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Mollie Steimer (1897-1980) (suite et fin) [02]

samedi 15 avril 2023, par Secrétariat aux Relations Internationales (Fédération Anarchiste) (CC by-nc-sa)

Article publié dans Le Monde Libertaire n°389 du 19 février 1981.

Le 24 novembre 1921, Mollie Steimer, Hyman Lachowsky, Samuel Lipman et Jacob Abrams et sa femme Mary, embarquent sur le SS Estonie pour la Russie soviétique. Mais le journal Fraye Arbeter Shtime les prévient que malgré leur opposition à l’intervention américaine et leur soutien au régime bolchevique, ils ne seraient pas bien accueillis, car la Russie n’est plus le paradis des révolutionnaires, mais plutôt un pays fait d’autorité et de répression. Malgré la déception, il y eut quelques moments de joie. Mollie fait la connaissance de celui qui allait devenir son compagnon pour la vie : Senya Fleshin.

De trois ans plus vieux que Mollie, Senya est né en décembre 1894 à Kiev et a émigré aux USA dès l’âge de 16 ans. Là-bas, il travaille avec Emma Goldman jusqu’à ce qu’il retourne participer à la Révolution russe en 1917. Très actif dans Golos Truda, à Petrograd, puis dans la Confédération Nabat en Ukraine, il retourne en 1920 à Petrograd afin de participer au travail du Musée de la Révolution. C’est là qu’il rencontre Mollie, peu après son arrivée aux États-Unis. Ils organisent alors une société d’aide aux anarchistes emprisonnés et sillonnent le pays pour aider leurs camarades incarcérés.

Pétrograd 1922 : Senya Fleshin, Mollie Steimer et Samuel Lipman.

Le 1er novembre 1922, ils sont eux-mêmes arrêtés par le GPU pour le crime d’avoir aidé des éléments criminels et d’avoir maintenu des rapports avec des anarchistes résidant à l’étranger (Goldman et Berkman entre autres). Condamnés à deux ans d’exil en Sibérie, ils entament une grève de la faim dans leur cellule de Petrograd et sont aussitôt libérés. Senya et Mollie se remettent alors au travail en faveur de leurs camarades victimes de la répression. Le 9 juillet 1923, le GPU fait irruption dans leur appartement ; ils sont de nouveau placés sous arrestation et inculpés pour propagande d’idées anarchistes, en vertu de l’article 60.63 du Code criminel soviétique. On leur ordonne de quitter le pays dans les plus brefs délais. Ils embarquent le 27 septembre à bord d’un navire en partance pour l’Allemagne.

Senya et Mollie vont directement à Berlin où les attendent Emma Goldman et Alexandre Berkman. A Berlin, comme plus tard à Paris, ils continuent à lutter en faveur des révolutionnaires emprisonnés en URSS, établissant notamment un pont pour l’envoi de colis et de lettres aux incarcérés.

Voline, Alexandre Schapiro, Mark Mratchny et bien d’autres, collaborèrent avec eux au sein du Comité pour la Défense des Révolutionnaires emprisonnés en Russie (1926-1932).

En 1927, ils créent avec Jacques Doubinsky, Berkman et Voline, le Groupement d’entraide de Paris, afin d’aider les camarades exilés de toute nationalité, qui manquent d’argent, de papiers d’identité, et qui se trouvent donc sous la menace constante de l’exil ou de l’extradition. Dans le but de gagner de quoi vivre, Senya se met à la photographie, discipline pour laquelle il manifeste un réel talent, devenant le « Nadar du mouvement anarchiste ».

En 1929, il est invité à travailler dans le studio de Sasha Stone à Berlin. Il s’y installe avec Mollie.

A l’arrivée au pouvoir d’Hitler, ils doivent plier bagages et regagner Paris où ils vont habiter jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Senya Fleshin et Mollie Steimer voient beaucoup de monde pendant cette période (Harry Kelly, Milly et Rudolf Rocker, notamment). Harry Kelly trouvait Mollie aussi idéaliste qu’auparavant. Emma Goldman la jugeait trop fanatique et continuait à la comparer à Berkman lorsque celui-ci était plus jeune : Mollie est terriblement figée dans ses idées ; elle a une volonté de fer. Absolument personne ne pourra la faire changer d’avis si elle est convaincue de quelque chose. Elle est une âme des plus dévouées à notre idéal.

La guerre trouve Mollie et Senya à Paris. Leur origine juive et leurs convictions anarchistes leur attirent rapidement des ennuis. Le 18 mai 1940, Mollie est placée dans un camp d’internement, alors que Senya, aidé par des camarades français, réussit à fuir en zone libre. Ils se retrouvent à Marseille en 1941. C’est là qu’ils virent leur ami Voline pour la dernière fois. Peu après, ils partent pour Mexico où ils s’établissent.

Senya Fleshin - Voline - Mollie Steimer (Paris 1926)

En 1942, elle écrit aux Rocker : Mon cœur souffre pour nos amis. Qui sait ce que vont devenir Voline, nos amis espagnols, notre famille juive. Ça me rend folle !

Pendant les vingt années qui suivent, Senya s’occupe de son studio de photographie qu’il a baptisé SEMO (pour Senya et Mollie). Ils entretiennent des relations avec les camarades espagnols du groupe Tierra y Libertad, voient Jacob et Mary Abrams, malgré la nouvelle amitié entre Jacob et Trotsky, lui aussi à Mexico.

Mollie ne revint jamais aux États-Unis. Ses amis et ses parents viennent la voir à Mexico puis à Cuernavaca où elle se retire avec Senya en 1963.

Lorsqu’elle avait dû quitter les USA, Mollie avait prêté serment de toujours et partout se faire l’avocate du communisme anarchiste. En Russie, en Allemagne, en France, au Mexique, elle est toujours restée fidèle à sa parole. Parlant plusieurs langues couramment (le Russe, le Yiddish, l’Anglais, l’Allemand, le Français et l’Espagnol), elle est en mesure de se tenir au courant de la presse anarchiste internationale. En 1976, elle est filmée par une équipe de la télévision hollandaise qui travaille sur un documentaire sur Emma Goldman. En 1980, elle fut de nouveau filmée, cette fois par un collectif New-Yorkais. Elle parla de son amour pour l’anarchisme, cet anarchisme que Berkman qualifiait de la façon suivante : La chose la plus belle à laquelle l’humanité n’ait jamais pensée.

 

A la fin de sa vie, et malgré la tristesse que lui causa la mort de Mary Abrams en janvier 1978, Mollie Steimer vivait l’anarchisme avec une ferveur égale à celle qui l’animait quand elle avait été jeune militante.

Salud, chère Mollie,
Salud et Libertad !

(traduit d’après un texte de Paul Avrich dans Arnarchist Views)