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Flavio Costantini - Artist of anarchy

jeudi 3 février 2022, par Bill Nowlin (CC by-nc-sa)

De plus en plus on trouve ses tableaux dans les publications libertaires internationales. Grands traits noirs et coloris pastel (ah ! si nous avions la couleur dans Agora !). On commence à savoir déchiffrer son nom, au coin de ses dessins. Mais qui est Flavio Costantini ?

L’histoire du mouvement anarchiste, ses défis audacieux, ses rébellions et son romantisme, exerce sur de nombreuses personnes une fascination spécifique. L’abondance d’évènements hauts en couleurs, tragiques, de tentatives et d’expériences menées dans le domaine de la révolution sociale, n’a jamais rendu facile le traitement superficiel du mouvement libertaire, excepté pour ceux qui voulaient en finir, une fois pour toutes, avec le sujet. Les écrivains, anarchistes ou non, se sont trouvés engagés profondément lorsqu’ils ont eu à parler de cette volonté de pureté dans les idéaux et des martyrs tragiques qui jalonnent l’histoire anarchiste. Aujourd’hui, le mouvement a trouvé son chroniqueur artistique en la personne de Flavio Costantini.

DE KAFKA A RAVACHOL

Contrairement à d’autres, Costantini ne traite pas un ou deux évènements de l’histoire anarchiste pour se tourner ensuite vers d’autres thèmes. Chez lui, il y a le souci constant de créer, par ses travaux, une documentation artistique exhaustive, systématique, du mouvement, Les 43 premiers tableaux de cette série sont reproduits dans The Art of Anarchy, publié en septembre 1975 par « Cienfuegos Press » (et, malheureusement épuisé à l’heure actuelle).

Travaillant dans le studio de son appartement de Rappalo (Italie), il vient d’achever de nouveaux tableaux sur l’assassinat de Mc Kinley par Czolgosz et sur le martyr de Wobbly Frank Junior. D’autres sont en chantier. Les originaux, peints par Costantini, sont ensuite reproduits en sérigraphie à 100 exemplaires à Zagreb (Yougoslavie) par son associé.

Un aspect de l’œuvre de Costantini saute immédiatement aux yeux : l’attrait de la violence (assassinats, explosions, arrestations, exécutions). Visiblement Ravachol est le personnage qui l’intéresse le plus. Ravachol, c’est l’élément criminel indiscipliné qui effraie la plupart des personnes. Ce symbole de l’anarchiste violent, lanceur de bombes et pilleur de tombes, est exploité par les ennemis d’une société libre. Il prouve, à leurs yeux, les dangers de chaos qui nous guettent hors des contraintes d’un Parti ou d’un État. Costantini s’imprègne de l’homme réel, du caractère individualiste de Ravachol, non comme un modèle, mais avec la compréhension qui fut celle d’Emma Goldman pour Léon Csolgosz, assassin du président Mc Kinley. Pour Costantini, Ravachol c’est la volonté d’action.

Très tôt, Kafka a joué un grand rôle dans l’œuvre de Costantini, bien avant même qu’il se mette à dessiner et à peindre. Flavio, âgé aujourd’hui de 47 ans, est le fils d’un professeur de l’Italie du Nord. Il commence sa carrière professionnelle en tant qu’artiste graphique commercial et maquettiste sur tissus. Dans une récente interview, Costantini disait : J’ai commencé à dessiner parce que j’ai lu les livres de Kafka. Je les ai beaucoup aimés, et comme il m’était impossible d’écrire comme lui, je me suis mis au dessin.

Les sujets solitaires, brimés et désorientés des œuvres de Kafka, toujours entre l’hystérie et l’effondrement, captivent Costantini et influencent ses premières œuvres. Parallèlement, une alternative existe : le communisme. Il sera communiste pendant toute cette période, jusqu’à son voyage en URSS en 1962.

LA DESILLUSION SOVIETIQUE

Costantini fut à la fois déçu et troublé par ce pays. A Moscou, il vit un fleuve de touristes, paysans étrangement silencieux, ni tristes ni heureux, canalisés dans ce pèlerinage inconscient et désenchanté. Le vif pas de l’oie des soldats pendant la relève de la garde devant le Mausolée de Lénine. Des voitures d’un noir brillant, aux rideaux tirés, filant à toute allure dans le Kremlin. La révolution était bien finie.

Il relit alors un livre haï et oublié, Les mémoires d’un révolutionnaire de Victor Serge, cette voix isolée mais insistante. La partie sur les anarchistes français lui donne un nouvel espoir. Depuis lors, dit-il, j’ai essayé, dans la mesure de mes possibilités, et sans compromis, de propager cette alternative.

Il est d’accord avec Serge sur le fait que les anarchistes français, bien que traversés par des contradictions étaient des gens qui, avant toute chose, exigeaient une cohérence entre les paroles et les actes. C’étaient, le plus souvent, des individus isolés, sensibles, qui ne pouvaient se contenter d’errer de manière confuse et désorientée dans ce monde déconcertant. C’est pourquoi, face à la confusion et au désarroi, leur réaction fut précisément d’agir, de refuser de se soumettre.

Des critiques ont dit que certaines gravures de Costantini montraient un amour du décoratif souvent trahi par une impression de solitude proche de la morbidité. Costantini ajoute : Avant mon voyage en URSS, j’étais influencé par l’œuvre de Kafka. Mes dessins de cette période sont introvertis. Je ne veux pas dire que mon œuvre d’aujourd’hui est extravertie, mais je pense avoir atteint une plus grande objectivité. Kafka a grandi dans Ravachol. Ce dernier place ses explosifs à la porte de ses persécuteurs. Avec Kafka on reste isolé, vulnérable ; avec Ravachol naît l’esprit de solidarité. Il a défié les forces qui nous défient.
En ce temps-là, d’une part j’aimais Kafka, et d’autre part j’étais communiste à partir d’un choix logique, rationnel, non subjectif. J’étais communiste parce que je pensais que le communisme était la seule solution logique et juste pour l’humanité. Quelque chose qui pouvait remplacer le mensonge du christianisme. Mon voyage en URSS m’a fait comprendre l’échec du socialisme autoritaire. Aujourd’hui, objectivement, je défends le socialisme libertaire, mais psychologiquement, je suis attiré par l’anarcho-individualisme. Mon individualisme précède mon anarchisme, il est inhérent à ma personnalité. Je n’ai fait qu’un seul pas en avant : je peux aujourd’hui analyser ma solitude. Mon choix actuel du socialisme libertaire est pleinement conscient.

Contre ceux qui amalgament anarchistes et bandits, Costantini affirme : ces gens-là (Ravachol, Jacob, Bonnot), malgré les conséquences malheureuses de leurs actes pour le mouvement, ont accompli quelque chose. Il n’y avait pas d’autre choix, à ce moment-là, il fallait se battre. C’était la guerre de classe. Les travailleurs étaient tels des esclaves.

DES ACTES INDIVIDUELS

Pour la morale bourgeoise, engager une guerre n’est pas un crime, c’est presque honorable. L’éthique anarchiste voit en la guerre un crime horrible. Il en va de même pour l’accumulation du capital, etc. Ainsi, le même acte, peut être ou non considéré comme un crime selon la norme dont on se sert pour le juger. Les cambriolages de banques réalisés par Durruti et Sabater ne sont pas, à mon avis, des actes criminels. La bande à Bonnot est un symbole. Elle marque la fin de la période de lutte ouverte, de Ravachol, entre bourgeoisie et prolétariat, et annonce celle des négociations et du conformisme syndical. Les derniers irréductibles furent isolés du reste du prolétariat, et n’eurent plus le choix qu’entre l’intégration et la mort. Par souci du subjectif, l’intérêt de Costantini se porte plus facilement vers les actes individuels que vers les manifestations collectives. Les courages, les volontés individuelles dominent toutes ses œuvres. Seules, quelques-unes, comme celle sur le massacre des ouvriers de Mc Cormick à Chicago en 1886, ou celle sur la révolte des paysans de Ghibellina en 1894, traitent d’actions de masse.

Il y a aussi un autre élément qui entre en jeu : Je ressens très profondément la violence. Je suis toujours bouleversé par ces gens qui ont donné leur vie pour des idées. C’est terrible pour moi de voir tant de gens lutter proportionnellement au pouvoir qui s’oppose à eux.

Dans l’œuvre de Costantini, on constate un certain paradoxe de style. Les portraits, les visages sont dessinés directement à partir de photographies, parfois extraites des fichiers de la police. Cette touche de réalisme va à contre-courant de la simplification de l’acte photographique. Les personnages se retrouvent étrangement fixes, leurs visages souvent tournés dans des directions peu naturelles, comme distants et oublieux de ce qui se passe autour d’eux. C’est le tableau figé d’un évènement spécifique. Un moment préservé pour le spectateur et qui lui est présenté de façon déconcertante.

Ainsi, le travail de Costantini est à la fois documentaire et innovateur. Sa maîtrise technique, sa connaissance du sujet sont évidentes et on ne peut que saluer son ta-lent exceptionnel. Le large éventail de son œuvre devient de plus en plus familier, non seulement aux anarchistes, mais aussi aux critiques d’art. Cela devrait permettre une large discussion sur l’anarchisme et une meilleure compréhension des rébellions qui ont marqué son histoire.

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Voir en ligne : Cet article de Bill Nowlin est extrait d’Agora n°4 – Hiver 1980-81. Tous les numéros de cette revue (1980-1986) sont sur le site Fragments d’Histoire de la gauche radicale.