Pour les travailleurs industriels, il distingue plusieurs catégories. Premièrement, l’artisan, qui restera propriétaire de son échoppe ; deuxièmement, un certain nombre d’industries dans lesquelles la division de travail n’a pas été poussée très loin : maçonnerie (à cette époque), menuiserie, imprimerie ; troisièmement, la grande industrie, où la division du travail est importante, la production énorme : filatures, industries métallurgiques, houillères, etc.
Si l’artisan peut continuer à posséder son échoppe, s’il peut sans difficultés échanger sa production, les travailleurs des autres catégories doivent s’organiser sur la base de l’industrie. Les ouvriers d’une industrie donnée se garantiront mutuellement la propriété de leurs moyens de production et, sur cette base de la propriété collective, s’organiseront en fédérations de métiers ou d’industrie.
Le résultat de ce pacte de solidarité sera la constitution de tous les établissements typographiques — d’une région donnée — comme propriété collective de la fédération des typographes — de cette même région
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Ce sont les prémices du syndicalisme.
Quant à la gestion intérieure des entreprises et des ateliers chaque atelier, chaque fabrique formera une association de travailleurs qui restera libre de s’administrer de la façon qu’il lui plaira pourvu que les droits de chacun soient sauvegardés et que les principes d’égalité et de justice soient mis en pratique
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Les rapports des diverses fédérations corporatives se feront sur la base de la plus stricte égalité, les échanges de produits finis et de matières premières s’établiront par les communes et les divers services publics communaux et régionaux.
L’ORGANISATION COMMUNALE
La base de la société future sera la commune, qui sera formée de l’ensemble des travailleurs habitant une même localité ; c’est la fédération locale des groupes de producteurs. La commune comprend plusieurs services publics. Notons au passage que certains services publics sont du ressort de la fédération de communes.
I - Travaux publics. Tous les locaux sont propriété de la commune. Une fois la révolution achevée, chacun continuera d’habiter la maison où il logeait précédemment, la commune installant les mal-logés dans les demeures des riches expropriés. Elle devra se mettre à construire de nouvelles habitations aux frais de tous — c’est-à-dire que les ouvriers du bâtiment recevront des bons d’échange de la commune pour leur travail. Construits aux frais de tous, il est normal que les logements soient gratuits. Personne n’aura de redevance à payer. Guillaume pense que les différends naissant de cette gratuité disparaîtront dans les années qui suivront la révolution par la grande quantité de maisons bâties.
II. - Echanges. Dans la société nouvelle, il n’y aura plus de commerce dans le sens qui est attaché aujourd’hui à ce mot. Il sera nécessaire de créer un comptoir d’échanges. Il remettra aux producteurs des bons représentant la valeur de leurs produits, les stockera puis les échangera avec ceux d’autres comptoirs.
Un certain nombre de producteurs ne pourront apporter leur fabrication au comptoir, par exemple les maçons ou les travailleurs intellectuels. Il faudra prévoir une tarification qui paiera ces services. Une monnaie basée sur la valeur-travail semble être la meilleure solution.
Dans un futur lointain, Guillaume prévoit que la distribution remplacera la répartition. Il pense que cette distribution pourrait être instaurée très vite pour les produits de première nécessité (pain, lait, charbon, etc.).
III - Alimentation. Les différents services alimentaires (boulangerie, abattoirs, etc.) seront centralisés dans chaque commune.
IV - Statistique. Un office des statistiques sera nécessaire dans chaque commune pour prévoir et préparer la production. Il s’occupera de l’état civil.
V - Hygiène et santé. Cet office s’attachera à créer un organisme curatif parfaitement au point mais il s’occupera aussi de la distribution de l’eau potable, de créer des bains publics, des piscines et des stades. Il verra le service des morts entrer dans ses attributions.
VI - Sécurité. Guillaume pense que le bien-être général réduira la criminalité sans pourtant la rendre nulle. Il faudra prévoir une police communale, il imagine ce service comme une milice, c’est-à-dire que tout le monde devra veiller à tour de rôle.
Comment seront traités les « criminels » dans la société égalitaire ?
Il faudra le priver de sa liberté et le garder dans une maison spéciale jusqu’à ce qu’il puisse, sans danger, être rendu à la société
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Il insiste sur le côté pathologique du crime. Il pense que la criminalité ne sera qu’un chapitre de la philosophie médicale.
Quant aux litiges entre individus, associations, communes, ils seront jugés par des arbitres désignés par les parties.
Le service de sécurité comprendra aussi des pompiers. Dans les répons inondables ; il faudra prévoir un corps d’entretien des digues.
Un vaste système d’assurance complètera cette organisation. Les corporations et les communes se garantiront un appui mutuel pour le cas oà un désastre, incendie, grêle, viendrait à frapper une ou plusieurs d’entre elles
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VII - Education. Guillaume commence par poser le principe que : l’enfant n’est la propriété de personne, il s’appartient à lui-même
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C’est à la société de se charger de l’entretien de l’enfant. Il hésite quant à savoir s’il faut élever les enfants en commun ou les laisser à leurs parents.
Pour lui, le premier âge de l’éducation, cinq à douze ans, doit être celui du corps ; de douze à seize ans, l’enfant acquerra les sciences.
Un certain nombre de communes posséderont des universités, chaque étudiant désirant continuer ses études devra s’y rendre, sans cesser le travail auquel il sera tenu, La fédération créera de grandes écoles.
Quant à la pédagogie, il prévoit que les enfants devront s’administrer eux-mêmes, éliront leurs responsables. etc.
On peut se demander si Guillaume ne va pas trop loin. Un certain nombre de pédagogues estiment la présence du père et de la mère nécessaire à l’équilibre affectif et intellectuel du jeune enfant.
VIII - Assistance. Il faudra prévoir un office pour l’entretien des malades, des infirmes, des vieillards. Cette assistance devra être pensée comme une obligation de la société et non comme une aumône.
ORGANISATION D’ENSEMBLE
James Guillaume imagine deux types d’organisation ne se rejoignant qu’à leur sommet. Premièrement, une organisation de producteurs sur la base de l’industrie, c’est la fédération corporative ; deuxièmement, une organisation des travailleurs sur la base de la localité. c’est la fédération de communes.
1. La fédération corporative. La fédération corporative, qui groupera non seulement les ouvriers d’un même métier mais plutôt les travailleurs d’une même industrie, s’unit avec les autres fédérations non plus pour protéger leurs salaires contre la rapacité des patrons, mais... pour se garantir mutuellement l’usage des instruments de travail... ; en outre, la fédération des grouses permet à ceux-ci d’exercer un contrôle constant sur la production...
Dès le lendemain de la révolution, les groupes producteurs appartenant à la même industrie sentiront le besoin de s’envoyer mutuellement des délégués... pour se renseigner et s’entendre
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Un congrès général constitutif naîtra de ces contacts, ce congrès posera les bases du contrat fédératif..., un bureau permanent, élu par le congrès corporatif, et responsable devant lui, sera destiné à servir d’intermédiaire entre les groupes formant la fédération de même qu’entre la fédération et les autres fédérations corporatives.
Une fois que toutes les branches de la production, y compris celle de la production agricole, se seront organisées de la sorte, un immense réseau fédératif... couvrira le pays et la statistique de la production et de la consommation, centralisée par les bureaux des diverses fédérations corporatives, permettra de déterminer d’une manière rationnelle le nombre des heures de la journée normale de travail, le prix de revient des produits et leur valeur d’échange, ainsi que la quantité en laquelle ces produits doivent être créés pour suffire aux besoins de la consommation
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Guillaume précise au passage que ces bureaux n’auront qu’un rôle consultatif et technique ; la décision appartient toujours aux conseils des travailleurs.
Le vote est un procédé propre à trancher dei questions qui ne peuvent être résolues aux moyens de données scientifiques et qui doivent être laissées à l’appréciation du nombre ; mais dans des questions susceptibles d’une solution scientifique et précise, il n’y a pas lieu de voter ; la vérité ne se vote pas, elle se constate et s’impose ensuite à tous par sa propre évidence
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2. La fédération de communes. La fédération de communes se constituera comme les fédérations corporatives par des congrès ; elles se fédèrent entre elles dans le but de s’entraider, pour l’institution de certains services publics d’un caractère général
, par exemple centraliser et comptabiliser les renseignements venant des comptoirs d’échanges communaux, créer, en plusieurs endroits centraux, des comptoirs fédéraux chargés de stocker et de répartir les produits entre les comptoirs communaux et s’occupant des relations internationales. Un certain nombre de services, de part leur nature même, sont du ressort de la fédération : l’entretien et l’administration des chemins de fer et autres voies de communication, le service des postes et télégraphes, la marine, l’organisation d’un système d’assurance entre les communes.
Le travail accompli par les employés — ils se recruteront librement parmi les travailleurs que leurs goûts et leurs aptitudes porteront vers ce genre d’activités — des divers services publics sera considéré comme l’équivalent de celui auquel sont occupés les autres travailleurs ; ils choisiront eux-mêmes, par voie d’élection, ceux d’entre eux qui auront à diriger et à contrôler le travail.
Il y aura lieu d’élire des commissions de surveillance, chargées de s’assurer que les choses se
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passent conformément aux décisions prises et de faire rapport à ce sujet au congrès... qui se réunira à des époques fixes
Ainsi, de proche en proche, la Fédération des communes pourra s’étendre au monde entier Guillaume imagine que plusieurs fédérations pourront exister, mais pour lui la révolution ne peut pas être restreinte à un seul pays : elle est obligée, sous peine de mort, d’entraîner dans son mouvement, sinon l’univers tout entier, du moins une partie considérable des pays civilisés
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Il pense que des relations harmonieuses pourront s’établir entre les structures corporatives et la Fédération de communes.
C’est sur cette vision d’union et d’harmonie que Guillaume termine son livre.
L’essentiel de ses idées constructives nous semble parfaitement réalisable ; de nombreuses réserves s’imposent sur la pratique révolutionnaire. Pierre Besnard, dont nous étudierons plus tard les théories constructives, a pu reprendre ce schéma près de soixante années après son élaboration. Un seul point nous semble incomplet : un échelon nous semble nécessaire entre la fédération et la commune. Guillaume, sur ce point précis, ne suit par son ami Bakounine qui, dans le Catéchisme révolutionnaire insiste sur l’existence de cet échelon intermédiaire, c’est qu’il y ait entre la commune et l’État au moins un intermédiaire autonome, le département, la région ou la province
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Cette restriction admise, le schéma de Guillaume pourrait servir de base à la mise au point d’un plan de reconstruction fédéraliste de notre monde de la seconde moitié du vingtième siècle. C’est sur ce souhait que nous terminons.