Après le Congrès fameux tenu à Gênes en 1892, la rupture entre socialistes-autoritaires et anarchistes devint définitive. Ce Congrès marqua dans l’histoire du parti socialiste italien une date importante et pour le mouvement anarchiste son vrai départ. Deux orateurs se signalèrent dans la défense du point de vue anarchiste : Luigi Galleani et Pietro Gori. Ce dernier — qui avait commencé sa vie militante dans les rangs de l’Internationale, à Livourne et à Pise — prenait depuis quelques années une part active à la vie du « Parti ouvrier », lequel réunissait des éléments révolutionnaires et égalitaires, libertaires et autoritaires.
De même qu’il contribua à donner, à une heure importante de son histoire, son caractère propre au mouvement anarchiste, il allait devenir, tant par la plume que par la parole, le propagandiste infatigable des idées anarchistes. Enthousiaste, fervent et inlassable, il se donna tout entier au mouvement et, en Italie d’abord, puis à l’étranger, il porta sa parole chaude et passionnée qui savait séduire et persuader.
Il naquit à Messine, le 14 août 1865. De son père, qui fut soldat et conspirateur pour l’indépendance de l’Italie, il avait hérité la fermeté du combattant ; de sa mère, tendre et cultivée, la cordialité du militant et la passion du chercheur.
Il fit ses études classiques et universitaires d’abord à Livourne puis à Pise et c’est durant ces années d’étudiant dans ces deux villes qu’il se familiarisa avec les idées socialistes, puis devint anarchiste.
C’était alors, pour l’anarchisme, en Italie, des années particulièrement pénibles au cours desquelles police et magistrature frappaient d’autant plus durement les militants que les idées exposées par ces derniers trouvaient auprès des masses une audience toujours plus grande.
Sous l’influence de Bakounine — qui apportait en Italie les idées révolutionnaires de l’Internationale et y faisait une active propagande (en opposition aux conceptions mystico-politiques de Mazzini) — des hommes comme Cafiero, Favelli et Costa donnèrent une vigoureuse impulsion au mouvement socialiste-libertaire naissant.
C’est en 1885 que le jeune Gori, encore étudiant, adhéra à ce mouvement, et en 1887 qu’il connut son premier procès pour la publication d’une brochure : Pensées rebelles qui rapporta à son auteur une année de prison. Par la suite, cette brochure connut plusieurs dizaines d’éditions, mais aucun juge n’y trouva plus alors matière à poursuites.
Malgré les persécutions — les adhérents à l’Internationale étaient présentés comme de dangereux malfaiteurs, sans cesse surveillés et persécutés par la police — Gori réussit à prendre ses grades universitaires, soutenant une thèse remarquablement courageuse à l’époque : La misère
et le crime.
En Italie, comme dans tous les pays, la vie du militant est jalonnée par les arrestations et les procès. Certains de ceux-ci, les plus importants, eurent lieu en 1887, 89, 90, 91, 94 et 98. En 1891, avant que la scission du parti ouvrier — lequel suivait encore les directives de la première Internationale — séparât les socialistes en autoritaires et libertaires, Gori prit part au Congrès de Capolago — congrès auquel participèrent des hommes comme Saverio Merlino, Malatesta et Almicare Cipriani — qui marqua le début d’un important développement de l’action et de la propagande anarchistes en Italie.
Devenu avocat, mais ne pouvant exercer à Livourne, à cause des continuelles provocations policières, Gori se rendit à Milan où, pensait-il, il lui serait plus aisé de travailler et de lutter. C’est dans cette ville qu’il fonda —aidé par un groupe d’étudiants et d’ouvriers — le journal l’Ami du peuple dont les vingt-sept numéros publiés furent systématiquement saisis et poursuivis.
De Milan, il accourait toujours là où la présence de l’avocat était jugée nécessaire, et de nombreuses plaidoiries prononcées par lui à cette époque sont restées célèbres.
Avant 1892, socialistes-légalitaires et socialistes-anarchistes (c’est ainsi que, pendant longtemps, on appela les anarchistes en Italie) unissaient leurs efforts et, parmi les seconds, nombreux étaient ceux qui avaient adhéré au « parti ouvrier ». Comme nous l’avons dit plus haut c’est précisément au Congrès de Gênes que les deux tendances se heurtèrent, d’où résulta la scission. Le « parti ouvrier » se fractionna en « parti socialiste » et « mouvement anarchiste ».