Turin a aussi été durant la première guerre mondiale la seule ville d’Italie qui se soit lancée dans une protestation massive contre la poursuite du conflit au cours de l’année 1917. Le mouvement d’août 1917, à fond internationaliste et antimilitariste, suivi d’une violente répression accomplie par tous les corps de l’armée et de la police (500 morts en août 1917, des centaines d’ouvriers envoyés au front, des milliers d’emprisonnés), porta Turin aux côtés de Kronstadt et de Wilhemshafen, et fit que les ouvriers de la Fiat furent cités dans le courant de l’année à l’ordre du jour de la résistance auprès des ouvriers des usines de Berlin et de Petrograd [1].
C’est peut être la raison pour laquelle, quand de Petrograd et de Berlin se lève à la fin de la guerre la voix des Conseils, des Comités, des Soviets, cette voix a une résonance immédiate chez les travailleurs de Turin.
Sur le plan international, les Conseils n’ont eu effectivement un contenu révolutionnaire qu’en Russie, Allemagne, Bavière, Hongrie et Autriche ; et encore, seulement dans un premier temps. Une fois clos le cycle révolutionnaire ils perdent leur vraie fonction : ils sont dissous comme en Russie, supprimés comme en Hongrie, transformés en organismes de collaboration de classes et de préservation du système capitaliste comme en Allemagne et en Autriche.
Les Conseils d’usine surgissent en effet partout avec une fonction de contrôle sur la vie productive de l’entreprise, ils se transforment bien vite en instruments d’expropriation pour la conquête de l’entreprise, ils assument enfin la gestion directe de celle-ci tant qu’existent les conditions favorables à l’offensive révolutionnaire. Lorsque ces conditions viennent à manquer, les Conseils retournent aux fonctions de contrôle qu’on leur avait accordé dans la première phase et admises maintenant sous une forme de co-participation « morale » à la vie de l’entreprise, puis on leur ôte même ce droit.
En d’autres termes, la naissance des Conseils, et leur mort, sont étroitement liées à l’extrême radicalisation de la lutte des classes durant le premier après-guerre ; les Conseils sont le produit d’une situation spéciale qui, dans une intense veille de conquêtes, mit les masses ouvrières face à la responsabilité de devoir prendre en mains tout l’appareil économique du pays et de le faire fonctionner.
Par ailleurs, la fin, glorieuse ou non, des Conseils en tant qu’organismes révolutionnaires, ensevelis sous les canonnades de la contre-révolution et sous les décrets lois de la restauration bourgeoise, marque aussi le tragique épilogue du premier après-guerre rouge.
L’expérience devient patrimoine théorique du prolétariat et dans de nombreux pays le drapeau des Conseils sert à rassembler les forces dispersées de la minorité révolutionnaire (surtout en Allemagne et en Hollande, où naissent derrière ce symbole des mouvements organisés). Le mouvement anarchiste, n’étant pas resté indifférent aux expériences concrètes, ne pouvait rester indifférent à la théorie qui se construisait sur ces expériences. Pour cela, il se devait de rechercher les liaisons qui s’étaient établies, ici en Italie, durant l’après-guerre entre l’organisation anarchiste alors présente, l’UAI, et le mouvement turinois des Conseils.