Mollie Steimer est morte le 23 juillet 1980 d’une crise cardiaque, dans sa maison de Cuernavaca (Mexique).
Mollie faisait partie de ces derniers anarchistes du temps passé, de ce monde des exilés politiques du Mexique, dont on pourrait citer les noms de Léon Trotsky, Victor Serge, ou encore Jacob Abrams. La réputation de Mollie Steimer était internationale.
Née le 21 novembre 1897, dans le village de Dunaevstky (au sud-ouest de la Russie), Mollie émigra aux USA avec ses parents et ses cinq frères et sœurs en 1913. Arrivée à New York à l’âge de quinze ans, elle travailla dans une usine de confection pour aider sa famille. Elle commence alors à lire des ouvrages politiques et découvrit bientôt Bakounine, Kropotkine et Emma Goldman. Vers 1917, Mollie devient anarchiste.
Lorsque la révolution russe éclate, elle se lance à corps perdu dans l’activité de propagande et rejoint un groupe de jeunes anarchistes regroupés autour du journal yiddish clandestin : der Shturem (l’Orage). Malgré d’éternelles dissensions, le groupe parvient à s’organiser et crée alors un nouveau journal, Frayhayt (Liberté), dont la devise est inspirée de Thoreau : Yene regirung iz di beste, velkhe reqirt in gantsn nit
. (Le meilleur des gouvernements est celui qui ne gouverne pas). En tant que collectif, le groupe édite et distribue son journal clandestinement, pour la bonne raison que le gouvernement fédéral l’interdit, en particulier à cause de son opposition à « l’effort de guerre américain », et de son orientation pro-soviétique. Il proclame entre autres en première page Der ayntsiger gerekhter krig is di sotsiale revolutsie
. (La seule guerre juste, c’est la révolution Sociale). Le groupe imprimait le journal à la main, le pliait et le distribuait en pleine nuit dans les boites aux lettres de la ville. Les autorités locale et fédérale furent bien vite au courant de ces activités, mais ne pouvaient les empêcher, jusqu’à ce qu’un événement intervienne...
Cet événement, c’est l’arrivée de troupes américaines en Russie au printemps et en été 1918. Le groupe Frayhayt voit dans cet événement, une manœuvre contre-révolutionnaire et s’y attaque par des tracts rédigés en yiddish et en anglais qui appellent à la grève générale les travailleurs américains. Chacun de ces deux tracts était imprimé à cinq mille exemplaires. La police investit les locaux de la 104e rue et saccage l’appartement, alors que Abrams et Schwartz sont arrêtés et sauvagement passés à tabac. Finalement, Schwartz, Abrams, Lachowsky, Lipman et Mollie Steimer sont interpellés pour violation de l’Espionage Act (décret contre l’espionnage) qui vient d’être voté par le Congrès.
L’affaire constitue un symbole de la répression des libertés civiles aux États-Unis ; ce fut la première persécution importante perpétuée sous le couvert de l’Espionage Act. Ce fut une des violations les plus flagrantes des droits constitutionnels de cette période où régnait la psychose du « péril rouge » après la Première Guerre mondiale.
Avant la conclusion du procès d’octobre 1918, Mollie Steimer prononça un discours violent et brillant dans lequel elle expliquait ses idées politiques : Par anarchisme, déclarait-elle, j’entends un nouvel ordre social, où personne n’aurait le pouvoir, où personne ne serait gouverné par autrui. La liberté individuelle prévaudra au sens propre du terme. La propriété privée sera abolie. Chaque personne aura véritablement la possibilité de se développer elle-même, à la fois physiquement et moralement. Nous n’aurons plus à nous battre pour notre existence quotidienne comme nous le faisons à l’heure actuelle. Personne ne vivra sur le produit de l’autre ; chacun produira selon ses moyens et ses besoins. Au lieu de suer sang et eau pour gagner de l’argent, nous travaillerons pour l’éducation et la connaissance. Alors qu’aujourd’hui les peuples du monde entier sont divisés en groupes différents, que l’on appelle nations, alors que les nations se défient mutuellement, nous, les travailleurs du monde entier, nous nous tendrons les mains d’un amour fraternel. Pour l’accomplissement de ce dessein, je jetterai toutes mes forces, et s’il le faut, donnerai ma vie
.
Le juge Clayton condamne malgré tout les trois hommes à vingt ans d’emprisonnement et à payer une amende de mille dollars. Mollie, elle, est condamnée à quinze ans d’emprisonnement et à cinq cents dollars d’amende. Ayant fait appel, les quatre anarchistes sont alors libérés sous caution en attendant le résultat de l’appel. Mollie reprend aussitôt ses activités. Aussi, est-elle constamment harcelée par les autorités : elle est arrêtée huit fois en onze mois, gardée à vue, relâchée, de nouveau arrêtée, parfois sans aucune charge contre elle. A la fin de 1919, Mollie profite du retour d’Emma Goldman à New York, après deux années au pénitencier de Jefferson, pour lui rendre visite. C’est le début d’une amitié qui durera toute sa vie. Mollie Steimer était, pour Emma, le type même de la révolutionnaire russe sous le règne du Tsar : honnête, simple et idéaliste, qui sacrifiait sa vie avant même d’avoir commencé à la vivre
. Emma la décrit comme une femme minuscule à l’allure étrange, qui avait la taille et les traits d’une Japonaise
. Emma Goldman ajoutait : Elle a une volonté de fer et un cœur tendre, mais des idées arrêtées. C’est une sorte d’Alexandre Berkman en jupons
.
La cour suprême appuya la première condamnation de Mollie et de ses camarades... Deux avocats, Louis Brandeis et Olivier Wendell Holmes déclarèrent alors : Des sentences de vingt années d’emprisonnement ont été infligées pour la publication de ces deux tracts que les accusés avaient autant le droit de publier que le gouvernement en avait le droit pour la Constitution des États-Unis.
En avril 1920, Mollie est transférée au pénitencier de Jefferson (Missouri) où Emma Goldman avait été détenue avant son exil avec Berkman en décembre 1919. Mollie y restera dix-huit mois. Depuis son procès, sa vie est marquée par le malheur : son frère est mort de maladie et son père décède à la suite du chagrin que lui a causé l’emprisonnement de Mollie. Pourtant, elle se refuse au désespoir et ses convictions en sont fortifiées. Weinberger, leur avoué, s’efforce d’obtenir, avec l’aide du Comité de libération et de défense des prisonniers politiques, leur libération et leur exil en Russie. Abrams et Lipman sont d’accord, mais Lachowsky et Mollie Steimer y sont par principe opposés. Jacob Abrams, exaspéré par son entêtement, confie à Weinberger : Tu dois l’approcher comme un bon chrétien, avec une bible de Kropotkine ou de Bakounine. Autrement, tu ne réussiras pas !
Finalement, Weinberger obtient gain de cause et les quatre prisonniers sont relâchés à condition qu’ils quittent définitivement les États-Unis pour l’URSS... et qu’ils payent leur voyage.