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Albert Meltzer (Londres, 7 janvier 1920 - 7 mai 1996)

mardi 7 mai 2024, par Stuart Christie (CC by-nc-sa)

Albert Melzer était l’un des représentants le plus constant et le plus respecté du mouvement international anarchiste de la seconde moitié du XXe siècle. Ses soixante ans de dévouement à la vision et à la pratique anarchistes résistèrent à la fois à l’écroulement de la révolution et de la guerre civile en Espagne et à la Seconde Guerre mondiale. Il impulsa les élans libertaires des années 60 et 70 et les orienta au milieu du thatchérisme des années 80 et l’après-guerre froide des années 90.

Heureusement, avant sa mort, Albert avait réussi à finir son autobiographie I couldn’t paint Golden Angels (Je n’ai pas pu peindre des anges dorés) un récit virulent, mais sans ressentiment, du type du brave soldat Chveïk, d’un ennemi acharné de ce siècle de la malhonnêteté et de l’injustice. Tout au long de sa vie de syndicaliste actif, il combattit les chemises noires de Mosley dans la bataille de Cable Street ; il joua un rôle important pour épauler les communes et les milices anarchistes durant la Révolution espagnole et la résistance antinazie avant guerre. Il fut à la base de la mutinerie du Caire pendant la Seconde Guerre mondiale ; il participa à la reconstruction de la résistance antifranquiste de l’après-guerre en Espagne et dans le mouvement anarchiste international. Ses activités englobent aussi Cuddon’s Cosmopolitan Review, une revue satyrique épisodique d’abord publiée en 1965 et nommée par la suite Ambrose Cuddon. Ce fut sans doute la première publication consciemment anarchiste, dans le sens moderne. Il fut un des fondateurs d’Anarchist Black Cross (la Croix Noire anarchiste), un groupe influent pour aider les prisonnier ainsi que la revue issue de cette initiative, Black Flag.

Cependant, le legs le plus durable d’Albert est la Kate Sharpley Library, sans aucun doute les archives anarchistes les plus étendues de Grande-Bretagne.

Albert Meltzer (1939).
(CC BY-NC-SA - Phil Ruff)

Né en 1920 dans la partie de Londres décrite par Orwell dans Down and Out, Albert fut vite attiré par le militantisme politique en tant que dénonciateur de magouilles. sa décision de suivre la voie de la politique révolutionnaire, dit-il, en 1935, à l’âge de quinze ans, fut la conséquence directe de ses cours de boxe. La boxe était considérée comme un sport vulgaire mal vu par l’administration de son école, Edmonton, et la parlementaire connue du Parti travailliste de sa circonscription, le docteur Edith Summerskill, adversaire véhémente de la boxe. C’est peut-être le jeu de jambes qu’il acquit jeune qui lui donna la possibilité de supporter, sa vie durant, sa corpulence. Cela lui permit de se juger avec pertinence et d’évaluer la force et la faiblesse de ses adversaires.

L’écolier, formé par la rue, pugiliste, assista à sa première réunion anarchiste en 1935 où il attira l’attention en portant la contradiction à l’oratrice Emma Goldman, en défendant la boxe. Il se fit bientôt des amis parmi les militants anarchistes âgés de la génération précédente. Il devint un participant régulier et dynamique des réunions publiques.

La résistance anarchiste contre le soulèvement de Franco en Espagne, en 1936, donna un fort élan au mouvement en Grande-Bretagne. Les activités d’Albert allaient des appels à la solidarité à l’édition de la propagande, et au travail avec le capitaine J.R. White pour organiser des envois illégaux d’armes, de Hambourg à la CNT en Espagne, en servant de contact avec les services de renseignements anarchistes espagnols en Grande-Bretagne.

Au début de sa carrière professionnelle, Albert fut promoteur de théâtre en plein air, acteur de théâtre et figurant occasionnel au cinéma. Albert apparaît brièvement dans le film Pimpernel Smith de Leslie Howard, un film antinazi, qui ne suivait pas le schéma de la guerre mais plutôt celui de la révolution en Europe. L’histoire évoquait des prisonniers communistes, mais au moment où Howard travaillait, en 1940, Staline avait envahi la Finlande. Le scénario fut changé et les prisonniers devinrent des anarchistes. Howard remarqua qu’aucun des acteurs jouant le rôle des anarchistes ne faisaient réels et il décida que de vrais anarchistes, y compris Albert, joueraient dans les scènes de camps de concentration.

Une conséquence de cette décision fut la rencontre de Howard avec Hilda Monte, une héroïne importante mais méconnue de la résistance anarchiste allemande à Hitler. Elle aurait dû participer au film, mais mourut en se rendant à Lisbonne.

Les années suivantes, Albert fut vendeur de livres d’occasion et, finalement, livreur de manuscrits dans Fleet Street. Son dernier employeur était, assez curieusement, The Daily Telegraph.

La défense d’Albert de l’anarchisme en tant que mouvement de classe ouvrière révolutionnaire, l’amena à affronter directement les néo-libéraux, qui dominaient le syndicalisme à la fin des années 40. Tout comme des gens étaient attirés par des mouvements totalitaires, comme le fascisme et le communisme, à cause de leur violence implicite et leurs certitudes idéologiques, de nombreuses autres personnes, politiquement incompatibles, allaient à l’anarchisme à cause de sa tolérance militante. Albert était véhémentement opposé à une refonte et à une présentation de l’anarchisme en tant que large église universitaire orientée vers des groupes de pression uniquement pacifistes. C’est, ironie du sort, d’un de ces groupes que George Woodcock, universitaire par la suite, venait lorsqu’il annonça publiquement qu’il rejetait l’anarchisme parce que c’était une force historique dépassée, en 1962. Il était heureusement inconscient de l’orage de l’après Butskell [1] qui allait éclater et de l’influence qu’auraient les idées anarchistes et libertaires sur les générations à venir.

Albert avec l’auteur et dessinateur de Black Flag, Phil Ruff, Londres 1984. (CC BY-NC-SA - Phil Ruff)

C’est la défense de l’anarchisme et de la lutte de classes, accompagnée de son scepticisme vis-à-vis de la Nouvelle Gauche étudiante des années 60, qui valut à Albert sa réputation de sectarisme. Paradoxalement, comme l’ami et le caricaturiste de Black Flag, Phil Ruff, l’a souligné dans son introduction à l’autobiographie d’Albert, c’était la découverte de l’anarchisme et de la lutte de classes, par la voie du « sectarisme » de Black Flag, sous la direction d’Albert, qui amena tellement d’anarchistes de sa génération, et de celles qui ont suivi, à devenir des militants actifs. La dynamique et la logique du prétendu sectarisme d’Albert continua à former un nombre incalculable de jeunes dans le mouvement anarchiste d’alors et durant trente ans, jusqu’à la crise qui le frappa en avril 1996. Il est difficile de donner un jugement public sur un personnage si secret, Albert Meltzer semblait souvent être un membre d’une équipe de combattants. On ne savait jamais s’il était un simple acteur ou s’il était le cerveau de toute l’opération. Pour Albert, tous les privilèges des capitalistes, des rois, des bureaucrates et des politiciens, mais aussi les aspirations mesquines des opportunistes et des carriéristes parmi les rebelles eux-mêmes. Beaucoup de ce qu’il a contribué à créer dans la vie de ceux qui le connaissaient va être oublié, mais ceux qu’il a fréquentés se souviendront de lui tendrement des années durant.

(Traduction de Frank Mintz)

 



[1Voir sur Wikipédia : Butskellism. Note ajoutée par Partage Noir.