En novembre 1891, un étudiant, blanquiste et très révolutionnaire, Jules-Louis Breton, qui plus tard entra au Parlement, fit distribuer un manifeste pour appeler la jeunesse des écoles à fonder un groupe socialiste. On se réunit d’abord chez Breton, puis dans une bibliothèque fouriériste de la rue Mouffetard. Grâce à l’énergie du roumain, Georges Diamandy, le groupe se déclara internationaliste, ce qui écarta de lui un tas de jeunes radicaillons, vaguement socialisants et trop férus de politicaillerie. Grâce à la ténacité de Breton on ajouta au titre l’étiquette révolutionnaire. Et ainsi fut créé, en décembre 1891, le premier groupe socialiste d’étudiants, celui des étudiants socialistes révolutionnaires internationalistes de Paris (ESRI).
Réunion de jeunes gens, ayant chacun leurs habitudes, leurs traditions, les préjugés imposés par l’éducation, par l’instruction officielle, par le milieu familial et social, mais ayant un idéalisme, mais avides de connaître, ne redoutant pas les hypothèses les plus audacieuses, se lançant dans des discussions passionnées qui peu à peu aboutissaient à démolir les traditions, à saper les préjugés, à changer les habitudes. Mais les membres du groupe n’avaient pas pour but de passer leur temps à faire de l’esprit et à cultiver le paradoxe. Ils avaient un idéalisme et ils cherchaient à le confirmer. On se mit immédiatement au travail sous la direction intellectuelle et morale des camarades plus âgés, Alfred Bonnet, Suffren Raymond, Georges Diamandy, qui avaient quatre ou cinq ans de plus que les autres et qui avaient déjà étudié les théories socialistes. La première année fut consacrée à la revue rapide des systèmes socialistes antérieurs et à une étude longue et précise du Capital de Karl Marx [1]. Les discussions furent toujours sérieuses. On prit le goût et l’habitude de la méthode, de la critique rationnelle, de la recherche de la vérité.
Au noyau du début, Bonnet, Breton, Chapoutot, Diamandy, Lorcin, Mouchette, Neuville, Pierrot, Suffren Raymond, Rémy, Thiercelin, Léon Thivier, Ygouf, Zévaès, Zimmer et d’autres dont j’ai oublié le nom, s’adjoignirent rapidement Attal, Ameline, Ducroquet, Julien, Lapie qui ne fit que passer, Métin, d’autres encore, des étudiants roumains, des étudiants russes (dont la colonie était alors vivante et nombreuse à cause des persécutions tsaristes) et des étudiantes de même nationalité. La presque unanimité des étudiantes à cette époque étaient étrangères. Les préjugés de la bourgeoisie française s’opposaient à ce que les jeunes filles entrassent à l’Université ; c’eût été pour elles la déchéance. Parmi les cinq ou six étudiantes qui entrèrent au groupe, il y eut Marie Goldsmith et son amie Roubanovitch.
Notre effort était de nous instruire nous-mêmes et d’aider à l’émancipation des travailleurs. Il nous paraissait qu’il était de la discrétion la plus élémentaire de laisser ceux-ci discuter eux-mêmes leurs intérêts et choisir parmi eux leurs représentants. Nous pensions que nous devions rester en dehors des luttes politiques et surtout ne pas nous offrir comme candidats dans les luttes électorales. Cette décision ne fut pas du goût de tous, et à la fin de 1892, Zévaès et Thiercelin quittaient le groupe pour fonder relui des étudiants collectivistes, adhèrent an parti guesdiste, dans le dessein de prendre part aux campagnes politiciennes.
Nous avions plus de sympathie pour l’action ouvrière proprement dite. A ce moment, il n’y avait que les syndicats allemanistes qui menassent une action autonome et véritablement prolétarienne. Plusieurs d’entre nous avaient des relations d’amitié avec Jean Allemane ; un peu plus tard, grâce à l’intermédiaire d’Hamon, nous nous liâmes avec Fernand Pelloutier, aussitôt que celui-ci vint à Paris. D’autre part Métin et Remy, au retour de leur année de service militaire, mettaient leur influence à pousser le groupe vers l’anarchie. Nous entrions en rapport avec Grave, et nous retrouvions aux Temps Nouveaux, Paul Delesalle que nous connaissions depuis 1892.
Cependant le groupe ne s’était inféodé à aucun parti, à aucune secte. I1 continuait à recruter des membres aux tendances diverses, des marxistes libéraux comme Schumacher (russe), Arndt (allemand), ou des anti-social-démocrates comme Cornelissen. Il s’élargissait en englobant une partie des membres de la Ligue démocratique des écoles (Marchand, E. Milhaud, Bon, etc.) et même en recevant l’adhésion des étudiants collectivistes qui vinrent à ses séances pendant quelques mois.
Les opinions des ESRI apparaissent dans les brochures que le groupe publia successivement de 1894 à 1901 : Le Socialisme et les étudiants, Pourquoi nous sommes internationalistes, Les révolutionnaires au congrès de Londres, Réformes et révolution, L’individu et le communisme, Misère et mortalité, Comment l’État enseigne la morale, Les anarchistes et les syndicats, La scission socialiste, Le tolstoïsme et l’anarchie, Coopératisme et néo-coopératisme, Le communisme et l’anarchie, La grève générale. Elles étaient l’œuvre d’une commission et discutées chapitre par chapitre au cours des séances publiques. Cette commission comprenait de 6 à 12 membres. Leur collaboration fut tellement enchevêtrée dans certaines brochures qu’il me serait impossible de dire aujourd’hui quelle fut la part de chacun. La vie du groupe se réduisit peu à peu à l’activité de la commission, dont les membres, sauf un noyau permanent, ne furent pas toujours exactement les mêmes outre un camarade devenu professeur de faculté, que je ne puis nommer ici, les plus jeunes associés furent Crémieu et Jacoubet.
Le mérite du groupe fut d’avoir aidé à dégager les principes du syndicalisme révolutionnaire, au moment même où celui-ci naissait et se développait, et d’avoir devancé les théoriciens purs qui foisonnèrent par la suite. Au lieu de la diplomatie des réformistes, nous pensions que l’action avait sinon plus de résultats immédiats, du moins une vertu éducative. L’étude du mouvement ouvrier avait détourné le groupe, à partir de 1896, de la jeunesse des écoles. Il appelait les travailleurs à ses discussions, et c’est ainsi que Delesalle et d’autres nous apportèrent leur collaboration.
La part de Marie Goldsmith, la seule de nos camarades femmes qui était demeurée au groupe, fut peu considérable dans les premières brochures. Elle devint de plus en plus grande au fur et à mesure que le groupe se resserra, surtout à partir de la septième brochure. Le comité de rédaction prit l’habitude de se réunir chez elle. Elle intervenait pour remettre ordre et clarté dans la discussion lorsque celle-ci devenait confuse et commençait à s’embrouiller. Ce furent son influence et celle de Remy qui orientèrent définitivement l’activité du groupe vers l’anarchisme. D’ailleurs le groupe déclinait. Les camarades peu à peu s’en allaient pour prendre un poste ou pour s’établir soit en province, soit aux colonies ; d’autres étaient retournés à l’étranger. Beaucoup se mariaient. Tous étaient pris par la nécessité de gagner leur existence. Le groupe disparut en 1901.
J’ai raconté la vie du groupe parce que la vie de Goldsmith se confondit en grande partie avec elle. J’ai éprouvé par expérience que la vie collective donne d’aussi belles émotions, d’aussi fortes satisfactions et qu’elle offre plus d’ampleur et plus de sécurité que la vie individuelle trop souvent confinée à un égoïsme mesquin et faussée par une vanité ridicule. En tout cas notre vie collective nous a servi à fonder notre psychologie morale et notre philosophie sociale sur des données réfléchies ; elle ne nous a pas empêchés de conserver notre personnalité.
La vie collective aide au développement des individus à condition que ceux-ci ne s’enferment pas dans un seul groupe et qu’ils aient en dehors de lui d’autres activités, à condition par exemple qu’ils participent à une activité professionnelle, à d’autres groupes encore (artistiques, etc.), qu’ils aient une vie familiale. A ce point de vue la famille, la famille vivante avec les préoccupations que donne l’éducation des enfants, a son utilité contre la tendance à ne voir les faits sociaux que d’après des formules théoriques. Par contre, l’égoïsme familial fait perdre de vue la vie sociale et méconnaître la solidarité humaine.
En dehors du groupe des ESRI, Goldsmith fréquentait les milieux révolutionnaires russes, multiples et divers à cette époque. Le vieux Lavrof, par sa présence même à Paris (il habitait rue Saint-Jacques), avait sur eux la plus grande influence. Les tendances du socialisme révolutionnaire prédominaient. Dans un pays essentiellement agricole et pour ainsi dire sans industrie, la révolution agraire paraissait la première chose à organiser. Quelques étudiants russes se réclamaient de Plekhanof, la bête noire des anarchistes, et faisaient bande à part. Pour eux, la révolution, la vraie révolution, c’était la révolution marxiste, paradoxale dans un pays où les ouvriers industriels et prolétarisés étaient en infime minorité. Le fatalisme du matérialisme économique aboutissait, tout au moins dans l’esprit de quelques-uns, à attendre le développement du stade capitaliste. Chez les autres on voyait poindre la théorie de la dictature du prolétariat. Pour ces fanatiques, ignorants de la vie sociale, la dialectique hégélienne servait à connaître et à explique tous les faits économiques et sociaux, comme si ces phénomènes devaient obéir à une règle scolastique.
Goldsmith, fréquentait chez Lavrof. Elle y fit connaissance de Simon Rappoport, que nous eûmes comme ami commun, Simon Rappoport, le noir, un original et le meilleur des hommes. Il ne faut pas le confondre avec son homonyme, Charles Rappoport, le blond, que nous connûmes, lui, au groupe des ESRI, où il vint vers 1896 bavarder inlassablement. Simon, qui vécut toujours en bohème charitable, était sous le pseudonyme d’Ansky, un écrivain de talent et faisait revivre en langue yiddish le folklore juif. Il mourut extrêmement pauvre, sans avoir la joie de voir représenter son œuvre, le Dybbouk, qui fit au théâtre une carrière triomphale. Des nationalistes juifs ont prétendu s’emparer d’Ansky et sans scrupules faire un des leurs de ce révolutionnaire impénitent. Les morts ont toujours bon dos.
Ce fut probablement au Congrès international socialiste de Londres en 1896 que Goldsmith fit la connaissance de Kropotkine, comme c’est là aussi qu’elle se lia avec Cornelissen, Hamon, Tcherkesoff et quelques autres. A partie de ce moment Kropotkine eut la plus grande influence sur ses idées et dirigea ses tendances révolutionnaires. En correspondance constante avec lui, elle fut son disciple le plus fidèle et le plus cher. Toute son activité sociale fut dès lors dirigée vers la propagande anarchiste. Elle fut en rapports d’amitié avec Nettlau, avec Brupbacher, avec Paul Reclus, avec Dave, avec le docteur et Madame Zielinski, avec tant d’autres, dont je ne puis ici publier les noms, et qui ont eu pour elle les sentiments les plus affectueux.
Elle collabora aux Temps Nouveaux, d’une façon suivie, donnant des traductions, des correspondances de journaux étrangers et aussi des articles originaux sous les pseudonymes de M. Corn et d’Isidine. Si je me souviens bien, notre collaboration au journal commença en même temps et d’une façon régulière. C’était au temps des événements de Crète, alors que la population chrétienne s’était soulevée contre la domination turque. Kropotkine ou Tcherkesoff avait pris parti pour la libération des Crétois. Après une conversation avec Goldsmith et Remy, j’écrivis un article pour déclarer que ce soulèvement devait nous laisser à peu près indifférent, puisque d’après les nouvelles, la population chrétienne s’était mise à massacrer la population musulmane et à la dépouiller de ses biens, que les habitants musulmans, en forte minorité, avaient bien, eux aussi, le droit de vivre, et que la solution de la question crétoise n’était pas dans un changement de gouvernement et dans l’instauration d’une nouvelle tyrannie s’exerçant sur l’autre partie de la population. A quoi Kropotkine répondit que sans prendre le point de vue patriotique des nationalismes, il fallait envisager l’évolution de l’humanité et que la civilisation occidentale avec ses défauts était infiniment préférable à la routine et à la stagnation sous une tyrannie turque dont il était impossible d’espérer le changement. En somme donner leurs chances au progrès et à la liberté. Je suis bien sûr de déformer l’argumentation de Kropotkine, je n’ai pas sa réponse sous les yeux. Mais telle est l’interprétation qui m’est restée dans l’esprit. Et c’est le même point de vue auquel Kropotkine devait se placer en 1914 et en 1916, non pas celui du patriotisme et du nationalisme, mais celui de la civilisation : féodale et militariste ou démocratique et libérale. Il disait que la victoire des empires centraux serait l’affermissement de la féodalité militaire et la persistance ou la restauration du principe monarchique. J’avais complètement oublié la polémique crétoise ; c’est Goldsmith qui m’en a fait souvenir et qui proposait dernièrement d’en publier des extraits pour éclairer le point de vue du manifeste des Seize. A ce propos elle-même a donné dans, le n° 44 de Plus Loin (novembre 1918) sous la signature d’Isidine un article qui à mon avis clôt définitivement le débat.
Aux Temps Nouveaux nous continuâmes un travail d’édition de brochures avec Paul Delesalle. Puis, après le passage d’Amédée Dunois, ou peut-être pendant son secrétariat, fut créé un groupe d’amis des Temps Nouveaux avec Desplanques (qui succéda à Dunois comme secrétaire de rédaction), James Guillaume, Manette, André Girard, Ch. Benoît (qui. s’occupa spécialement de l’édition des brochures), etc. Monatte, pris par son journal, La Vie Ouvrière, ne resta pas très longtemps. Mais sous l’impulsion de Guérin, il y eut des réunions assez suivies qui se tinrent jusqu’à la guerre, à peu près tous les quinze jours, et ou Goldsmith assista assez régulièrement.
En 1910, Guérin ressuscita les Temps Nouveaux (édition d’après guerre) avec Goldsmith au comité de rédaction. Puis, après la scission avec Jean Grave, Plus Loin apparaissait en mars 1925. Goldsmith faisait partie du groupe fondateur avec Desplanques, Cornelissen, David, Dooghe, Kermabon, Bertrand, Jacques et Paul Reclus, Tcherkesoff, etc. Elle prit part aux réunions du comité de rédaction jusqu’au jour où l’affaiblissement progressif de sa mère ne lui permit pas de la laisser seule et de s’absenter le soir. Mais elle envoyait de la copie, et son dernier article « A travers notre presse » a paru dans le n° 93 (janvier 1933).
En même temps son logis était le centre de réunions amicales et vivantes avec tant et tant de révolutionnaires russes, dont je ne peux donner ici les noms. Et elle faisait un travail considérable de collaboration et de correspondances au profit des publications étrangères d’avant-garde. C’est à elle que Kropotkine confia la traduction française de l’Éthique. Elle avait même espéré pouvoir en donner la deuxième partie avec les notes éparses qu’il avait laissées.
Enfin elle avait une activité scientifique. Docteur ès-sciences, elle était devenue la secrétaire et la collaboratrice d’Yves Delage avec qui elle écrivit deux ouvrages : Les théories de l’évolution et La Parthénogénèse naturelle et expérimentale. Surtout elle faisait avec lui l’Année biologique, dont elle fut l’un des deux secrétaires depuis 1902, le seul secrétaire depuis 1919 et en réalité la véritable cheville ouvrière. Ce fut l’époque la plus heureuse de sa vie, une époque de travail fécond dans la sécurité. Delage, devenu aveugle, se confiait entièrement à elle. Si modeste qu’elle fût, il en résulta contre elle de terribles jalousies, à la fois des adversaires de l’école de Delage et de beaucoup d’élèves même de celui-ci, ces derniers étant furieux de la confiance à peu près exclusive que lui accordait Delage. Elle la méritait et ne pouvait certes porter ombrage à personne. Ce n’en fut pas moins sur son dos que s’établit la réconciliation apparente des adversaires et des amis de Delage, à la mort de celui-ci. Elle lui avait servi, intellectuellement et un peu matériellement de chien d’aveugle. Il ne la récompensa même pas en la dirigeant, comme il eût dû le faire, vers une situation officielle, et, pauvre et chargé de famille, il ne la récompensa pas non plus autrement de façon sensible. C’était un illuminé. Mais la pauvre Goldsmith fut par trop dépourvue de sens pratique. Elle était réfractaire à la naturalisation, sans laquelle elle était condamnée, dans le milieu où elle vivait, à la misère, puisqu’elle n’y pouvait avoir de situation officielle sans être française. Delage aurait pût le lui dire
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En tout cas elle fut évincée de l’Année biologique, où la fonction de secrétaire n’était pourtant pas une situation officielle. Elle continue ses travaux dans des laboratoires successifs et dans des conditions assez précaires. Partout où elle passa, elle s’effaça trop ; elle y vivait trop isolée et trop à l’écart des travaux qui s’y faisaient ; cette réserve était méchamment jugée et elle acheva de lui faire tort
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En 1927, elle publiait néanmoins chez Costes, La psychologie comparée (in-12°, p. 344) où elle passe en revue dans la série animale, les tropismes, les réflexes, les instincts, l’établissement des associations qui sont la source de la mémoire et de tous les processus intellectuels supérieurs.
Dans cet ouvrage et dans Les théories de l’évolution, Goldsmith fait une sorte de synthèse philosophique, faisant la revue et la critique des théories émises sur l’un et l’autre sujet. Comme ouvrages de recherches personnelles, j’ai déjà cité La Parthénogenèse, en collaboration, il est vrai, avec Delage, mais où sa contribution est énorme. Enfin sa thèse de doctorat étudie les Réactions physiologiques et psychiques des poissons. Je crois intéressant de reproduire ce passage de la première page :
ll y a peu de temps encore, la psychologie, spéculative comme la philosophie elle-même, appartenait à ce titre au domaine des lettres et non à celui des sciences de la nature. Cependant la théorie de l’évolution, et aussi le matérialisme philosophique du milieu du XIXe siècle, lui indiquaient déjà une autre voie ; la pensée d’Auguste Comte, qui dans la Politique positive prévoit la création d’une psychologie comparée, basée sur l’étude du système nerveux, avait même précédé ces doctrines, mais sans avoir trouvé l’écho à son époque. La psychologie fermement attachée aux anciennes traditions de la pensée, n’a pris la nouvelle orientation que lentement, et jusqu’à l’heure actuelle encore elle n’est pas entièrement devenue une science basée sur l’observation et l’expérimentation
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Le but de M. Goldsmith est de contribuer de faire progresser la psychologie en tant que science expérimentale, et pour cela elle a poursuivi des recherches sur le psychisme des animaux ; ce sont des observations sur les poissons, faites à la station biologique de Roscoff, qui lui en ont fourni les matériaux. Les associations que peut fournir un cerveau de poisson sont très éloignées des nôtres, mais c’est quelque chose d’où les véritables associations sont nées plus tard au cours de l’évolution
(p. 128). Telle est l’une des conclusions du travail de Goldsmith. Elle est fort importante. Mais Goldsmith, qui avait été accaparée par Delage, n’avait plus à sa disposition de laboratoire où elle eût ses coudées franches ; les travaux originaux lui étaient fort difficiles. D’autre part sa spécialité, la Psychologie expérimentale, était le fief d’une camarilla, celle-là même qui l’a débarquée de l’année biologique.
Après la mort de Kropotkine et de Delage, qui disparurent à peu de distance l’un de l’autre, Goldsmith se trouva dépourvue des soutiens moraux sur lesquels elle avait pris l’habitude de s’appuyer. La vieillesse arrivait, une vieillesse sans aucune sécurité, avec un seul refuge affectif, celui d’une mère qui s’éteignait lentement. Depuis deux mois, Goldsmith n’osait plus prendre la moindre liberté, même dans la journée, elle ne sortait plus du tout, elle avait abandonné ses travaux de laboratoire. Lorsque sa mère mourut à 83 ans dans la nuit du 8 au 9 janvier, elle s’empoisonna pour ne pas lui survivre.