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Séverine (1855-1929) [12]

dimanche 4 avril 2021, par Victor Méric - Flax (CC by-nc-sa)

Pour achever de peindre Séverine, faut-il vous la montrer, à Pierrefonds, au milieu de ses chiens, de ses oiseaux, de ses bêtes, qu’elle a défendus passionnément comme elle a défendu les misérables humains ? C’est là-bas, loin des bruits de ce Paris qu’elle déteste, dans sa petite-maison des Trois-Marches, entourée de Sac-à-Tout dont elle a publié l’histoire, de M. de Coco bleu, du patriarche Mégot, de Pipette (voir son volume Sac-à-Tout chez Juven), qu’elle passe ses plus heureuses journées, les pieds dans des sabots, vêtue d’une jupe et d’un corsage de grosse laine, tantôt bêchant son jardin, tantôt conversant avec ses auteurs favoris.

Elle est à Pierrefonds le plus souvent possible, toutes les fois que les nécessités de la bataille le lui permettent. Elle reçoit volontiers quelques amis sûrs et rares. Elle relit Hugo, comme au temps où elle était jeune fille et où elle déclamait ses vers au Bois de Boulogne. Elle lit aussi Lecomte de Lisle et Mme de Noailles. Musicienne, elle adore Chopin et surtout Beethoven. Puis elle abandonne la musique et la poésie pour prendre un volume de Flaubert, de Renan, de France, dont l’ironie cependant l’intimide parfois, de Zola, de Romain Rolland. Nous citons ici ses auteurs ordinaires. Par contre, Séverine n’aime pas Racine. Ce poète tragique ne parvient pas à l’émouvoir.

C’est tout ! Disons encore que Séverine n’a jamais pu distinguer entre une action et une obligation, qu’elle est d’une ignorance déconcertante en matière d’argent, de comptabilité, de finances. Ajoutons que ni les heurts de la vie, ni les polémiques ne l’ont aigrie. Elle est toujours la même, c’est-à-dire la femme, avec toutes les qualités de bonté et de douceur de la femme ; avec la sentimentalité quelquefois illogique de la femme ; la femme prête au dévouement, à la pitié, à la charité ; la femme qui écoute plus volontiers parfois son cœur que sa raison, mais qui est assurée justement de ne jamais s’égarer complètement et qu’on retrouve toujours là où il y a à lutter, à peiner, à vaincre pour la faiblesse, l’infortune, le malheur.

Voilà. Puissions-nous avoir réussi à donner ici un portrait exact, véridique, complet de cette grande dévouée, dont le privilège rare — à notre triste époque surtout — aura été de ne susciter en ce monde que des admirations et des reconnaissances.

 

Les Hommes du jour, 17 avril 1909 - n°65