Un prétendu drapeau de l’armée de Nestor Makhno porte, encadrant une tête de mort, le slogan en ukrainien Mort à tous ceux qui barrent la route à la liberté des travailleurs
. Sa photo paraît en 1926 dans un ouvrage publié à Moscou : Zel’man Ostrovskii, Evreiskie pogromy, 1918-1921. Celui-ci dénonce les pogroms survenus en Ukraine pendant la guerre civile, qui ont fait quelque 50 000 morts, et les attribue aux ennemis des bolcheviques, notamment aux régiments makhnovistes. Makhno lui-même y a répondu par plusieurs articles dans Le Libertaire et Dielo Trouda, démentant les accusations d’antisémitisme au sein de ses partisans, sans nier les exactions de certains compagnons.
Depuis lors, ce drapeau a été reproduit d’innombrables fois ; il semble apparaître pour la première fois en France en 1969 dans la réédition de P. Archinoff, Le Mouvement makhnoviste, Paris, Bélibaste, puis il est reproduit dans de nombreuses publications et surtout « merchandisé » sous forme de T-shirts, badges et autres.
Pourtant il est prouvé qu’il ne provient pas des bataillons makhnovistes, dont tous les textes connus sont rédigés en russe et non en ukrainien. Il porte en outre, au revers, une inscription qui renvoie aux soldats de Svyryd et Petro Kotsur, deux autres leaders paysans ukrainiens, temporairement associés à Makhno, et la photo montre probablement des soldats bolcheviques arborant leur trophée après la défaite des Kotsur.
La facture de ce drapeau semble professionnelle, lettres brodées, franges sans doute dorées. Les drapeaux makhnovistes connus sont bricolés ; Voline raconte qu’ils auraient été faits de soutanes arrachées à des popes [1] !
Pierre Znamenski, qui cite ce passage de Voline, reproduit dans son recueil Sous les plis du drapeau rouge [2] deux drapeaux provenant apparemment des 1er (fig. 1) et 3e régiments (fig. 3) (ou pelotons) de l’Armée révolutionnaire insurrectionnelle makhnoviste ; il ne dit rien de leur provenance. Nous avions déjà publié l’un d’eux en couverture du Bulletin du CIRA 71, en 2015. Une face de celui du 2e régiment (fig. 2), conservé au Musée historique national d’Ukraine, figure dans un article de libcom.org, il est tenu pour authentique. Mais Sean Patterson, l’auteur du billet de blog, a des doutes sur la symbolique de la tête de mort encadrée d’une faux ou d’ossements : selon Makhno lui-même, la photo publiée par Ostrovskii qui montre des makhnovistes en déplacement, précédés d’un drapeau noir orné d’une tête de mort […] n’a rien à voir avec les pogromes et, surtout, ne représente aucunement des makhnovistes
[3]. Le drapeau du 3e régiment montre une grande similitude avec l’étendard brandi par les marins de Kronstadt en 1917 sur le cuirassé Petropavlovsk. Mais l’incertitude demeure.
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« Mort a tous ceux qui s’opposent à la liberté des travailleurs » : à propos d’un faux drapeau makhnoviste devenu symbole de l’anarchie - Site makhno.home.blog
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Etendard makhnoviste (1919-1920) ?