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Albert Meltzer - Derrière les Slogans : « Indépendance Nationale »

jeudi 8 décembre 2022, par Albert Meltzer (CC by-nc-sa)

Titre original : Behind the Slogans : National Independence – Albert Meltzer War Commentary Vol 4 No 3, décembre 1942. Traduction : Racines et Branches - Un regard libre sur les formes anti-autoritaires d’hier et d’aujourd’hui.

L’espoir, dit-on, est un bon petit-déjeuner mais un pauvre dîner. Il en est de même de la lutte pour l’indépendance nationale. Puisque les nations les plus oppressives contraignent les nations dominées à abandonner leur liberté sociale et politique aussi bien que leur liberté nationale, ce qui ne représente pas grand chose en soi-même, la lutte première pour la liberté nationale s’associe alors avec la lutte pour la liberté politique et sociale, et est, par conséquent, progressiste et même révolutionnaire. L’écosse, quand elle a perdu sa liberté nationale, n’a pas perdu sa liberté politique, étant dissociée de l’Angleterre et donc le nationalisme écossais n’est jamais devenu réalité, bien que la revendication pour la liberté sociale persiste comme dans tout pays capitaliste. L’Inde, lorsqu’elle est devenue une partie d’un empire étranger, a perdu toute perspective de liberté politique et la revendication pour la liberté politique et sociale est associée à un mouvement progressiste .

Nous voyons cela illustré avant tout dans les luttes des pays européens contre l’impérialisme durant le dix-neuvième siècle. La Hongrie, la Finlande, l’Italie, la Bulgarie, la Grèce, la Tchécoslovaquie, la Macédoine, l’Arménie, l’Albanie, la Pologne... La sympathie pour ces nations dominées fut immense dans le monde occidentale et, en dépit de nombreuses luttes sanglantes et de répressions, le républicanisme libéral a fait de son mieux pour acquérir l’indépendance national face aux puissances dirigeantes européennes – la Russie, l’Autriche et la Turquie.

Tous ces Empires furent détruits – les tsaristes, les Habsbourg et les Ottoman. Exceptées la Macédoine et l’Arménie, toutes les nations opprimées se libérèrent au sens national du terme, à la suite du grand partage qui suivit la première guerre mondiale. L’indépendance nationale, l’objectif du dix-neuvième siècle, est devenu un piège et une illusion. La Pologne, qui avait souffert simultanément sous trois despotismes (autrichien, prussien et russe), a subi l’ignominie d’un quatrième, celui des propriétaires terriens polonais. Tout le sang qui avait coulé à flot pour libérer la Hongrie a de nouveau coulé sous la dictature fasciste naissante. Les seules nations indépendantes à avoir conservé des formes de démocraties libérales furent la Finlande et la Tchécoslovaquie ; la dernière pour la perdre lors du marchandage de Munich et la première pour souffrir sous le double joug de l’Allemagne et de la Russie pendant cette guerre.

On ne peut pas dire que l’indépendance nationale a été une aubaine pour les nations opprimées d’Europe, à nouveau opprimées par de nouvelles formes d’impérialisme. Puisqu’elles suscitent aujourd’hui la même sympathie qu’au siècle dernier des pays occidentaux, examinons-en la sincérité réelle.

Les sympathies du gouvernement britannique s’expliquent bien sûr par l’équilibre du pouvoir. Il a soutenu la liberté italienne quand l’oppresseur autrichien était un rival. Sous Disraeli et les conservateurs, il a soutenu l’impérialisme turc même si Gladstone a dénoncé ses massacres et sa possible concurrence pour l’Empire britannique. Il a toujours attaqué l’impérialisme autrichien et, lorsque la Russie est devenue une rivale et une menace pour l’Empire en Inde, il a attaqué aussi l’impérialisme russe. L’hypocrisie britannique de la « sympathie pour l’indépendance nationale » a été démontrée par la réponse de diplomates étrangers Et en ce qui concerne vos irlandais ? A l’époque, la question irlandaise était aussi brûlante que, disons, la question de la Finlande. Une autre réponse ironique – et juste – vint de Nasir Pasha, général du Sultan, qui répliquait à des critiques anglaises hostiles, disant qu’il n’allait faire que ce que les britanniques avaient fait au Transvaal (La guerre des Boers), avant que de massacrer les Albanais, les Bulgares et les Macédoniens après le soulèvement de Monastir.

Lorsque la politique britannique a penché en faveur d’une nation, elle a été aidée ; lorsqu’elle a penché en faveur de ses oppresseurs, cette nation a été oubliée. Tel a été « l’équilibre des pouvoirs ». Le sentiment de la classe dirigeante penche toujours vers ses propres intérêts. Aujourd’hui, l’Allemagne attaque l’impérialisme britannique pour sa politique coloniale – pas parce que la sienne est différente ; l’impérialisme britannique n’attaque pas l’occupation allemande parce qu’il n’est pas son tuteur ; aucun des deux n’est concerné par l’indépendance nationale en soi, mais uniquement par des moyens d’attaquer son rival.

Les alliés n’ont pas réagi face au cas de la Pologne parce qu’ils l’a soutenait mais parce qu’à un moment, ils devaient arrêter l’impérialisme de Hitler avant qu’il n’attaque directement l’impérialisme britannique. Les guerres n’ont pas pour cause la défense de l’indépendance nationale, ou un motif inspiré de « Saint George et le Dragon », mais des causes économiques ayant pour buts l’expansion ou l’arrêt de l’expansion. Par conséquent, mettons un terme à toute l’absurdité actuelle selon laquelle les Grandes Puissances seraient motivées par des sentiments de sympathie envers les petites Puissances.

Finissons-en aussi avec l’ineptie selon laquelle certaines nations sont responsables des guerres entre grandes puissances, par exemple l’Alsace-Lorraine, les pays des Balkans, etc. Les peuples de ces pays peuvent, si la situation n’est pas envenimée par des différences nationales stupides et des tentatives délibérées d’encourager le séparatisme en leur sein, vivre ensemble pacifiquement. Les préjugés et l’éducation peuvent encourager la dissension mais enlevez la volonté de puissance et ces préjugé et enseignements disparaitront. A l’avenir, ces secousses infondées qui ont bénéficié à quelques privilégiés doivent disparaître pour une Europe et un mode unis.

Nous devons certainement accepter les luttes pour l’indépendance nationale lorsqu’elle sont des luttes contre l’impérialisme. Mais elles doivent être conduites par les ouvriers et les paysans et nous devons nous dissocier d’avec les dirigeants bourgeois – par exemple, des gouvernements en exil à Londres, les dirigeants bourgeois du Parti du Congrès indien etc. – pour nous associer à la place avec les masses qui conduisent seules cette lutte. Et l’indépendance ne doit pas être un objectif mais un levier pour évincer l’impérialisme, et lorsque cela est fait, le but n’est pas d’instaurer un gouvernement bourgeois indépendant mais un mouvement révolutionnaire qui va lutter aux côtés d’autres mouvements révolutionnaires dans d’autres pays pour un MONDE LIBRE.


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