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Malsand ses conceptions sur l’anarchisme, ses projets

mercredi 21 décembre 2022

Extrait du Monde libertaire n° 383, 8 janvier 1981, p. 5.

Notre camarade Malsand avait des connaissances quasi exhaustives de tous les écrits anarchistes, les domaines les plus difficiles comme la dialectique sérielle [1] n’avaient pas de secrets pour lui, et si l’on ajoute ses connaissances des autres théories et sciences humaines, surtout la sociologie, on s’aperçoit aisément qu’il est très difficile de rendre compte de sa pensée, et que cela fait l’objet d’un livre.

 

Nous allons essayer de retransmettre certaines des idées de notre compagnon Malsand et certains de ses projets sur la base des discussions que nous avons eues avec lui, de ses quelques écrits trop rares, mais surtout d’une intervention remarquable qu’il avait faite à un stage de formation de militants de la Fédération anarchiste en juillet 1979 sur le sujet des « bases sociologiques et économiques de l’anarchisme », dont nous donnerons de larges extraits, où les répétitions seront nombreuses et où l’on devra considérer que c’est une retranscription d’une bande magnétique. Il ne fait, bien sûr, que reprendre les idées de nos anciens, surtout de Proudhon, mais sa manière de les exposer est intéressante et qui mieux que lui pouvait exposer ces idées qu’il a appliquées en Espagne, pendant la révolution ?

Malatesta, que Malsand appréciait beaucoup, ne disait-il pas au début d’une de ses brochures de propagande, Notre Programme, nous n’allons rien dire de nouveau. La propagande n’est et ne peut être que la répétition continue, inlassable de ces principes qui doivent servir de guide à notre conduite dans les diverses contingences de la vie.

Pierre-Joseph Proudhon.

L’anarchisme, nous disait Malsand, est la dernière théorie sociale créée, et elle le fut par P.-J. Proudhon. Il nous décrivait alors sa naissance en tant que théorie globale : dans la première moitié du XIXe siècle, à cette époque-là, on peut dire que presque toutes les conceptions fondamentales de la société que nous connaissons aujourd’hui sont déjà fixées. Les religions sont fixées, le communisme est assez défini, le capitalisme s’installe au pouvoir et le socialisme, relativement nouveau, veut représenter la société face à l’oligarchie religieuse.

« Tous les fondements de ces conceptions, les bases essentielles sont données ; ce qui a changé, ce sont les cadres sociaux de la société, les œuvres de civilisation avec la technologie, les forces nouvelles se sont créées, les routes, les chemins de fer, les ponts, les villes d’importance qui n’existaient pas, mais les principes fondamentaux de la vie en société des hommes subsistent et ce sont les mêmes. C’est à ce moment-là qu’apparaît un homme de génie qui, avec sa mémoire historique et exhaustive de ce qu’a été l’humanité et de ce qu’elle est, avec sa vision aussi des propositions faites pour l’avenir de la société, que ce soit le suffrage universel, la démocratie, le socialisme (forme de vie à laquelle Proudhon s’en prendra, forme de société encore utopique à l’époque, car jamais réalisée sauf partiellement dans les sociétés anciennes) et le communisme. Il connaît tous ces problèmes, et après quelques écrits, il émerge avec un livre qui s’intitule Qu’est-ce que la propriété ? : cet homme s’appelle Proudhon. Le génie de Proudhon, c’est de réfuter toutes les formes de société qui ont existé jusqu’à son temps et même les projets de société de son temps, principalement le communisme et le socialisme. La raison fondamentale de cette réfutation est que toutes ces sociétés sont fondées sur l’autocratie, sur l’autorité. Elles ont été gérées par des oligarchies formées autour du pouvoir. Proudhon a constaté et mis en valeur, comme on ne l’avait jamais fait avant lui, que la vraie force des hommes vivants en société, c’est la force sociale. La force sociale que Proudhon avait trouvée a été démontrée par beaucoup, après, et surtout l’exemple de l’obélisque de Vendôme  [2], et cette notion a été admise comme quelque chose de valeur.

« Proudhon considère donc que la société est aliénée par l’autocratie et que c’est le gouvernement qui empêche la société de se développer, de s’épanouir, de se réaliser, de faire tous les progrès qu’elle devrait. Le gouvernement est cause du mauvais fonctionnement des sociétés dans le passé, et pourtant, tous les projets de société qui sont faits de son temps sont tous fondés sur le même principe : le principe du gouvernement. Proudhon rejette l’idée que toutes les sociétés doivent être gouvernées, et il dira souvent que la société doit être désaliénée, libre, spontanée, et que c’est seulement lorsqu’elle est spontanée qu’elle est créative.

« On dit qu’il a mal choisi le mot, le nom qu’il a donné à sa conception. Mais il savait bien ce qu’il voulait, preuve en est ses connaissances des langues, son écrit d’une grammaire de français (dans l’académie de la langue française, beaucoup de gens ont pensé et proposé que Proudhon soit mis à l’étude en classes de terminales de français), la richesse de langage de ses œuvres dont beaucoup sont très complexes. Proudhon savait ce qu’il voulait quand il a choisi le nom qui vient du grec an archie, sans gouvernement.

« Tous les principes essentiels de ce qu’il veut sont déjà en lui lorsqu’il écrit Qu’est-ce que la propriété ? ; il ne lui manque plus que le temps de développer et les réaliser.

« Il propose donc une société anti-autocratique, la suppression du gouvernement et de toute forme de gouvernement comme solution de progrès ».

A l’appui de ce qu’il vient de dire, notre camarade Malsand définira l’anarchisme d’une manière à laquelle peu sont habitués : l’anarchisme est une explication sociologique pour des sociétés globales, et il précisera aussi ce que l’anarchisme n’est pas : un manifeste, un programme circonstanciel, une théorie pas assez assise. Ce n’est pas une interprétation de l’histoire, ni une philosophie de l’histoire, ou ce que Marx a appelé dialectique matérialiste.

Pour Malsand, les principes anarchistes sont définis par Proudhon : Si les conceptions anarchistes viennent de loin, s’il a existé des idées, des philosophies et même des essais de sociétés sans gouvernement, si même on trouve que les premières sociétés humaines ont vécu sans gouvernement, en réalité, celui qui a fait le premier un exposé global d’une société qui puisse être vivable, c’est Proudhon.

Combien de fois Malsand nous a-t-il dit, dans cette époque d’après-68 où les jeunes en révolte, croyant avoir inventé quelque chose, répétaient de vieux poncifs, que les découvertes sont rares et difficiles en sociologie, qu’il n’y a pas d’apports sur les principes de l’anarchisme mais des développements, des précisions et des corrections sur la base des principes eux-mêmes.

Malsand connaît bien les autres théoriciens de l’anarchisme et leurs participations au développement de l’anarchisme :

Bakounine :
Il n’y a pas de doute que Bakounine a été un de ceux qui a le plus contribué à la formation du mouvement anarchiste dans le monde, à son époque, et dont les répercussions se font sentir encore de nos jours.


Reclus  :
Il y aura Elisée Reclus qui élargira les idées et les principes donnés par Proudhon avec sa grande géographie, qui en fera le premier écologiste des temps modernes.


Kropotkine :
il fera une réfutation des idées à caractère social des darwinistes qui disaient que pareilles aux sociétés du passé, où les guerriers les plus forts dominaient, avec l’évolution, les sociétés dans le futur seront gérées par les plus aptes… A l’époque, Kropotkine s’en était pris à la bourgeoisie, aux capitalistes, en disant que le progrès des sociétés n’était pas dû aux plus aptes, car un autre facteur existe ; que ce progrès ne se faisait pas seulement par la lutte, car cet autre facteur important de l’évolution est la sociabilité, la solidarité, l’entraide. Il en revenait aux principes de Proudhon : la vraie force, la vraie richesse de la société, c’est la force sociale. Il rajoute alors l’entraide, ce qui va plus loin que les forces sociales, parce que cette notion a un caractère moral.


Malatesta  :
Malatesta insistera sur un problème important : les connaissances historiques, la mémoire historique, les sciences naturelles… c’est très bien… mais la volonté est une chose fondamentale ; tous les individus qui veulent faire une société anarchiste, que les dieux le veuillent ou non, que les philosophes le veuillent ou non, que la science l’affirme ou la nie, ont le droit de le faire et ils peuvent le faire.


Luiggi Fabbri :
Dans Dictature et Révolution, il dénonce que l’on ait pensé que la dictature pouvait libérer les hommes.

 


Rocker  :
dans son livre Nationalisme et Culture, il dit que le nationalisme (breton, basque, français) est contraire à la culture ; c’est donc dans l’intégration que la culture peut se faire.


En conclusion au stage, notre camarade Malsand nous disait : Il n’y a pas de socialisme différent ; il n’y a pas de communisme différent. Ce sont des conceptions autoritaires, autocratiques, maintenant le principe de gouvernement.

« Il n’y a aucun rapport entre l’anarchisme et le socialisme, et beaucoup d’anarchistes se sont dits socialistes car ils ne pensaient pas que le socialisme serait réalisé totalement. Bakounine aurait dit que, si cela se faisait, ce serait le pire des régimes. Staline est dans le socialisme, dans Marx, dans tous les socialismes. Il y a des hommes différents, des temporalités différentes, mais pas de socialismes différents. Il n’y a pas de capitalismes différents, il y a des régimes différents. Il n’y a pas de religions différentes, elles sont toutes absolutistes quand elles ont le pouvoir. Nous sommes une explication sociologique des sociétés globales. L’anarchisme n’est pas d’un seul homme, mais en sociologie, les apports et les expérimentations sont très difficiles.

« Ce n’est pas un problème à résoudre par un groupe autonome, par un groupe de voleurs ou de terroristes. C’est un problème à aborder par de grands groupements d’hommes, qui doit être accepté par la société. Ce n’est pas avec un groupement illégal ou toléré que l’on aura des chances de mettre en pratique le projet anarchiste de libérer la société du gouvernement, mais avec la capacité politique des hommes à s’administrer, avec un groupement d’hommes accomplis.

« Il faut être présent dans la société avec un groupement qui a comme projet de disputer aux autres les formes de société et de faire accepter la disparition de toute forme de gouvernement et d’aliénations.

Ceci devrait avoir lieu surtout en France, avec son rayonnement international (la Révolution française, les philosophes français, la Commune de Paris, La Marseillaise). Il est dommage que le mouvement espagnol n’ait pas existé plutôt en France ; le rayonnement de l’anarchisme aurait été plus grand..

Nous verrons dans un prochain article les bases économiques de l’anarchisme, la nécessité de définir aussi ce grand groupement d’hommes accomplis pouvant faire accepter, sinon approuver, l’anarchisme dans la société [3].

Groupe Malatesta

 



[1Le monde humain et le monde matériel apparaissent comme une pluralité d’éléments irréductibles, à la fois antagonistes et solidaires. De la confrontation de ces éléments naît le mouvement et la vie. Un équilibre, instable, peut se créer mais la synthèse est impossible contrairement à qu’affirment les marxistes.

[2Proudhon prend l’exemple de la colonne Vendôme pour démontrer ce que Marx appellera plus tard la plus-value. Un homme ne peut pas édifier seul une telle colonne, il doit se grouper avec d’autres pour le faire. Mais la force de travail de ce groupe est plus importante que la somme de travail additionnée de chacun. Le propriétaire s’empare de ce surplus pour son plus grand profit.

[3Nous n’avons pas trouvé trace de cet article dans les différents numéros du Monde libertaire qui ont suivi (NDLR).