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Le Père de l’Anarchisme : William Godwin

mercredi 22 mai 2024, par Louis Louvet (CC by-nc-sa)

C’est William Godwin qui le premier, parmi les philosophes et sociologues, condamna formellement l’État comme étant une tyrannie et doit être ainsi considéré comme le véritable père de l’anarchisme, titre dévolu quelquefois à Pierre Kropotkine et plus souvent à Proudhon [1].

William Godwin est né à Wisbeach dans le comté de Cambridge en 1756. Il est le fils d’un pasteur non-conformiste et il fait ses études dans un collège dissident à Hoxton. On peut en conclure qu’il est, dès son début dans la vie, prédestiné aux théories subversives. Pourtant il subit quatre années de vie ecclésiastique, y renonce en 1782 et l’existence en province devenant intenable il se rend à Londres où il va essayer de vivre de sa plume ayant répudié toute attache religieuse. L’année même de son arrivée dans la capitale, il publie un essai : Esquisses historiques de six sermons qui est un examen objectif des doctrines soutenues alors par l’Eglise et dont les conclusions soulignent le doute qui habite Godwin. Le silence le plus complet accueille cette première œuvre. Cet échec ne décourage cependant point l’auteur qui se répand dans les clubs littéraires et se lie avec les écrivains alors en renom.

Loin d’être ébattu par l’hostilité de ses contemporains, William Godwin s’intéresse de plus en plus à la sociologie — les Encyclopédistes étaient alors fort à la mode en Angleterre — et se prend à étudier l’organisation des sociétés. Il « décortique » sans ménagement les diverses formes de gouvernement. La Révolution française, qui éclate avec un bruit de tonnerre, trouble profondément le penseur et stimule l’écrivain qui publie en 1793 son livre capital : An enquiry concerning political justice end its influence on general virtue and happiness (Recherches sur la justice en politique et sur son influence sur la vertu et le bonheur de tout).

William Godwin.
Dessin de Clifford Harper

Cet ouvrage, William Godwin l’explique lui-même, n’a pas été écrit d’une traite. Au fur et à mesure que les chapitres sortaient de sa plume le sociologue les faisait imprimer. Il en est résulté dans les deux tomes de l’édition originale une certaine désunion, des contradictions même, qui sont justifiées par l’atmosphère mouvementée de l’époque et la maturité peu à peu affirmée des idées de l’auteur.

Il envisage l’anarchisme comme un moindre mal influencé, lui aussi, par le sens péjoratif du terme. L’anarchisme, écrit-il, est un mal terrible, le despotisme en est un pire. L’anarchiste a tué des centaines, le despotisme a sacrifié des millions et des millions et par cela même n’a fait que perpétuer l’ignorance, le vice, la misère. L’anarchisme est un mal éphémère, le despotisme est presque immortel. Évidemment c’est une épreuve terrible pour un peuple que de laisser libre carrière à toutes ses passions jusqu’à ce que la vue des conséquences donne des forces nouvelles à la raison, mais ce remède est d’autant plus efficace qu’il est plus terrible. Le choix qu’il fait entre l’anarchisme et le despotisme sans en dissimuler les excès probables, cette conclusion que d’un chaos passager, nécessairement brutal et sanglant, naîtra une société où la raison acquerra des « forces nouvelles » ne trompe pas. Dans un royaume directement menacé par les idées révolutionnaires nées de la déclaration des droits de l’homme certaines précautions d’ordre littéraire étaient indispensables.

Recherches sur la justice en politique eut un retentissement considérable et son succès découlait des attaques virulentes menées contre les classes privilégiées. Celles-ci réagirent non moins vigoureusement déléguant ses écrivains aux gages à seule fin de faire passer William Godwin pour fou tout en le couvrant de ridicule. Les coups portés à l’orthodoxie avaient néanmoins atteint leur but. La notoriété du sociologue s’accrut du fait des calomnies dont il lut l’objet.

En 1799, à la suite d’un mémoire paru dans le Morning Chronicle en faveur des fondateurs de la Société Constitutionnelle, il obtint l’acquittement de Horne Tooke et de ses amis. Fort de ce succès il s’attaque à la législation criminelle anglaise et aux institutions civiles par la publication des Aventures de Caleb Willams où il poursuit ses critiques précédentes sur la société. La traduction en plusieurs langues et les nombreuses contrefaçons de cette œuvre témoignent de l’intérêt que le public y porta.

Mary Wollstonecraft

Non-conformiste en politique William Godwin l’était aussi en matière sexuelle. Il avait sur le mariage des idées qui scandalisaient la société anglaise. C’est ainsi qu’il vécut six mois maritalement avec Mary Wollstonecraft, ce qui n’était vraiment pas commun à l’époque, avant de l’épouser.

Mary Godwin est au même titre que William une personnalité forte ; une sorte de George Sand anglaise précédant d’une bonne génération Aurore Dupin. Née à Berverley (comté d’York) en 1767 elle est fille de fermiers pauvres qui abandonnent la terre ingrate pour faire du commerce dans la banlieue de Londres. Maltraitée par son père, homme dur et aigri, elle fuit la maison familiale et se place comme demoiselle de compagnie. Puis avec ses sœurs elle fonde une école qui applique des méthodes nouvelles. C’est alors qu’elle publie son premier livre : Pensées sur l’éducation des filles (1787) qui lui assure la notoriété et l’aisance. En 1792, elle rencontre le peintre Fuessli. Leur liaison restera platonique, ce dernier, marié, ayant des mœurs austères. Pour fuir une situation insupportable Marie s’exile en France où les événements révolutionnaires l’attirent. Elle y connaît Mme Roland et la plupart des Girondins. Séduite par un Américain qui l’abandonne elle revient avec sa fille en Angleterre où par deux fois elle lente de se suicider.

Elle revoit Godwin, qu’elle avait perdu de vue, et l’épouse en 1796. Ils ont un enfant l’année suivante, qui provoque la mort de la mère, celle-ci n’ayant pas voulu, par pudeur, recevoir les soins d’un chirurgien.

Inconséquence de théoricien William, adversaire du mariage, contracte une seconde union légale quelques mois après.

Son livre Recherches sur la justice politique lui avait, on le sait, attiré maintes critiques, mais voici que parait un adversaire beaucoup plus sérieux que les intrigants de cour. Th. Malthus en réponse publie son Essai sur la population (1798) où il développe les doctrines qui l’ont rendu célèbre. William Godwin y répondra par un nouveau livre : Recherches sur la population et sur la faculté d’accroissement de l’espèce humaine contenant la réfutation des doctrines de Malthus sur cette matière (1820). Il n’est pas possible dans le cadre de cet article d’en donner une analyse, pas plus que des idées émises par Godwin mais ce n’est que partie remise.

Retiré dans sa librairie, où il fait de mauvaises affaires, William Godwin meurt oublié en 1836 après avoir accepté un modeste emploi, trois ans auparavant, dans une administration publique.


[1Cet article est extrait du 3e fascicule de l’Histoire du Mouvement anarchiste intitulé : Les Pionniers de l’anarchisme qui paraîtra en août (1949).