. Joly. Ce dernier affirme ne rien pouvoir faire pour eux puisque ce sont des entrepreneurs qui paient les ouvriers, mais il leur promet pourtant une hausse de 20 cents par jour, ce que les grévistes refusent, résolus de ne pas accepter moins de 1,00$. Des troubles éclatent alors en différents endroits de la ville : des grévistes enfoncent des portes d’usines, envahissent les ateliers du chemin de fer de la Rive Nord, commettent des dégâts à la fabrique d’allumettes Paré, sur la rivière Saint-Charles. Le 12 juin, plusieurs centaines d’entre eux se rendent chez un entrepreneur en construction, M. Peters, pour le forcer à signer un document promettant 1,00$ par jour ; sur son refus, on saccage les bureaux de l’établissement. Quelques-uns partent ensuite piller l’entrepôt de farine Renaud, rue Saint-Paul. Des soldats accourus sans armes pour assurer l’ordre, doivent se replier ; ils reviennent armés, et après la lecture du Riot Act tirent sur la foule. Un des émeutiers est atteint mortellement
[15]. Il s’agit d’Édouard Beaudoire, un ouvrier d’origine française que des rapports militaires décrivent comme un socialiste ayant participé à la Commune de Paris. Le soir, des manifestations rassemblent trois à quatre mille hommes et des discours incendiaires sont prononcés ; un groupe va même jusqu’à libérer un gréviste à la prison de Québec
[16]. Le lendemain, l’arrivée massive de troupes venues de Montréal parvient à rétablir l’ordre : dès le 14 juin, certains ouvriers retournent au travail. Ainsi se termine une autre révolte enflammée...
Les Chevaliers du Travail
La crise économique passée, les syndicats refont surface au Québec. Une première assemblée des Chevaliers du Travail (Knights of Labor) voit le jour à Montréal en 1882 ; rapidement, l’organisation se développe aux quatre coins de la province, soulevant beaucoup d’émoi chez les prélats catholiques. Aux États-Unis, son apparition remonte à 1869. Sa création et son développement au sud de la frontière furent soutenus par de nombreux socialistes et anarchistes, notamment à Chicago. En 1886, Mgr Tachereau demande à Rome d’intervenir pour interdire cette « secte maçonnique », pensant ainsi freiner la progression des Chevaliers dans la Belle Province. On reproche à l’organisation sa « neutralité » [17], le caractère secret de ses activités, son approche plus combative qu’on associe à la lutte des classes. Quel est donc ce programme sensé amener la révolution aux portes de Québec et de Montréal ? Un amalgame de réformes radicales pour l’époque (contre le travail des enfants, pour l’instruction publique, pour l’égalité des hommes et des femmes selon la formule « à travail égal, salaire égal »), jumelé à une critique du système capitaliste, tout particulièrement de l’exploitation salariale : nous ne croyons pas que l’émancipation des travailleurs réside dans l’augmentation des salaires et la réduction des heures de travail ; nous devons aller beaucoup plus loin que cela, et nous n’y parviendrons que si le régime du salariat est aboli
[18].
Au fil des ans, les Chevaliers du Travail arriveront à rassembler à travers tout le Québec un nombre important d’ouvriers non-spécialisés, délaissés par les syndicats de métiers ouvertement corporatistes. D’après l’historien Jacques Rouillard, les Chevaliers du Travail avaient une conception assez large de la classe ouvrière : leur projet visait rien de moins qu’à réunir l’ensemble des producteurs dans un vaste mouvement pour l’abolition du salariat et le rétablissement d’une société nouvelle fondée sur la coopération et la petite propriété
[19]. Fortement décentralisées et contrôlées par leur base, les assemblées des Chevaliers du Travail regroupaient tous les travailleurs, sans distinction de métier, de sexe, de croyance, de couleur ou de nationalité.
Chez les haut-dirigeants des Chevaliers du Travail aux États-Unis (dont l’organisation est en complète dégénérescence), une certaine inquiétude commence à se faire sentir : comment continuer à garder le contrôle sur cette masse d’ouvriers de plus en plus turbulente, défiant ouvertement l’autorité du clergé et du patronat en plus d’enfreindre les règles habituelles des « trade-unions » ? Parlant des ouvriers canadiens-français, le leader américain des Knights of Labor, Terence V. Powderly, avait l’habitude de dire : Il y a tant d’anarchistes au Canada ! Ils [ceux au pouvoir] ont raison de se méfier. Les Français sont bien plus difficiles à manier que les autres peuples. Nous avons aussi un certain nombre d’anarchistes aux États-Unis, mais ils ne sont pas du genre dangereux. Le tempérament français est très différent. Massez nos gens sur toute la longueur de Market Street, vous n’aurez rien à redouter. Mais faites la même chose avec un nombre égal de Français, alors le pire est à craindre
[20]. Ne nous méprenons pas : l’organisation des Chevaliers du Travail n’est pas un syndicat révolutionnaire comme le sera plus tard l’IWW (Industrial Workers of the World, créé en 1905). Toutefois, leur projet politique offre de nombreuses ressemblances avec le mutuellisme développé par les premiers anarchistes français, au nombre desquels on retrouve la figure de Pierre-Joseph Proudhon.
La propriété c’est le vol
Les évêques du Québec ne réussiront pas à empêcher l’élection d’un militant des Chevaliers du Travail, Alphonse Télesphore Lépine, dans le comté de Montréal-Est aux élections de 1888. Si nous mentionnons le nom du premier député ouvrier au Québec, élu de surcroît dans le « bastion du prolétariat montréalais », c’est que Lépine est influencé par l’un des premiers penseurs de l’anarchisme, Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865). Cette filiation lui vaudra les nombreuses critiques des défenseurs acharnés de l’ordre établi. Les slogans anti-Lépine (et anti-anarchistes) se multiplièrent avant son élection : Propriétaires, prenez garde à vous
, Songez à la Commune de Paris, aux émeutes de Trafalgar Square et aux bombes de Haymarket à Chicago !
, Ces gens-là veulent abolir les loyers
. Pourquoi tant de remue-ménage autour d’un personnage somme toute pacifique et conciliant ?
Au cours de l’année 1887, Lépine publia une Explication de la déclaration de principe des Chevaliers du Travail, destinée à mieux faire connaître l’organisation
[21]aux compatriotes de langue française
. (...) Un passage de la brochure laissait clairement entendre à quelle doctrine sociale se rattachaient les premiers penseurs ouvriers québécois et quels courants idéologiques les influençaient. Cet article [article IV de la déclaration de principe], écrivait Lépine, remet en mémoire le mot d’un grand économiste français : La propriété, c’est le vol. En établissant ce principe, monsieur Proudhon a voulu faire observer que la propriété n’avait pu, dans ses origines, s’établir et se fonder qu’en empiétant sur les droits imprescriptibles du peuple, qui seul a le droit de disposer de la terre, son héritage naturel...
D’où proviennent ces idées ? Les échanges entre les États-Unis et le Québec devenant de plus en plus réguliers (notamment à travers l’émigration de milliers de canadiens-français vers les villes industrielles de la Nouvelle-Angleterre), il n’est pas impossible que les divers courants socialistes libertaires commencent à trouver ici un terreau fertile avec la politisation croissante de la classe ouvrière. On retrouve des traces de cette pénétration à travers une publication socialiste révolutionnaire réalisée dès 1885 par des réfugiés de la Commune de Paris établis en Pennsylvanie (États-Unis). Leur journal mensuel La Torpille) est destiné aux travailleurs de langue française du Canada et des États-Unis. Son contenu est consacré à la revendication des droits des travailleurs et à la lutte contre les iniquités sociales
[22], tout en fournissant une très intéressante chronique sur la condition féminine contemporaine et le mouvement ouvrier
[23]. Le mensuel changera de nom en 1890 pour devenir Le Réveil des Masses, adoptant par le fait même une tendance anarcho-communiste et sera publié sous forme de lettres bimestrielles (4 pages) pour toucher plus spécifiquement les « Français du Canada » [24].
Le géographe de l’anarchie
Les liens avec l’Europe semblent pour leur part assez restreint. La visite au Québec de l’anarchiste français Élisée Reclus en 1889 illustre bien cette situation. Du 6 juin au 4 juillet, Reclus parcours la province en tant que géographe. Il passe par Montréal, Ottawa, Calumet, le Lac Champlain, Roberval et Québec. Son journal de bord nous offre une éclatante description de la société québécoise. Reclus confirme dans son récit de voyage un certain nombre de faits que nous connaissons bien : l’omniprésence du clergé dans les affaires publiques, l’idiotie des curés qu’il croise sur sa route, le faible degré d’esprit critique chez les « élites » locales, la situation quasi coloniale du Canada-français... Presque par hasard, il rencontrera tout de même quelques personnages intéressants : un réfugié de la Commune de Paris vivant à Roberval avec toute sa famille (et qui s’appelle Laliberté !) ainsi que deux libres-penseurs, l’un anglophone, l’autre francophone. Ce dernier, M. Tremblay, est un socialiste dont Reclus fait la connaissance sur le bateau qui le ramène en Europe : un Canadien est à mes côtés, socialiste comme moi, et
pour la première fois
, dit-il, proclamant sa pensée. Mais si c’est la première fois, ce n’est pas que la réflexion n’ait été longue. Peut-être le seul dans son pays, le bonhomme lit, étudie, recueille et annote les ouvrages socialistes, et il vient en France respirer une bouffée d’air pur
[25]. C’est somme toute bien peu de monde pour un si grand pays !
En guise de conclusion
Quels constats pouvons-nous tirer de ces quelques repères historiques ? Dans un premier temps, nous n’avons pas trouvé de courant anarchiste organisé au Québec dans la deuxième moitié du 19e siècle. Cette situation tranche avec celle prévalant aux États-Unis, où existent à cette époque de nombreux groupes et journaux anarchistes, toutes tendances confondues (individualiste, syndicaliste révolutionnaire, anarcho-communiste). Par ailleurs, on retrouve quelques traces significatives montrant une certaine diffusion des idées anarchistes dans les milieux intellectuels et ouvriers après 1871. D’autre part, cette période est jalonnée de révoltes ouvrières et populaires d’inspiration libertaire. Sans nécessairement être l’œuvre d’anarchistes, elles ont certainement une résonance familière pour les communistes libertaires d’aujourd’hui. Il faudra attendre les premières années du 20e siècle pour voir apparaître distinctement au Québec un mouvement anarchiste à part entière, principalement concentré à Montréal dans les milieux ouvriers juifs et canadien-français.