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24 décembre 1910

{100 años} Ricardo Flores Magón : « Réveille-toi prolétaire »

mardi 15 février 2022, par Ricardo Flores Magón (CC by-nc-sa)

Comme nos camarades de Fédération Anarchiste Mexicaine, au cours de l’année 2022, nous allons commémorer le centenaire de la mort de Ricardo Flores Magón. Aujourd’hui nous mettons en ligne un article publié dans Regeneración, (4e époque) n°17 - 24 décembre 1910.

Relève-toi, prolétaire conscient ; relève-toi, mon frère ! En ce moment beaucoup de prolétaires sont en armes ; mais ils ne savent pas ce qu’ils font ; ou plus exactement, ils ne savent pas pour qui ils travaillent, comme dit le vulgaire adage. Toi, qui connais les intérêts de ta classe ; toi, qui sais ce dont les pauvres ont besoin, cours leur dire : Camarades, pour conquérir la liberté et le bonheur, il ne suffit pas d’avoir un cœur brave et une arme à la main : il faut une idée dans le cerveau.

Un bateau sans boussole dans l’immensité de l’océan, voilà ce qu’est le révolutionnaire qui ne compte qu’avec son arme et sa bravoure. Le bateau peut lutter contre les vagues et le vent ; mais, comment s’orienter pour arriver au port, s’il lui manque la boussole ? Ainsi, le révolutionnaire peut se maintenir en rébellion, peut semer la mort ; mais s’il lui manque l’idée directrice de son action, il ne sera rien d’autre qu’un bateau sans boussole. Le révolutionnaire, alors, ne sait pas pourquoi il tue, comme la hache ne sait pas pourquoi elle abat l’arbre.

Relève-toi, prolétaire conscient ; relève-toi, mon frère ! Il faut que tu voles aux côtés de tes frères inconscients pour leur dire : Camarades, jusqu’à ce jour, vous étiez bras et ciseaux ; maintenant, il faut que vous soyez cerveau, bras et ciseaux.

Prolétaire : ne permet plus qu’un autre pense pour que toi, tu exécutes. Les ciseaux, avec leur tranchant, arrachent des morceaux au marbre sans savoir ce qu’il en résultera. Le révolutionnaire, au prix de son sang, attaque les bastions du despotisme sans savoir quelle sera la forme de l’édifice qui se lèvera sur les décombres fumants.

Si un autre pense pour toi, ne t’étonnes pas de voir surgir, comme si le noir édifice que tu avais écrasé renaissait, un autre plus noir encore, plus lourd. Tu t’apercevras que les défenseurs de ce nouvel édifice sont encore plus sinistres, et parmi ces nouveaux défenseurs du futur despotisme tu reconnaîtras ceux qui aujourd’hui te conseillent de prendre un fusil et de te révolter ; car ils omettent de te dire quels sont tes intérêts de pauvre, pour que tu donnes ta vie pour eux et non pour tes intérêts.

Ouvre les yeux, éternel paria ; saigne-toi, chair à canon, locataire des casernes et des bagnes. Comprends où est ton intérêt ; réfléchis, choisis une idée, et ainsi, tu iras droit vers ton but ; et du chaos de la Révolution tu sauras extraire la formule de ta rédemption, avec la même adresse que le sculpteur qui réveille dans le morceau de pierre la figure, l’attitude, le geste de l’objet d’art qui, sans lui, aurait dormi pendant des millénaires au sein de la terre ; et alors, si tu tombes au combat, blessé à mort, tu pourras dire avec orgueil, ce qu’un poète, alors qu’il allait être décapité, clama devant le bourreau et le peuple, portant sa main au front : Ici, il y a quelque chose !

Ne vas pas au combat comme un mouton, mais comme une unité de combattants qui s’additionnent à d’autres unités, également conscientes et rebelles, pour ouvrir le tombeau de la tyrannie politique et de l’exploitation capitaliste.

Renverse, surtout n’oublie pas de déplacer les décombres et d’arracher les fondations. Supprime par l’action ce qu’on appelle le droit de propriété ; non pour t’emparer individuellement de ce que détiennent tes maîtres, car tu deviendrais alors patron, tu opprimerais tes frères et tu serais voleur et pervers, autant que ceux qui t’exploitent maintenant. Ta libération doit être comprise dans la libération de tous les humains. La terre qu’il faut enlever aux bourgeois ne doit pas être pour toi seul, ni pour quelques-uns, mais pour tous, sans distinction de sexe. Lève ta tête trempée de sueur ; regarde tes patrons en face, ils tremblent en pressentant ta colère ; domine-la et raisonne. La colère aveugle ; la raison éclaire. Ainsi tu verras mieux le chemin au milieu des ombres de la terrible lutte ; ainsi tu pourras t’apercevoir que, parmi ceux qui veulent te diriger, il y a beaucoup de loups déguisés en agneaux ; il y en a beaucoup qui trompent ta faim pour un moment, en te donnant quelque menue monnaie pour ta famille, avant de t’envoyer au combat. Quelque menue monnaie pour aller donner ton sang, pour qu’eux montent sur tes épaules Est-ce digne ? Es-tu soldat de la liberté ou un mercenaire loué par un ambitieux ?

Camarade, refuse l’argent. Ce n’est pas digne d’un homme, de demander de l’argent pour aller conquérir la liberté et le bien-être. Si tu faisais cela, quelle serait la différence entre toi et le sbire qui tire sur ses frères, pour I’argent qu’il a reçu ?

Le fusil du mercenaire forge des chaînes parce qu’il est soutenu par un cœur égoïste ; le fusil du libertaire forge la liberté parce qu’il est soutenu par cœur dévoué. Celui qui prend les armes pour l’argent, porte en lui l’idée du profit personnel à l’exclusion de celui d’autrui ; celui qui prend les armes par amour de la liberté, porte en lui l’idée du bien-être de tous. Est-ce qu’ils lui demandèrent de l’argent, pour être des héros, Hidalgo, « Pipila », « El hombre de Eurena » ? Est-ce qu’on peut seulement concevoir un héros qui se ferait payer ? Imaginez-vous le « Héros de Nacozari » [1] discutant sur le prix de son héroïsme ; imaginez-vous Juarez demandant de l’argent pour décréter l’expropriation des biens du clergé ; imaginez-vous Jésus-Christ demandant de l’or pour être sacrifié.

Réveille-toi, prolétaire ! Va au combat avec le désir de lutter pour ta classe. Celui qui te donnera de l’argent pour que tu empoignes un fusil, méprise-le, regarde-le avec méfiance, car il te demande ta vie en échange de quelque menue monnaie ; il veut ton sacrifice pour faire son bonheur ; il veut ta ruine et le malheur de ta famille pour son profit personnel. Va au combat prolétaire ; non pas pour mettre quelqu’un au pouvoir, mais pour élever ta classe, la dignifier. Puisque l’occasion se présente et que tu as une arme entre les mains, prends la terre, mais pas pour toi tout seul : pour toi et pour taus les autres, puisqu’elle est à tous par droit naturel.

Prolétaire conscient : vole où luttent tes frères, pour leur dire qu’avoir un cœur vaillant et une arme dans les mains ne suffit pas : dis-leur qu’il faut une idée dans le cerveau. Et cette idée, entendez-le bien, doit être l’émancipation économique. Si tu n’obtiens pas cette liberté, tu auras donné, une fois de plus ton sang pour qu’un autre tyran t’opprime.

 

Regeneración (4e époque) n°17 - 24 décembre 1910

Ricardo Flores Magón : « L’horreur de la révolution »   {100 años} Ricardo Flores Magón : « Liberté, Egalité, Fraternité »



[1Acteurs, parmi les plus connus, du premier soulèvement populaire, en 1810, luttant pour l’abolition de l’esclavage et l’indépendance du Mexique.