La deuxième moitié de l’année 1902 verra une amplification et surtout une radicalisation des luttes. Grève de dockers, qui demandaient la journée de 8 heures, à Bahia Blanca : 43 grévistes sont emprisonnés ; en août 1902 une énorme grève des ouvriers boulangers (qui réclament une augmentation et de meilleures conditions de travail) se termine violemment : le gouvernement ferme le local de la FOA et permet aux patrons d’utiliser des armes pour se « défendre ». Novembre 1902 : une grève de dockers, commencée à Buenos-Aires s’étend à plusieurs ports du pays. Le même mois, 5 000 employés du Marché central de fruits de Buenos-Aires se mettent en grève avec un paquet de revendications (journée de 9 heures, abolition du travail à forfait, hausse de leurs misérables salaires...). Les dockers et les conducteurs de voiture se déclarent en grève par solidarité. La grève s’étend rapidement à d’autres secteurs et en province, et devient générale. Les classes dominantes s’inquiètent ; l’État réagit et déploie des troupes dans la capitale. Le 22 novembre, le Sénat et la Chambre des députés votent une « loi de résidence » qui stipule que tout étranger qui compromet la sécurité nationale ou perturbe l’ordre public
peut être expulsé sous 3 jours, sans aucun procès. Deux jours plus tard, l’état de siège est décrété pour combattre l’agitation ouvrière.
Longue est la liste de militants expulsés (n’oublions pas que l’Argentine est un pays d’immigration). De nombreux grévistes sont déportés en Terre de Feu -la Sibérie argentine- ou emprisonnés en masse en vertu de l’état de siège. Les journaux ouvriers sont interdits, les locaux fermés. Les luttes en cours s’effondrent. La loi de résidence, qui permet au gouvernement d’expulser tout militant n’ayant pas la nationalité argentine, restera, malgré les grèves et les actions qu’entreprendront ultérieurement les organisations ouvrières, en vigueur pendant des dizaines d’années. L’état de siège, lui, se termine le 6 janvier 1903.
Les 7, 8 et 15 mars 1903 a lieu à Buenos-Aires le congrès constitutif de l’UGT. Elle se déclare indépendante, une motion disant que « les ouvriers doivent donner leurs votes aux partis qui ont dans leur programme des réformes concrètes de la législation du travail » est toutefois approuvée.
Début juin 1903, 80 délégués assistent au IIIe congrès de la FOA. Bien qu’étant plus importante que l’UGT, elle a été considérablement affaiblie par la création de celle-ci et surtout à cause des persécutions que ses militants ont subies pendant l’état de siège. Lors de ce congrès, la FOA s’affirme comme étant révolutionnaire et critique sévèrement l’action législative et parlementaire qui réduit le socialisme à un étroit esprit de parti.
L’orientation anarchiste s’accentue.
Les luttes en 1903 sont beaucoup moins intenses qu’en 1902 : grèves des tailleurs de pierre, des conducteurs de voitures, des maçons, des marins, des fabricants de chaussures, etc. La plupart d’entre elles se terminent par la satisfaction des revendications. De nombreux syndicats autonomes, plus ou moins importants, refusant de rejoindre la FOA ou l’UGT, sont créés. Fin 1903 et surtout début 1904, le mouvement ouvrier se réorganise et les luttes se développent à un rythme croissant, surtout en province (« l’intérieur ») et touchent de nouveaux secteurs de production. L’année 1904 sera spécialement marquée par les nombreuses luttes des cheminots dans tout le pays (la plus importante, en mars, mobilise 12 000 ouvriers et employés) dont quelques-unes seront réprimées par les troupes. La Confédération ferroviaire est crée. Le 1er Mai 1904 sera sanglant. Lors de la manifestation de la FOA (un autre cortège -plus petit- regroupait le PSOA et l’UGT), les policiers chargent la foule : un ouvrier est tué et il y a plusieurs dizaines de blessés.