Accueil > Editions & Publications > Cahiers de l’humanisme libertaire > Cahiers de l’humanisme libertaire n°124 - Juin 1966 > Helmut Rüdiger

Helmut Rüdiger

mardi 19 novembre 2024, par Gaston Leval (CC by-nc-sa)

Cahiers de l’humanisme libertaire n°124 - Juin 1966

La nouvelle, en soi, n’était pas absolument surprenante. J’avais bien vu que sa santé laissait plus qu’à désirer. Lors de sa dernière visite, pendant son séjour à Paris, où il était venu pour apporter une aide matérielle au mouvement libertaire espagnol, nous avions, ma compagne et moi, eu l’impression qu’une grave maladie le rongeait. Et, bien qu’il se soignait, les symptômes et les manifestations qu’il nous décrivait faisaient craindre ce qui est arrivé.

Arrivé dramatiquement. Car c’est dans une chambre d’hôtel de Madrid, ville où il était allé pour organiser des éléments de combat nécessaires à la résurrection du mouvement libertaire dans la période d’après franquisme que nous espérons prochaine, qu’il est mort, isolé et que son cadavre a été découvert trois jours après qu’il eut cessé de vivre. Pauvre Rüdiger ! qui disait à un de nos amis, avant de repartir pour Stockholm où il résidait et militait, qu’il ne voudrait pas mourir dans un autre pays que l’Espagne. Hélas, il a été exaucé.

Car il était de ces hommes avec lesquels le militant international éprouve la fraternité née de l’identité du combat qu’ils mènent ou ont mené. Jeune militant anarchiste quand Hitler triompha en Allemagne, il émigra de son pays et arriva en Espagne où il prit une participation active au mouvement puissant et torrentueux de la C.N.T. et de la F.A.I. Pendant la Révolution il donna tout ce que ses forces lui permettaient de donner, avec l’intelligence et l’esprit lucide qui lui étaient propres.

Sans rien perdre de son esprit critique, il admira les réalisations des collectivités agraires et des usines socialisées, il connut l’exaltation que causait la viabilité de nos idées. Et malgré le drame de la défaite, et peut-être même en partie à cause de ce drame, il resta à jamais attaché à l’Espagne, à ce pays qui avait écrit une épopée, et su se battre héroïquement contre la conquête franquiste, alors qu’en Allemagne les forces antihitlériennes n’avaient pas su engager le combat.

Après la déroute, il alla résider en Suède, et par sa valeur intellectuelle, son dévouement, son sens de l’organisation, son expérience, devint bientôt la figure de proue du mouvement libertaire suédois. Il dirigea Arbetaren, le seul quotidien libertaire qui existait au monde, et continua de diriger ce journal quand il fallut se résoudre à le transformer en hebdomadaire. Mais par la haute tenue intellectuelle qu’il lui donna, il en fit un porte-parole très écouté dans les milieux intellectuels libres du pays.

Il était, de plus, un des piliers de la S.A.C., organisation syndicale libertaire qui, justement, me disait-il lors de sa dernière visite, était en train de gagner d’assez nombreux adhérents.

Cela ne l’empêchait pas de se préoccuper continuellement de l’aide à apporter au mouvement espagnol. Grâce à lui, l’organisation suédoise a fourni aux activités constructives et clandestines d’Espagne une aide substantielle, et nous étions convenus d’efforts convergents. Je devais écrire certaines études qu’il intégrerait dans les projets éditoriaux qu’il envisageait. Le 2 juin il m’écrivait encore : Merci pour ton original, je t’écrirai quelques lignes plus tard. Mais il ne m’a pas écrit, il ne m’écrira plus. Ma compagne et moi, et tous ceux qui parmi nous l’ont connu, conservons le souvenir de sa simplicité souriante, de sa gentillesse, de la mesure avec laquelle il examinait les choses, de son sens pratique et de sa volonté toujours égale dans la lutte pour un meilleur avenir humain.

Il n’avait qu’une soixantaine d’années.

Nous avons perdu une valeur internationale comme il y en a peu.