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Paul Robin (1837-1912) [03]

lundi 16 novembre 2020, par Victor Méric - Flax (Domaine public)

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Primo : La France a besoin de défenseurs. Dépeupler la France c’est concourir à l’affaiblissement de la Patrie. Pendant que chez nous le nombre des naissances diminue, ailleurs, en Allemagne par exemple, il augmente constamment.

D’abord cette dernière affirmation est un mensonge. Les naissances diminuent, pas dans les mêmes proportions, c’est exact, mais diminuent tout de même, aussi bien en Allemagne qu’en France. Quand les prolétaires allemands devenus plus conscients auront compris leur intérêt, ils ces-seront comme les prolétaires français de se montrer aussi prolifiques. Ensuite, nous nous foutons de la Patrie. La Patrie ne représente pour la majorité exploitée, que le total des privilèges acquis par la minorité exploitante. Le jour où nous serons maîtres des instruments de travail, des machines et du sol, c’est-à-dire où nous aurons quelque chose à nous, où nous posséderons une Patrie, ce jour-là nous la défendrons. En attendant, nous avons autre chose à faire que de fournir des défenseurs à la Patrie bourgeoise.

Secundo : Cette doctrine est immorale. Il est immoral de prêcher contre les lois de la nature. On n’a pas le droit de s’occuper des choses sexuelles. Il est infâme de s’introduire dans l’alcôve pour y prêcher l’abstention, etc., etc.

En quoi est-il plus moral de conseiller l’amour sans réserves, la copulation sans limites ? Si nous nous plaçons sur ce terrain, les plus immoraux sont certainement ceux qui réclament des hommes et des femmes l’exercice immodéré des plaisirs sexuels. Un ivrogne rentre chez lui, le samedi soir ; il a le cœur à la rigolade ; il s’en. ressent comme on dit dans les faubourgs ; il collera un gosse à sa femme, passive et soumise comme une fille de boxon, un gosse qui héritera des avantages alcooliques de son digne père. Il parait que cela est très moral. Un autre individu, au contraire, prendra ses précautions. S’il se sait malade, affligé de tares physiques, il évitera la procréation ; s’il se juge incapable d’assurer à l’enfant une vie paisible et heureuse, il évitera de mettre cet enfant au monde. Si sa femme est fatiguée ; si elle est obligée de turbiner chaque jour, si elle n’est pas en état d’accepter une grossesse dangereuse et longue, il s’arrangera pour qu’il n’y ait pas de suites pénibles à la satisfaction sexuelle qu’il s’accorde. Il paraît que celui-là est immoral. Ainsi jugent les acéphales qui défendent l’ordre et la morale.

Les lois de la nature ? Toute la science et tout le progrès humain sont faits de la lutte constante contre la nature et contre ses lois qu’on a surprises, devinées, pénétrées et dont on s’est servi. Les organes sexuels comme les autres parties du corps appartiennent à la science et à la médecine. Quoi donc ? La Science aura fouillé le cerveau humain, pour y chercher de dangereux secrets ; elle aura réalisé de miraculeuses opérations et vous ne lui accorderez pas le droit de s’occuper de l’acte qui détermine la vie, de l’acte duquel découlent les plus redoutables conséquences. Il faut être borné comme un membre du Parlement pour oser soutenir pareille absurdité.

Tertio : La doctrine malthusienne offre de terribles dangers. Elle pousse les individus au libre exercice du plaisir et à l’oubli des devoirs. Elle invite ces mêmes individus à des pratiques d’où peuvent résulter des inconvénients et des périls aussi bien personnels que sociaux. Etc., etc.

C’est vrai. La doctrine malthusienne offre de terribles dangers... pour les dirigeants. Elle libère tout simplement la femme, esclave, à travers les siècles ; elle la soustrait au fardeau écrasant de la maternité. Elle lui dit : Tu es libre d’avoir ou de ne pas avoir d’enfants. Voici ce qu’il faut faire. Elle ajoute : Tu n’as pas le droit de faire des enfants, s’ils doivent être malheureux. Ton devoir est d’éviter, dans ce cas, la maternité comme un fléau. Elle libère aussi l’homme et lui offre les moyens de satisfaire aux exigences des sens, sans inconvénients et sans craintes. Immoralité va-t-on crier. Qu’on réfléchisse. L’amour ne peut être libre qu’avec ce corollaire : la maternité libre. Si la société, si la loi, imposent à la femme la maternité, la châtient rigoureusement — et avec elle son complice mâle — pour avoir essayé de s’y dérober, il n’y a pas de liberté de l’amour possible. Mais comment libérer la femme de la maternité, demandez-vous ? Ah ! voilà ! Il y a justement les moyens et ce sont ces moyens que préconisent les malthusiens, et c’est parce qu’ils préconisent ces moyens qu’on les poursuit, qu’on les dénonce, qu’on les condamne. Ici qu’on nous permette d’ouvrir une parenthèse.


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