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La longue marche de Pa Chin : Je n’ai qu’un dieu, l’humanité !

mardi 26 juillet 2022, par René Arcos (CC by-nc-sa)

Un des écrivains les plus populaires de chine. l’un des plus méconnus en Occident ou on commence a peine a traduire ses œuvres [2] et pourtant, s’il nous intéresse ici, c’est que son itinéraire personnel se confond, parfois a s’y méprendre, avec l’histoire du mouvement libertaire chinois. s’il fallait une preuve pour témoigner de ce lien, le pseudonyme littéraire choisi suffirait : Pa Chin (première syllabe de bakounine et dernière de Kropotkine).

Pa Chin

Né le 25 novembre 1904 à Chengdu, capitale du Sichuan, au sein d’une famille de mandarins et propriétaires, Pa Chin découvre, dès 1919, l’anarchisme en lisant l’Appel à la Jeunesse de Kropotkine dans une traduction chinoise. Je n’imaginais pas qu’il existât un tel livre au monde ! C’était ma propre pensée, mais exprimée avec une netteté ; une précision dont j’étais bien incapable. Ces idées fortes et excitantes, ce style plein de chaleur consumèrent le cœur du jeune homme de quinze ans que j’étais (Mon Enfance).

C’est cette lecture qui l’amène à prendre contact et à militer au sein du groupe libertaire Chun-She (Société Égalitaire) qui publie Ping Ming Chih Sheng (La Voix du Peuple). Il y rédige quelques articles radicaux et proclame : Je n’ai qu’un Dieu, l’humanité !.

EMMA GOLDMAN, LA « MÈRE SPIRITUELLE »

Comme de nombreux chinois, il part à Paris en 1927 poursuivre ses études [3]. Il y écrit son premier ouvrage, Destruction, où il narre la vie exaltée d’un jeune intellectuel chinois qui sacrifie sa vie à la révolution à l’époque de Chang Kai-chek. Ce livre le rend célèbre à l’âge de 25 ans. Désormais il sera connu en Chine comme un jeune révolutionnaire anarchiste et romantique.

Pa Chin réside un temps à Londres où il fait la connaissance d’Alexander Berkman, Max Nettlau et surtout Emma Goldman [4] qui le marquera très profondément. A partir de 1925, il entretiendra avec celle qu’il appelle sa mère spirituelle, une longue correspondance. Pa Chin avait d’ailleurs déjà lu avec enthousiasme des œuvres de Goldman traduites en chinois dans Nouvelle Jeunesse qui était la revue du Mouvement du 4 mai. Il écrira, plus tard, une Biographie de la militante américaine et, à plusieurs reprises traduira des articles d’Emma [5]. Enfin, il la décrira souvent dans ses romans. Ceux-ci étaient d’ailleurs souvent peuplés de présences libertaires, de portraits de Bakounine accrochés aux murs... Son grand héros, dans Rêverie en mer (1932) est Sholem Schwartzbard, anarchiste juif qui tua, à Paris, le général tsariste Simon Pétlioura responsable des massacres ukrainiens de 1919-1920.

De retour en Chine, il s’établit en 1929 à Shanghai et publie immédiatement Du Capitalisme, adaptation de l’ABC de l’anarcho-communisme d’Alexander Berkman. Dès lors, il réservera son pseudonyme, Pa Chin, à ses publications littéraires, et signera , de son vrai nom, Li Fei-Kan, ses œuvres politiques.

LES ANNÉES NOIRES DE LA RÉPRESSION

La situation politique qu’il trouve à son retour est marquée par la répression dirigée contre les écrivains. C’est l’une des périodes noires (1927-1937) pour les intellectuels chinois qui avaient connu un large renouveau avec le Mouvement du 4 mai (avec en particulier l’adoption de la langue parlée en littérature), et l’influence du grand écrivain Lu Hsun, celui qui en avril 1918 disait de façon prémonitoire : la culture chinoise est un festin de chair humaine.

Car en 1927, c’est l’échec de la première révolution. La répression qui s’abat sur les écrivains révolutionnaires n’empêche pas l’existence d’une grande effervescence culturelle. En effet, nombreux sont ceux qui ne pouvant plus intervenir directement sur le cours de la révolution, s’orientent alors vers la littérature. L’un des principaux centres de cette résistance intellectuelle est Shanghai qui permet un refuge sûr par l’existence des concessions étrangères (anglaises, américaines, françaises...) dans la ville même.

En 1 930 est créée la Ligue des Écrivains de gauche à laquelle Pa Chin refuse d’adhérer. Ce refus lui vaut de féroces attaques de la part des écrivains communistes (en particulier Hsu Mou-Yung) qui l’accusent de déviationnisme trotsko-fasciste (!). La plus grande figure de la littérature chinoise d’alors, traducteur des textes marxistes, Lu Hsun, prendra sa défense.

C’est l’année suivante, en 1931, que paraîtra Famille, roman qui rendra célèbre Pa Chin dans toute la Chine. Ce roman constitue une dénonciation habile de la famille féodale chinoise et une critique des superstitions. Quand la confiance dans les hommes commence à chanceler, on a recours aux dieux.

DU NATIONALISME AUX TRADUCTIONS ANARCHISTES

En 1935, de retour du Japon, Pa Chin prend la direction des éditions Vie Culturelle et aide ainsi à l’introduction en Chine de la littérature occidentale. Il traduit Gogol, Tourguéniev, les contes d’Oscar Wilde, et fait publier Hugo, Flaubert...

En 1937, éclate la guerre sino-japonaise. Elle va provoquer une union nationale chinoise, et par là même mettre fin à la répression. Pa Chin s’identifiera à cette lutte nationaliste et après la libération, fera une brève carrière politique en tant que député du Sichuan au Congrès national des Peuples.

Alors que le communisme étend son hégémonie, Pa Chin va se prendre d’enthousiasme pour le rôle joué par la CNT et la FAI dans la révolution espagnole. Dans le champ de la littérature chinoise, je suis le seul à oser parler de ces deux groupes.

En 1940, il quitte Shanghai et va s’installer à Kunmig, province du Yunnan, important centre culturel de la Chine. Il y crée une maison d’édition, Wen-shua Sheng huo. Jusqu’en 1945, il aura une intense activité de traducteur libertaire et publiera les Œuvres complètes de Kropotkine, des ouvrages de Bakounine et Malatesta. Son frère apprendra même le russe pour pouvoir traduire les Mémoires de Herzen.

Les temps deviendront cependant de plus en plus durs pour l’expression libre des écrivains. A partir de 1949, dans les rééditions des œuvres de Pa Chin, le nom d’Emma Goldman ne sera plus prononcé, les portraits de Bakounine cèderont la place à ceux de Mao, et on re-écrira les fins de ses romans jugés trop pessimistes.

LA RÉVOLUTION CULTURELLE ET L’OGRE MAOÏSTE

En 1966, c’est une deuxième période noire qui s’ouvre. Avec la Révolution Culturelle, beaucoup d’écrivains sont emprisonnés, on ferme des bibliothèques, on interdit des publications et les traductions des œuvres occidentales. Pa Chin n’échappe évidemment pas à cette répression : ses livres sont critiqués en tant que gigantesques graines empoisonnées.

En août 1966, j’ai été mis à l’écart et qualifié de sommité réactionnaire. Yao Wen-Yuan a déclaré que j’étais l’ancêtre de l’anarchie en Chine et les 14 volumes de mes œuvres ont été blâmés. Moi-même j’ai été soumis à la critique devant les masses et à la télévision. J’ai été privé de mes droits politiques et je n’avais plus le droit d’écrire (...). En 1968, dans les rues de Nankin, étaient placardés des da zi bao qui affirmaient que j’étais un traître à la nation (...). Au début de la Révolution culturelle je travaillais à l’Association des écrivains, je balayais, travaillais à la cantine et quelquefois je vidais les égouts et les toilettes (j’y ai au moins appris ce qu’on doit faire quand un lavabo se bouche).

D’octobre 66 au début de 70, j’ai été contraint à des autocritiques par écrit et à la télévision. Puis, à partir de 70, j’ai passé deux ans et demi à l’École des Cadres du 7 mai [6] où je cultivais des légumes, mais je pouvais rentrer chez moi une fois par mois (...).

Enfin, en 1973, Pa Chin est autorisé à vivre dans sa maison et à faire des traductions. Ceci au prix de quels compromis pour survivre ? La révision de ses livres en porte témoignage. Aujourd’hui, les seuls travaux originaux qu’il envisage, viseraient, selon ses termes, à dénoncer la bande des 4, mais dans la ligne du Président Mao. Au bout de son très long itinéraire d’engagement, l’ogre maoïste l’a-t-il définitivement avalé ?

 

En complément de cet article publier en 1980

 À contretemps, n° 45, mars 2013 : Ba Jin (Pa Kin) anarchiste
 [Dictionnaire des anarchistes] BA Jin, ou PA Kin [Li Feigan, dit]
 Pa Ku-Nin (AL Pékin-Sud) : Nécrologie : Pa Kin
 Brigitte Duzan : Ba Jin 巴金 1904-2005 Présentation


La Colonne de fer  



[1On peut lire en français : Cœur d’Esclave (nouvelle), Asie-Information n°7, 1966 ; Famille (Flammarion) ; Nuits Glacées (Gallimard) ; Le jardin du repos (Laffond).

[2On peut lire en français : Cœur d’Esclave (nouvelle), Asie-Information n°7, 1966 ; Famille (Flammarion) ; Nuits Glacées (Gallimard) ; Le jardin du repos (Laffond).

[3Sur les raisons et les conséquences de cette émigration, voir Les origines du mouvement libertaire en Chine d’Albert Meltzer.

[4Emma Goldman (1869-1 940), anarchiste américaine. Voir l’ouvrage Emma Goldman : épopée d’une anarchiste, Hachette, 1979.

[5En particulier, Sur l’émancipation des femmes, Le théâtre de Strinberg, et un article sur Ibsen.

[6Après la Révolution Culturelle de nombreux camps de ré-éducation par le travail furent rebaptisés par Mao, Écoles des Cadres du 7 mai. C’est là qu’aboutirent de nombreux intellectuels et cadres du Parti.