Dans une période révolutionnaire, les jeunes prennent parti de façon plus tranchée que les adultes et la jeunesse allemande ne se comporta pas autrement face à la « révolution » national-socialiste.
Les jeunes s’engagent plus radicalement par impétuosité, refus du compromis, et parce qu’ils ont moins d’attaches affectives et matérielles. Toute la gamme des comportements observée chez les adultes sous la dictature nazie — conformisme, indifférence, résignation, arrivisme... — se retrouve néanmoins chez leurs cadets, la différence entre les classes d’âge tenant à l’engagement aux extrêmes — nazisme ou résistance — d’une proportion plus importante de jeunes. Enfin, constatation banale, la jeunesse est une valeur éphémère : chaque époque voit une fraction de la génération montante se rebeller contre l’autorité de celles qui la précèdent et le IIIe Reich n’échappa pas à la règle.
Les images spectaculaires des Hitlerjugend [1] défilant en rangs serrés et des gamins blafards défendant Berlin assiégé ont marqué la mémoire universelle. Ce sont pourtant des jeunes qui résistèrent avec la plus grande détermination à Hitler.
À la fin de la guerre, le groupe de La Rose blanche [2] fut intronisé représentant exclusif de la jeunesse résistante par l’Allemagne fédérale du chancelier Adenauer. Les étudiants de La Rose blanche réunissaient toutes les qualités pour figurer au panthéon de la RFA naissante à côté du comte Claus von Stauffenberg [3] et de l’évêque von Galen [4], représentants des « anciennes élites ». Ils avaient grandi dans une famille telle que la nouvelle république les aimait, bourgeoise, chrétienne et antinazie. Comme beaucoup d’adolescents de leur génération, Hans et Sophie Scholl s’étaient inscrits dans les mouvements de jeunesse hitlériens en 1933. Leur trajectoire, des JH à la guillotine, prouvait que de jeunes Allemands passés par l’endoctrinement national-socialiste pouvaient être restés fidèles aux valeurs humanistes. Le profil politique et social des membres de La Rose blanche, plus le fait qu’ils n’aient jamais recouru à la violence — bien qu’ils l’aient envisagé et appelé à renverser la dictature par les armes
— les rendaient acceptables par le plus grand nombre. Le courage dont ils firent preuve devant le Tribunal du peuple et face au bourreau forçait l’admiration. La figure christique de Sophie, son refus de tout compromis, la plaçaient dans la lignée des grandes héroïnes, d’Antigone à Jeanne d’Arc. En outre, le destin des jeunes martyrs absolvait la société allemande de sa soumission en confirmant que la résistance n’avait d’issue que l’échafaud. Les nombreux groupes de jeunes qui luttèrent contre le IIIe Reich restent encore aujourd’hui dans l’ombre de La Rose blanche. Les jeunes communistes qui s’engagèrent plus tôt et beaucoup plus nombreux que les étudiants bavarois ont longtemps été absents des ouvrages publiés sur la résistance allemande [5], tout comme les groupes qualifiés de « terroristes », celui d’Herbert Baum [6] par exemple. Les derniers jeunes qui affrontèrent la Gestapo sortaient juste de l’enfance, étaient à peu près vierges de toute culture politique et ont longtemps été présentés comme des délinquants irresponsables avant d’entrer tardivement dans l’histoire de la résistance sous le nom d’Edelweisspiraten (Pirates à l’Edelweiss).
LE « PARTI DE LA JEUNESSE »
Il faut relativiser l’impression d’un ralliement précoce et massif de la jeunesse allemande au nazisme qu’ont transmise les observateurs. Avant 1933, les organisations nazies étaient plus audibles et plus visibles que les autres à cause de leur violence et grâce aux efforts de Goebbels. Le NSDAP s’intitulait lui-même parti de la jeunesse
. En réalité, les jeunesses socialistes, catholiques, et surtout les Bünde — mosaïque de groupes d’inspiration boy-scout en théorie apolitiques mais teintés de pacifisme, de traditionalisme, de militarisme, etc., selon les cas — surclassaient de loin la JH qui ne représentait au printemps 1932 que 1% de l’effectif total des mouvements de jeunesse, soit 108 000 membres contre 10 millions aux organisations réunies dans le Comité des associations des jeunesses allemandes du Reich.
Les nazis obligèrent immédiatement la plupart les organisations de jeunesse à se saborder au profit de la JH. Les Jeunesses catholiques, protégées par le Concordat, ne furent pas tout de suite interdites mais, submergées de tracasseries, elles ne fonctionnaient qu’avec difficulté. Baldur von Schirach, ancien leader des étudiants nationaux-socialistes et Jugendführer des Deutschen Reiches (chef de la jeunesse du Reich) reçut pour mission de transformer la JH en un mouvement d’éducation politique de la jeunesse sur laquelle elle devait exercer une emprise totale
. Dans un premier temps, pour attirer les membres des groupes autonomes dissous qui acceptaient mal l’embrigadement dans un mouvement militarisé, la JH s’inspira des pratiques des Bünde pour l’organisation des camps, randonnées, célébrations patriotiques et rituels initiatiques.
Il est indéniable que le IIIe Reich naissant enthousiasma une grande partie de la jeunesse allemande. La reprise économique et la baisse du chômage ouvraient un horizon à une génération qui n’en avait pas. La puissance de la Hitlerjungen, la considération que lui manifestaient les adultes et la manière dont elle imposait ses vues aux enseignants et aux parents produisirent une véritable révolution culturelle dans ce pays confit dans le culte de l’autorité paternelle. Le bouleversement des critères de réussite scolaire qui mettait à l’honneur les compétences manuelles et sportives réjouit plus d’un potache. Dans les organisations de jeunesse qui prétendaient ne connaître ni classe, ni caste
, comme l’affirmait von Schirach, l’uniforme créait une apparente égalité, la hiérarchie s’établissait au travers d’un enchaînement de compétitions dans lesquelles on apprenait à se surpasser. Tout semblait possible aux fils de la race des seigneurs : les images de propagande qui montraient des adolescents apprenant à piloter des avions touchaient une génération exaltée à l’idée de passer du vélo aux commandes d’un Messerschmitt. Les enfants, hier résignés au destin gris et morne de leurs parents, se prenaient à rêver de terres lointaines et d’aventures. Pour bien des jeunes Allemands étouffés par la famille, l’école et l’Église, la révolution hitlérienne signifiait, paradoxalement, une sorte de libération. La « liberté » selon les nazis avait toutes les apparences d’un camp de travail mais n’y a-t-il pas aussi une manière de bonheur à se fondre dans la camaraderie des camps ? Pendant la journée, écrit Sebastian Haffner, on avait jamais le temps de penser, jamais le temps d’être un
moi
. Pendant la journée la camaraderie était un bonheur. Aucun doute : une espèce de bonheur s’épanouit dans ces camps qui est le bonheur de la camaraderie. [...] Partout ils ont transformé les Allemands en camarades, les accoutumant à cette drogue depuis l’âge le plus malléable. [...] la camaraderie dispense l’homme de toute responsabilité pour lui-même, devant Dieu et sa conscience. [...] Sa conscience, ce sont ses camarades ; elle l’absout de tout tant qu’il fait ce que font tous les autres [7]. »
Dans ses discours, Hitler ne manquait jamais de glorifier « sa » jeunesse : Coriace comme le cuir, agile comme le lévrier, dure comme de l’acier de Krupp
. La propagande la célébrait à travers des films exaltant sa générosité et son sens du sacrifice, tel Le jeune hitlérien Quex (1933). Cependant, en dépit des louanges et des pressions, la JH était encore loin de rassembler la majorité des jeunes Allemands à la fin de l’année 1936, avant d’être proclamée seule jeunesse d’État. Au printemps 1939 un tiers des tranches d’âge concernées lui échappait encore, ce qui décida les chefs nazis à rendre l’adhésion obligatoire et à décréter des sanctions pour les réfractaires.
En instituant un contrôle permanent sur l’emploi du temps des jeunes, l’embrigadement dans la JH rendait difficile la participation à des groupes illégaux. À la veille de la guerre, l’organisation nazie intensifia sa préparation militaire et son endoctrinement idéologique tandis que sa discipline, jusque-là plutôt laxiste, se raidissait. À la militarisation de la société en vue de la guerre correspondit la réquisition systématique des jeunes. Astreints aux quêtes, aux journées de travail « volontaire » et à des corvées de plus en plus fréquentes, obligés de porter l’uniforme, de saluer à tout propos, interdits de la moindre activité indépendante, beaucoup d’entre eux rejetaient en bloc le IIIe Reich et son idéal de caserne.
LES PIRATES À L’EDELWEISS [8]
Les nazis ont employé le terme générique d’Edelweisspiraten pour désigner les adolescents contestataires qui refusaient de se plier aux normes sociales et culturelles du IIIe Reich. Avant d’en venir aux Pirates à l’edelweiss précisément, il convient de rappeler que le mouvement de contre-culture dont ils étaient l’expression la plus voyante concerna peu ou prou une fraction notable des jeunes urbains, en Allemagne et en Europe. Comme souvent lorsqu’une nouvelle génération cherche à s’émanciper, cette dissidence se manifestait extérieurement par une apparence provocante. Le vocable pittoresque qui désignait les Edelweisspiraten provenait d’un de leurs codes vestimentaires : un edelweiss au revers du blouson [9]. Cheveux longs, foulard rouge, socquettes blanches et, pour les filles, un maquillage agressif et des vêtements bariolés, faisaient partie des signes de reconnaissance les plus courants de la jeunesse rebelle.
À l’instar de la plupart des mouvements générationnels contestataires de l’époque moderne, la musique jouait un rôle fédérateur entre les jeunes en quête de liberté, qu’elle rassemblait bien au-delà des « bandes » constituées. Au temps de Weimar, l’engouement pour la musique américaine était limité aux noctambules des grandes villes. La multiplication des postes de radio voulue par Goebbels favorisa la diffusion du swing et du jazz. D’abord tolérés, bien que fustigés par les idéologues du NSDAP, les clubs de swing et les concerts de musique « nègre » furent interdits à partir de 1940. Le hot jazz connut le même sort fin 1941, dès l’entrée en guerre des États-Unis. Cela n’empêcha pas les groupes ostensiblement non-conformistes et amateurs de musique américaine de proliférer à travers l’Europe : Kids d’Amsterdam et de Copenhague, Zazous de Paris, Schlurfs (« paresseux ») et Schlurfkatzen (« chattes paresseuses ») de Vienne, Potápki (« plongeurs ») de Prague... Les adolescents allemands amateurs de jazz et de swing écoutaient la BBC et se réunissaient en cachette pour des nuits de danse échevelées. Leur liberté de ton et de mœurs exaspérait les nazis et les heurts étaient fréquents avec la JH. La répression poussa certains rebelles « apolitiques » vers une prise de conscience politique : ils se saluaient en criant Swing Heil !
et affichaient de plus en plus ouvertement leur hostilité à la dictature. En janvier 1942, Himmler ordonna d’en finir. La Gestapo infiltra les rassemblements de jeunes et arrêta des milliers d’entre eux : ceux qui en avaient l’âge partirent sur le front russe et les autres en camp de concentration. Au cours de la guerre, près de 100 000 « swingers » auraient connu les établissements disciplinaires réservés à la jeunesse. L’ampleur des arrestations montre l’existence d’un milieu clandestin se fédérant autour de la musique et célébrant à travers elle une société échappant à la morale nazie
, note Fabrice d’Almeida [10].
Le vocable Edelweisspiraten employé par les nazis recouvrait donc des groupes en réalité très divers, depuis les Swing-Kids issus de la classe moyenne qui se contentaient de braver l’interdiction d’écouter les radios étrangères pour assouvir leur passion de musique, jusqu’aux bandes de jeunes prolétaires en rupture de ban qu’étaient les authentiques Edelweisspiraten.
Le phénomène des bandes, dites « cliques », datait des crises de l’après-guerre. Il réapparut quand l’adhésion à la JH devint obligatoire et il s’amplifia à mesure que la dictature augmentait son emprise sur la jeunesse. Malgré la répression de plus en plus sévère, des milliers de jeunes affichaient leur opposition à l’embrigadement par leurs tenues provocantes et leur comportement insolent. Chaque grande agglomération avait ses bandes : « Pirates » à Cologne, « Canailles » à Munich, « Navajos » à Hambourg, « Meutes » à Leipzig, etc. En 1938 et 1939, des dizaines de jeunes des quartiers ouvriers de Leipzig furent traînés devant les tribunaux et condamnés à la prison ou envoyés dans des camps de rééducation pour avoir déserté les organisations hitlériennes, arraché des drapeaux nazis, griffonné À bas Hitler !
ou Liberté !
sur les murs et fait le coup de poing avec la JH. La contestation juvénile prit de l’ampleur pendant la guerre, en particulier en Rhénanie-du-Nord-Westphalie — le territoire des « Pirates » —, au point que la Gestapo de Heydrich prit l’affaire en main. Les arrestations se multiplièrent en même temps que les sanctions durcissaient. D’abord punis par des mois de travaux durs (Arrest), les jeunes « asociaux » furent ensuite envoyés dans des camps de redressement, puis au front dans les bataillons disciplinaires. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 40 000 mineurs condamnés en 1941 et 50 000 l’année suivante. Des camps de concentration, Moringen pour les garçons et Uckermark pour les filles, furent créés spécialement pour eux.
LES DERNIERS RÉSISTANTS : LA RACAILLE
Le mouvement hitlérien avait pu paraître une force régénératrice et une promesse de libération à beaucoup de jeunes nés entre 1910 et 1920, aux fils des humiliés de la Grande Guerre, aux étudiants condamnés au chômage par la crise et aux idéalistes dégoûtés de la démocratie bourgeoise corrompue. Dix ans plus tard, les ex-adolescents de 1933 battent en retraite dans les plaines de Russie. Ne restent — provisoirement — à l’arrière que les moins de 18 ans. Eux n’ont jamais connu les Blinde ni entendu exprimer d’autre « vision du monde » que celle des nazis. Hitler était déjà dictateur quand ils sont entrés à l’école. Il paraît loin le temps où le national-socialisme prétendait révolutionner le vieux monde en libérant la jeunesse. Une décennie de nazisme a produit une société couleur Feldgrau, repliée sur elle-même, bardée d’interdits et de restrictions. Le IIIe Reich, incarné à son sommet par un vieillard hypocondriaque, l’est à la base par des « planqués » unanimement méprisés. Les adolescents de 1943 avaient vibré, enfants, aux victoires de la Wehrmacht. Depuis, le pays s’est couvert de ruines. Les deuils s’abattent autour d’eux. Ils perçoivent l’angoisse montante des adultes face à la catastrophe inéluctable qui approche. Ils les entendent chuchoter contre le vampire
. Pour qui sait écouter, le nazisme a fait son temps : seront-ils les derniers sacrifiés de cette cause perdue ?
La résistance des Edelweisspiraten prit un caractère offensif après Stalingrad. Les rapports du Sicherheitsdienst (SD, « Service de la sécurité » de la SS) signalèrent alors à plusieurs reprises un fort mouvement de contestation à l’égard du parti et d’autres aspects du régime chez les jeunes et les écoliers [11]
. Orphelins de guerre, jeunes réfugiés coupés de leur famille, adolescents vivant dans la rue pour échapper à la promiscuité des logements surpeuplés épargnés par les bombardements, le nombre des mineurs livrés à eux-mêmes augmentait en flèche. Parallèlement, dans le pays vidé de ses hommes adultes et tout entier mobilisé par la guerre, la désorganisation croissante de la société civile favorisait le développement d’une marginalité structurée échappant au contrôle social.
Les jeunes réfractaires s’enhardirent à mesure que la foi en la victoire s’étiolait chez les partisans de Hitler. Ils arboraient l’étoile jaune, couvraient les murs de leurs quartiers de slogans hostiles au dictateur et attaquaient les membres de la JH. Des Juifs qui survivaient dans la clandestinité reçurent leur aide. Selon la Gestapo, les Edelweisspiraten comptaient vingt-huit groupes d’une trentaine de membres chacun pour la seule Rhénanie. Un nouveau camp pour les moins de vingt ans s’ouvrit à Neuwied, près de Coblence. Cette opposition persistante et virulente, venant de jeunes qui n’hésitaient pas à s’en prendre violemment aux représentants du pouvoir, inquiétait au plus haut point les chefs de la police. Ils craignaient que les adolescents rebelles fassent un jour cause commune avec d’autres ennemis du Reich, les survivants des anciens partis et surtout les millions de travailleurs déportés. Leur crainte était fondée. Les Pirates qui pratiquaient entre eux une solidarité active pour survivre et échapper à la police étaient naturellement portés à l’étendre à toutes les victimes de la répression. Des liens se nouèrent entre des groupes de jeunes et des travailleurs étrangers, notamment russes, ainsi qu’avec des cellules communistes clandestines. À la fin de l’été 1944, à l’approche des Alliés, la conjonction de ces résistances plongea plusieurs villes d’Allemagne dans une situation pré-insurrectionnelle.
Au début du mois de septembre, la percée des Anglo-Américains sur la frontière occidentale déclencha une véritable panique dans la population civile évacuée de la région d’Aix-la-Chapelle et une augmentation brusque des signes précurseurs de la désintégration de l’année allemande. Les déserteurs affluèrent à Cologne. Dans la ville en partie vidée de ses habitants depuis le bombardement de mars 1942, des milliers de jeunes prolétaires occupaient des immeubles en ruines et subsistaient en pillant les entrepôts et les trains de ravitaillement dont ils revendaient les cargaisons au marché noir. Ils attaquaient régulièrement les locaux, les véhicules et les membres des organisations nazies qui n’osaient plus pénétrer dans les quartiers qu’ils avaient investis. Des centaines de travailleurs étrangers en cavale avaient rejoint les Piraten et les clandestins de la résistance communiste. Des équipes composites diffusaient des tracts appelant à la désertion. Comptant sur l’avancée rapide des Américains, des petits groupes de partisans passèrent à l’offensive. Ils investirent des dépôts de la Wehrmacht pour se procurer des armes, puis se lancèrent dans la guérilla contre les militants nazis et les forces de l’ordre. La Gestapo leur attribua vingt-neuf assassinats, dont celui de son chef local. Elle évaluait les Edelweisspiraten à 3 000 [12], dont 500 combattants. Un déserteur de 23 ans, Hans Steinbrück, surnommé Hans la Bombe, avait constitué un commando avec une quinzaine de Pirates et des réfractaires de toutes origines. Hans et ses compagnons étaient mal armés mais ils s’étaient procuré des explosifs en abondance. Apprenant qu’ils projetaient de les utiliser pour des attentats, les nazis résolurent d’étouffer ce foyer insurrectionnel avant qu’il ne contamine d’autres villes car des groupes sortaient de l’ombre à Dortmund. Düsseldorf, et même Berlin. Le ralentissement soudain de l’avancée anglo-américaine leur laissa le répit nécessaire pour agir.
Dans les premiers jours du mois de novembre, le commando Kütter mis sur pied par la Gestapo et appuyé par des unités de la Wehrmacht, cerna et investit le quartier ouvrier d’Ehrenfeld où était basé le gros des partisans. La bataille dura une journée entière. Quelques combattants parvinrent à rompre l’encerclement les armes à la main mais beaucoup furent tués. La police arrêta 200 personnes. Le 10 novembre 1944, treize résistants dont 6 Pirates à l’edelweiss furent pendus en public sans jugement. Parmi eux se trouvaient Hans la Bombe ainsi que Bartholomaüs Schink, 16 ans, Johann Müller et Günter Schwarz, tous deux 15 ans.
Des Bünde aux Pirates de Cologne, Jean Jülich a toujours été rebelle à l’ordre nazi : Mon père était au KPD, le Parti communiste interdit : il a été arrêté dès 1933 et enfermé dans un camp de concentration. Je suis resté avec ma mère et mes deux sœurs. Dès l’âge de six ou sept ans, je me suis retrouvé en quelque sorte dans le mouvement clandestin. Comme d’autres — par exemple Gertrud Koch [13]
où la Gestapo enfermait les Edelweisspiraten et les réfractaires de toutes nationalités pris dans les ruines de Cologne : Nous avons monté un commando pour attaquer la prison et délivrer les prisonniers. De manière générale, nous autres les Pirates, nous attaquions les Jeunesses hitlériennes — les Pimpfe [14], comme on les surnommait — et les adultes du mouvement nazi. Avec nous il y avait des réfugiés russes et de jeunes déserteurs de la Wehrmacht. À cette époque, la Gestapo a mis sur pied un groupe spécial pour traquer les Pirates de Cologne. C’est comme cela qu’à treize ans j’ai été arrêté à mon tour [15].
La Fondation du mémorial de la Shoah de Yad Vashem admit dès 1984 parmi les « Justes » certains des groupes d’adolescents que la Gestapo avait surnommé les Edelweisspiraten et dont l’Allemagne post-nazie persista pendant soixante ans à qualifier les activités de « criminelles », avant de reconnaître leur résistance. Cet acharnement dans l’ostracisme s’explique facilement : comment les contemporains de Hitler auraient-ils pu admettre que des jeunes « voyous » vivant de rapines et de qui la police nazie les protégeait soient traités en héros tandis qu’eux-mêmes s’estimaient injustement considérés à titre collectif comme complices de crimes monstrueux ?
<widget_sitereference94|center>