Dans son autobiographie (Mon dernier soupir), Luis Bunuel raconte qu’alors qu’il parlait à ses amis de ses difficultés financières pour tourner son film los Hurdes (Terre sans pain), l’anarchiste Ramón Acín lui promis de l’aider s’il gagnait à la loterie. Il gagna et il tint sa parole.
Qui était Ramón Acín ? Un anarchiste donc, mais aussi un artiste.
Professeur de dessin, il donnait des cours du soir aux ouvriers.
En 1936, au début de la guerre civile, un groupe de fascistes se présenta chez lui menaçant de fusiller sa compagne s’il ne se rendait pas. Il se rendit, et ils furent exécutés tous les deux.
Par divers témoignages, en particulier celui d’Alaiz [1], on connaît les hautes qualités morales d’Acín :
Je me rendis compte aussitôt de l’influence morale et spirituelle de Ramón à Huesca et dans la province. C’était un camarade aimé et admiré par tout le peuple. Doté d’une intelligence très grande, d’une culture étendue, sa modestie et sa bravoure ressortait plus encore.
Il dessinait et peignait poussé par une nécessité intérieure. Il écrivait en se laissant porter par son impulsion.
Le dernier témoignage connu donné sur lui se trouve dans un dossier de la revue Polémica [2]. On y apprend qu’une exposition de ses œuvres a eu lieu à Huesca du 25 novembre au 4 décembre 1982, avec plusieurs albums d’esquisses, plus de cinquante dessins, trente tableaux environ et une douzaine de sculptures en plus d’une importante documentation.
Cette exposition, présentée par son petit-fils, Ramón Garcia Acín, propose ses œuvres comme le témoignage de ceux qui, il y a cinquante ans, vivaient, parlaient, luttaient, travaillaient et mouraient ici, à Huesca, dans nos rues, dans nos maisons, et qu’il faut commencer une fois pour toutes à connaître.
Alaiz dit encore plus loin :
L’art d’Acín était personnel. Il n’avait pas de style commercial. Peut-être n’avait-il pas ses jours, mais plutôt ses heures. Il y a des peintres qui travaillent pour le client, pour le modèle, pour le critique ou pour le marchand de tableaux. Acín travaillait pour
recréer, créer à nouveau
et il avait un premier temps dans sa production qui la rendait intouchable.
De même qu’une fleur à moitié éclose ne peut être amenée vers sa floraison naturelle à marche forcée, de même on ne peut précipiter les phases de la lune : les œuvres d’Acín ne pouvaient plus être retouchées, même par lui. Quand il avait peint pendant quelques minutes avec réussite (ce qui n’était pas toujours le cas), il le savourait de façon inattendue et souvent dans la solitude, fée multiple pour Acín. On le comparait aux surréalistes à cause de ses tableaux d’humour comme ce
train
inoubliable qu’il exposa à Barcelone en 1910 dans la salle Dalmau (...).
Les cartons épais, la corde pour emballer, les traverses de bois, le papier kraft, le fer blanc et le zinc prenaient dans ses mains des aspects insoupçonnés. Il n’aimait pas beaucoup travailler les matériaux nobles (l’ivoire, l’or et l’argent) : il disait qu’on ne pouvait pas les tutoyer. C’est avec du métal bon marché qu’il fit
le Garrotté
, œuvre qu’on peut intégrer à ce qu’il y a de plus profond accompli par la main de l’homme. Elle a une valeur de synthèse et des dimensions tragiques qui provoquent à la fois la colère et la stupeur. Tout comme son Christ
qui selon l’auteur a le port d’un bandit avec des bras ouverts pour planter les banderilles sur le taureau. Acín a aussi dessiné des gravures critiquant la tauromachie avec une préférence morale pour le bœuf laboureur, elles sont prodigieuses. Il les a publiées dans une revue de Saragosse appelée Claridad. (...)
Pourquoi ne pas rappeler Floréal revue de Huesca, fondée et animée par Acín et qui comptait parmi les meilleures du mouvement libertaire espagnol ; et la section Florecicas (Fleurettes) qu’il rédigeait et qui était un plaisir pour ses lecteurs.
Comme militant, on sait qu’il fut envoyé par la ville de Huesca à plusieurs congrès de la CNT, en dernier lieu à Saragosse en mai 1936, peu avant le début de la guerre (...)
Comme éducateur, il manifesta son enthousiasme pour une éducation libérée et pour la rénovation pédagogique apparue pendant l’été 1932, quand il contribua avec Herminio Alrnendros et d’autres professeurs à la célébration du premier congrès de l’Ecole Freinet. (...)
Je me souviens de cette agréable rencontre avec Ramón. Il était surtout angoissé par la situation précaire du pays. Il parlait avec enthousiasme de ses voyages de recherche dans les villages des Pyrénées. Il expliquait avec une profonde passion son désir de fonder une école-musée capable de faire revivre l’art aragonais et de rendre au pays son caractère original en insérant dans ses racines la vocation de liberté qui marqua son histoire durant des siècles. Je ne peux oublier le tempérament humaniste de ce révolutionnaire authentique qui d’une façon sûre et respectueuse luttait pour changer les choses et les comportements des hommes, par le bas, et par une éducation fondée surtout sur la coopération et la fraternité des jeunes.
Je me souviens également qu’Acín m’offrit la joie d’apprécier ses tableaux, les personnages qu’il faisait avec des feuillards d’emballages ; il y avait entre autres la figure d’un Christ qui pouvait se transformer en danseuse, des figures en fer, ses céramiques et beaucoup d’autres œuvres qui montraient sa passion de collectionneur et de créateur de formes nouvelles avec des matériaux les plus divers. (...)
Un autre exemple de sa tolérance et de son respect civil me fut donné par Ramón à l’occasion des premières élections législatives de la république (1931). Tirant profit de l’assassinat de Garcia Hernandez et de Fermin Galan, un frère de ce dernier (Francisco) se présenta comme député de la province sur une liste à tendance communiste. Malgré sa parenté avec Fermin, le fait que Francisco Galan était capitaine de la Garde civile déplut tellement aux habitants de certains villages qu’à Penalba, Ontineda, Cansdanos, etc., outre le fait qu’on ne le laissa pas parler, on lui lança des pierres. Ayant appris cela, Ramón s’empressa de me demander (j’étais alors le secrétaire provincial de la CNT) de faire tout mon possible pour éviter de tels excès puisque la CNT ne pouvait au nom de la liberté empêcher quelqu’un d’exprimer librement ses opinions.
[3].
Il est mort debout comme le légendaire Enjolras...
On peut consulter également les témoignages de :
Félix Carrasquer dans Polémica voir ci-dessus.
Manuel Buenacasa (militant et un des premiers historiens de l’ anarchosyndicalisme espagnol) dans El Movimiento obrero espanol, Paris, 1966 Edition de la CNT, (p. 238, 241).
Sol Acín, Zimbel, Barbastro, n°7-8, septembre 1983.
Francisco Ponzan dans Nuevo Aragon, 1937. Ce guérillero, puis maquisard, fut fusillé par les nazis et décoré à titre posthume par les Anglais et les Américains. Voir à ce sujet Facerias, d’Antonio Tellez.
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