Pelloutier écrivain
Je ne m’explique pas qu’aucun camarade disposant de loisirs, ayant l’habitude de fouiller dans les bibliothèques, ne soit attaché à rechercher par quel laborieux effort de pensée Pelloutier réussit à se dégager du radicalisme, puis du socialisme politique, pour arriver au socialisme économique, au syndicalisme. Il y a là une belle étude pour ceux de nos camarades intellectuels qui veulent se rendre utiles. Suivre l’évolution de la pensée de Pelloulier et montrer la part qu’il prit à l’action ouvrière, serait montrer un côté important du mouvement des idées dans les dix dernières années du siècle passé.
Ce n’est pas cette étude que je veux aborder ici. Je n’ai pas le temps de fouiller dans les journaux de l’époque et de rechercher tous les articles écrits par notre ami. Je suis donc obligé de m’en tenir à ses deux livres et aux brochures que j’ai eu le bonheur de conserver.
Le premier livre de Fernand Pelloutier, le seul qu’il eut vraiment la joie de voir imprimer, fut la Vie ouvrière en France, écrit en collaboration avec son frère Maurice. Il contient une masse de documents sur la situation des ouvriers français de l’époque salaires, conditions d’existence, longueur de la journée de travail, exploitation des femmes et des enfants. Œuvre non pas de, statistique pure, mais encore d’explication, de recherche des causes. Les deux frères y travaillaient depuis 1893. Le livre parut en 1900 : cependant, on peut trouver dans la collection de l’Ouvrier des Deux Mondes (1er février 1807-juillet 1899) une première rédaction des principaux chapitres du livre.
Il y a plus de dix ans que le travail a été publié ; s’il avait vécu, Pelloutier n’aurait pas manqué de tenir ces renseignements à jour. Mais tel quel, l’ouvrage est précieux. En dix ans, la condition des ouvriers n’a pas tellement changé et c’est avec profit que l’on relira aujourd’hui ce que notre ami écrivait sur la mortalité professionnelle, sur le renchérissement de l’alimentation, des loyers, sur la réduction des heures de travail.
Quant à l’Histoire des Bourses du Travail, parue après sa mort, elle est encore de beaucoup la meilleure histoire des efforts de la classe ouvrière depuis la Commune pour se donner une organisation autonome, pour se forger des armes et des organisations capables d’opposer à la concentration des forces patronales la concentration des travailleurs.
Un autre ouvrage de Pelloutier reste à publier, c’est le recueil des études importante qu’il écrivit de droite et de gauche dans de revues, dans des journaux.
D’après les projets de son frère Maurice, ce nouveau livre posthume aurait compris notamment des chapitres sur les lois ouvrières, sur la guerre, l’union libre, l’art, la grève générale, etc. On voit que c’aurait été de véritables « mélanges d’histoire et de critique sociale », titre sous lequel ce livre devait paraître.
Il n’est pas encore paru. Paraîtra-t-il bientôt ? Nous le souhaitons vivement.
Je me souviens aussi que Pelloutier m’avait dit posséder sur certains hommes politiques, dont il pressentait l’évolution, des dossiers particuliers qui ne seraient point sans actualité, j’en suis sûr. Briand avait-il le sien ? Je ne sais. En tout cas, Pelloutier, sur la fin de ses jours, avait senti le gaillard.
En 1894, avec H. Girard, il publiait une brochure : Qu’est-ce que la grève générale ? En 1895, il donnait aux Temps Nouveaux une remarquable série d’articles. En juin 1895, il produisait, au congrès de Nîmes de la Fédération des Bourses, deux rapports, dont l’un, tout en affirmant les théories libertaires, professe que le succès de la Révolution nécessite temporairement la concentration des forces ouvrières.
En 1896, l’Art social publie de lui deux brochures : l’Art et la Révolte et l’Organisation corporative et l’Anarchie.
C’est en 1897, enfin, qu’il fonde l’Ouvrier des Deux Mondes, revue mensuelle d’économie sociale, qui devait devenir, après le congrès de Toulouse (septembre 1897), l’organe de la Fédération dès Bourses, et disparaître en juillet 1899, malgré ses efforts tenaces. L’Ouvrier des Deux Mondes est, sans contredit, le père de notre Vie Ouvrière et si nous avons connu moins de difficultés, cela tient, sans aucun doute à ce que Pelloutier avait indiqué, voilà, dix ans, ce que devait être une revue pour les militants ouvriers et à ce que, aussi, le mouvement syndicaliste, dont Pelloutier n’a connu que les peines du défrichement, a fait du chemin depuis. Monatte ne me contredira pas, lui qui a choisi cette phrase de la Lettre aux anarchistes de Pelloutier comme devise de la Vie Ouvrière : Nous voulons poursuivre plus activement, plus méthodiquement et plus obstinément que jamais l’œuvre d’administration morale, administrative et technique nécessaire pour rendre viable une société d’hommes libres.