La Révolution commença par l’ouverture des couvents pour libérer les religieuses détenues de force, puis par la confiscation des biens du clergé. Celui-ci s’obstina dans la contre-révolution et une véritable guerre éclata. En 1793 fut lancée par des sans-culottes de la région parisienne la déchristianisation. Parti des communes rurales, le mouvement s’organisa autour de mascarades et de cortèges antireligieux. Depuis des mois, des régions comme l’Ouest s’étaient soulevées pour défendre les communautés traditionnelles mais aussi leur vie religieuse. En réplique, les actions antireligieuses gagnèrent tout le territoire, soit par des actions spontanées, soit par des mesures officielles. Les études faites par certains historiens sur les conséquences de la déchristianisation montrent des zones contrastées de France où la religion reste forte à la fin de la Révolution et d’autres où elle n’est plus influente. Cette division ne vient pas seulement de la Révolution. Elle est l’aboutissement d’un long processus que 1789 ne fait que consacrer. Cette situation est importante car, sans aller jusqu’à un athéisme déclaré, l’anticléricalisme aura désormais un appui dans les milieux populaires.
Il y eut dans la Révolution un courant athée et pas seulement anticlérical. En son sein, on trouve des bourgeois hostiles au mouvement populaire. Ces notables, disciples des Lumières et adeptes du libéralisme, ne concevaient leur athéisme que sous une forme égoïste. Le plus connu d’entre eux fut Boissy d’Anglas, surnommé « Boissy-Famine » et qui fit réprimer le peuple affamé en 1795. Il déclarait : Un pays gouverné par les propriétaires est dans l’ordre naturel.
Il avait affirmé son athéisme dès le début de la Révolution. Robespierre justifia des mesures répressives contre les athées du fait de leur hostilité supposée aux pauvres. Cette thèse sommaire est reprise aujourd’hui par le pamphlétaire déiste Henri Guillemin (cf. son livre Silence aux pauvres, Paris, 1989), louant ce que Robespierre appelait le rapport des idées religieuses avec les principes républicains
. C’est une théorie calomnieuse. Les manifestants populaires de la déchristianisation, dont certains étaient athées, n’avaient rien d’une élite sociale. La Révolution connut aussi des théoriciens dont le message était positif. Anacharsis Cloots (1755-1794) justifiait son athéisme à l’échelle de la planète en se disant l’orateur du genre humain. Cloots annonce dès 1793 ce que sera l’internationalisme. L’autre personnalité, la plus intéressante, fut sans conteste Sylvain Maréchal (1750-1803). Rédacteur du Manifeste des Égaux pour la conjuration de Babeuf, égalitaire convaincu, Maréchal fut aussi un athée remarquable. En effet, au-delà du combat anticlérical traditionnel (mais néanmoins nécessaire) il s’efforçait de répondre à ces deux questions :
- Comment combattre la superstition sans imiter les méthodes fanatiques des croyants ?
- Comment combler le vide laissé dans la vie quotidienne par la disparition de la religion ?
En ce qui concerne le combat athée, il s’efforçait de le mener avec tolérance. S’il approuva la fermeture des églises (qui furent reconverties en temples de la Raison) dans un Paris largement incrédule, il désavoua les persécutions physiques, estimant que la religion allait survivre par le martyr. Cette opinion s’avéra juste et montre que Maréchal ne voulait pas se transformer en persécuteur d’État.
Maréchal a réfléchi aussi très tôt au remplacement de la religion. Avant même la Révolution française, il proposa un calendrier laïque, où les noms des saints étaient remplacés par ceux des hommes « remarquables » dont des philosophes mais aussi… Jésus ! Il écrivit le Dictionnaire des athées. Cette œuvre est incomplète et souffre d’une documentation insuffisante mais pour la première fois on tentait de donner un dénominateur commun entre les athées qui n’étaient plus des individus isolés. Maréchal s’intéressa également aux aspects de la vie quotidienne. En effet, l’Église monopolise des actes importants. La naissance est sanctionnée par le baptême. Il y a aussi le mariage religieux, les derniers « secours » aux mourants, etc. Une fois ces rites supprimés, certaines personnes peuvent demander que les moments importants de la vie soient célébrés d’une façon spéciale. Pour ceux qui le souhaitaient, Maréchal élabora divers « cultes » d’hommes sans Dieu. Il ne nous appartient pas ici de les juger. Mais jamais il n’en fit une religion d’État. Malgré un aspect patriarcal, sa société d’athées restait tolérante.