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Cahier d’un milicien dans les rangs de la CNT-FAI [05]

mardi 28 mars 2023, par Albert Minnig (CC by-nc-sa)

Le Réveil anarchiste N°985 – 6 Novembre 1937

Le lendemain, un milicien apporte des ordres, il faut partir d’un autre côté. Des fusiliers restent, tandis que nous partons avec les mitrailleuses et nous arrivons à la Colonne Rouge et Noire, qui est à environ deux kilomètres d’Almudevar, jolie ville de 15 000 habitants, bâtie sur une montagne qui domine une large plaine, où il serait dangereux d’y pénétrer. Nous faisons, avec un délégué, une tournée de reconnaissance afin de pouvoir trouver un emplacement favorable pour une bonne défense, ayant constaté plusieurs mouvements de troupes.

Pendant la nuit, nous travaillons, autant que nos forces nous le permettent. Au matin, un bon parapet est construit et nous passons la journée à dormir. La nuit suivante, nous creusons une tranchée d’une vingtaine de mètres de chaque côté du parapet. Nous sommes très bien retranchés, mais l’artillerie ennemie qui a vu nos allées et venues, bombarde au petit hasard, sans toucher notre petite fortification qui est d’ailleurs invisible à plus de 300 mètres. Plusieurs fois l’aviation fasciste se montre, semble chercher, mais ne trouve rien et lâche ses bombes sur les maisons des environs. Notre aviation vient aussi chaque jour et bombarde les positions fascistes autour de la ville. Elle ne peut pas rester bien longtemps, car les fascistes ont des canons anti-aériens et tirent avec beaucoup de précision. C’est pour nous beaucoup d’émotion chaque fois qu’un petit ballon de fumée blanche marque l’éclatement d’un obus, mais les pilotes sont très habiles et savent toujours à temps se garer et se disperser.

Le lendemain, l’aviation fasciste semble bien décidée et fonce droit sur nous, lâchant plusieurs bombes qui tombent à une centaine de mètres, et poursuit sa route dans la direction de Huesca. A peine a-t-elle disparu que nos avions apparaissent et prennent la direction de Huesca. Nous pensons qu’il pourrait bien y avoir bagarre entre eux et nous faisons des souhaits de bonne réussite pour nos braves aviateurs qui n’ont pas des avions de première qualité. Le bruit des moteurs se rapproche rapidement et nous voyons deux bimoteurs fascistes qui arrivent à toute vitesse et à faible hauteur. Trois de nos avions de chasse les poursuivent en les dominant, les mitrailleuses crépitent sans arrêt, mais nous craignons qu’ils soient pris de vitesse.

Tout à coup, un avion fasciste vacille, se retourne, pique une tête et comme une flèche va se planter en terre. Une grande flamme jaillit, en même temps qu’une formidable explosion parvient jusqu’à nous. La course se poursuit, mais nos avions moins rapides ont perdu du terrain et l’autre atterrit près d’Almudevar. Des camarades qui l’ont suivi avec la lunette annoncent qu’il a capoté à l’atterrissage, et notre joie est grande. Ce sera toujours deux qui ne nous bombarderont plus. Deux jours passent tranquillement, le calme régnant sur tout le front, et nous goûtons un repos bien mérité.

Comme nous manquons d’habits, nous décidons d’aller à deux en chercher au Comité pour toute la section. A peine arrivés, le capitaine nous fait part d’un projet d’attaque pour la nuit. Il s’agit de couper la voie du chemin de fer Huesca-Saragosse et la route Huesca-Jaca, que nos camarades peu nombreux ont dû abandonner aux fascistes, qui les avaient attaquée avec des tanks. Mes camarades qui ont été avertis arrivent et nous les mettons an courant. Chacun est satisfait et fait ses préparatifs. Nous chargeons les mitrailleuses et la munition sur des mulets et comme il fait déjà nuit, nous partons dans la direction de Huesca. Nous arrivons sur la grande route de Huesca-Saragosse, que nous suivons pendant une bonne heure. La pluie commence tomber et nous rafraîchit un peu, mais gêne la marche. Il faut quitter la route, nous partons à travers champs et il est recommandé de ne plus causer et fumer, si nous ne voulons pas éveiller des soupçons chez les fascistes. La nuit est noire et nous buttons les moindres obstacles. Les arbres apparaissent subitement, devant nous comme des fantômes. Un avertissement passe de bouche en bouche, nous sommes à 300 mètres et il faut faire le moins de bruit possible.

Chacun s’applique à étouffer se pas, tandis qu’un mulet pousse un braillement que l’écho répète longuement, et notre cœur se serre à la pensée que l’on peut être découverts. Heureusement il n’en est rien et nous continuons à avancer doucement. Une odeur cadavérique règne, car nous passons à côté de plusieurs cadavres de chevaux. Enfin nous voyons, à environ 50 mètres, une très grande construction toute blanche, que nous appelons tout de suite la Casa Blanca. Seule la ligne du chemin de fer nous en sépare et nous la passons sans être vus.

Nous pénétrons, avec les mulets, dans la maison qui a déjà été touchée par les obus. Nous déchargeons tout le matériel et enfermons les bêtes dans une écurie. La pluie semble ne plus vouloir s’arrêter et tous les hommes (450) viennent s’abriter dans la maison. Il est impossible de renvoyer l’attaque, car nous sommes à peine à cent mètres et la nuit est déjà bien avancée.

Nous sortons dans la nuit sombre et après s’être approchés avec beaucoup de précautions d’un petit bosquet d’oliviers, nous rampons des uns après les autres jusqu’à un petit talus, où nous nous échelonnerons, prêts à partir à l’attaque aux premières lueurs du jour.

Huesca (1936). @libertame_

Nous plaçons les mitrailleuse aussi bien que possible. Le capitaine qui a soi-disant organisé l’attaque me demande de pointer sur un parapet que nous devinons dans l’obscurité et de faire feu au premier signal. Il repart en disant que l’attaque sera lancée par la droite, pendant que notre feu obligera les fascistes à rester terrés dans leurs trous. Un groupe de bombardiers, pour la plupart Italiens, arrivent et demandent si nous avons des ordres pour eux. Malheureusement, le capitaine est déjà loin et deux de leurs camarades partent à sa recherche, mais reviennent désolés de n’avoir pu le trouver.

Le jour commence à pointer et je rectifie ma direction de tir sur le parapet qui est à peine à 80 mètres. Il est déjà trop tard pour que les bombardiers puissent aller à proximité des fascistes pour lancer les bombes dans leurs refuges. Tout à coup, un fusil-mitrailleur crépite, c’est le signal convenu et je commence à tirer, étonné de ce changement de tactique. Les parapets fascistes sont balayés par les rafales de ma mitrailleuse et c’est à peine si quelques balles ennemies sifflent à nos oreilles. Il serait temps pour que la droite opère son mouvement, mais personne ne bouge et je préfère cesser le feu que de brûler inutilement notre munition.

Les fascistes profitent alors pour reprendre leur sang-froid et c’est une grêle de balles qui tombent de tous côtés. Nous sommes dans une bien triste situation, mais nous espérons la venue de l’aviation pour reprendre la direction de l’attaque. Les heures passent lentement et la munition diminue, car nous sommes obligés de tirer de temps en temps pour freiner l’ardeur des fascistes et redonner du courage à ceux qui sont émotionnés de sentir les balles passer à peine à vingt centimètres sur les têtes. Des camarades rampent de tous côtés à la recherche du capitaine qui reste introuvable. Un bruit lointain de moteurs nous fait scruter l’horizon, mais nous sommes angoissés à la pensée que peut-être ce sont des avions fascistes, car il n’y a pas un buisson pour se cacher. Nous camouflons de notre mieux notre présence, en regardant neuf avions qui avancent avec rapidité dans notre direction.

Nous reconnaissons de suite que ce sont des avions fascistes, car ils sont tous du même type, tandis que les nôtres diffèrent les uns des autres. Nous observons parapets et avions, quand tout et coup une grêle de balles passe sur nos têtes. Des mortiers explosent de tous côtés, mais l’aviation ne peut intervenir à cause du peu de distance qui nous sépare. Nous reprenons courage et par de bonnes rafales nous obligeons les fascistes à se souvenir qu’ils ne sont pas seuls. Enfin, les avions s’éloignent et la paix semble être faite entre les deux camps. A 5 heures et quart, un bruit d’avions se fait entendre. Heureusement ce sont les nôtres, mais après avoir passé et repassé, ils s’éloignent sans rien faire. (A suivre.)

Voir en ligne : Pour le bien de la révolution, Minning Albert et Gmür Edi . Les éditions Atelier de création libertaire