Le fait est indéniable : les travailleurs eux-mêmes construisent leur propre prison et forgent leurs propres chaines. L’œuvre de démolition des fondements de l’esclavage ne pourra être menée à bien que lorsque les travailleurs se refuseront à travailler au service de la destruction et quand ils seront disposés à n’accomplir qu’un travail humain. A ce sujet, John Ruskin avait déjà déclaré que l’on ne doit faire que du travail profitable à l’humanité. Et son axiome prend ici de nouveau toute son importance. C’était aussi le sens du discours de Max Nettlau au Congrès de Londres, en 1896 : I° dans lequel il posait la question de la responsabilité des travailleurs dans le travail qu’ils accomplissent. Il déclarait qu’il est indigne d’un homme de nuire à son prochain, simplement parce que les capitalistes l’exigent de lui :
Nous voulons libérer d’abord les hommes dans leur esprit, pour les détourner de faire les choses qui font perdurer la misère et l’esclavage de leurs semblables et faire naître ainsi un large courant de sympathie et de solidarité qui seront les bases de toutes actions futures.
Il est facile de voir que cette pensée se rapporte immédiatement et essentiellement au militarisme et à ce qui en dépend. En outre, l’idée de s’abstenir de toute production pour la guerre et le militarisme eut une grande influence sur les traditions chrétiennes et particulièrement sur les idées de Tolstoï.
Libertad écrivait également : ... C’est ce travail de mort qui, occupant plus d’hommes que le travail de vie, rend surtout possible la puissance de la bourgeoisie.
Et, se tournant vers ceux-là qui pensent qu’un nouveau mode de vie sociétaire pourrait subitement prendre naissance, il disait : La destruction intégrale se rattache à la destruction partielle.
Rudolf Rocker déclarait également dans son discours à la Conférence des ouvriers d’armement : Plus d’armes pour la guerre. Que l’unique moyen de prévention pour mettre fin aux massacres organisés est le refus de fabrication d’armes.
Dans les congrès internationaux, on a bien proclamé avec enthousiasme qu’il fallait mettre « bas les arme », mais on n’a pas eu le courage moral d’abaisser les marteaux qui forgent les armes.
Il ne sert à rien d’arracher à la bourgeoisie l’appareil entier de l’État et les moyens de production ; mais il s’agit de détruire ces moyens de production d’engins de meurtre, et cet appareil de force de l’État. C’est la raison pour laquelle les révolutionnaires sont aussi les adversaires de ce fumeux militarisme rouge ; parce que dans le militarisme ils combattent, non seulement une forme de l’assassinat collectif, organisé, mais encore un état barbare de l’esprit humain. Car le militarisme domine non seulement dans la guerre mais aussi dans la paix, non seulement à la caserne, mais aussi à la fabrique. L’industrie moderne a introduit le système disciplinaire de la caserne dans l’organisation de la production
, comme de Ligt l’a formulé.
Le capitalisme est d’autant plus adversaire du socialisme qu’il est d’accord avec l’esprit de guerre. Il ne sert à rien de vouloir anéantir le militarisme blanc, si on le remplace par de nouvelles formes de militarisme. La révolution prolétarienne réclame d’autres moyens que ceux de la guerre bourgeoise. Les relations ouvrières modernes ont elles-mêmes apporté des moyens de lutte et de libération, comme : la grève générale, qui n’atteignent pas seulement le capitalisme au cœur, mais sont en même temps d’une haute importance morale pour les travailleurs. Et avant tout, ils sont le plus conforme au but à atteindre, puisqu’ils permettent aux travailleurs de déployer leur puissance toute entière, non pas sur te terrain militariste et guerrier, mais sur le terrain économique.
Oui ! le militarisme n’est pas utilisé seulement contre l’ennemi extérieur dans la bataille d’intérêts économiques des différents groupes capitalistes dirigeants et pour l’oppression des races de couleur, mais on s’en sert aussi contre l’ennemi intérieur. En conséquence, la conception de l’antimilitarisme bourgeois n’est donc qu’une blague puisque bourgeoisie signifie déjà guerre ! La paix dans la société bourgeoise est une guerre latente.
Il n’y a donc lien à attendre de ces mouvements qui conservent le système économique dominant, ou n’y veulent rien changer fondamentalement, et qui, combattant les conséquences de la guerre et du capitalisme, négligent d’en combattre les vraies causes. On ne saurait choisir une position intermédiaire de la guerre et de la révolution, car il n’y en a, pas. Il en va de même pour cette fameuse Société des Nations dont on attend aujourd’hui comme on attendait avant la guerre des Parlements. La Société des Nations n’est pas un lien des peuples, mais un lien des États et des gouvernements qui représentent, en réalité, les intérêts des groupes capitalistes s’agitant derrière eux, car il n’y a pas aujourd’hui d’autre politique que la politique qu’ordonne le capitalisme. La social-démocratie prône aujourd’hui cette Société des Nations comme elle prônait, avant 1914 le parlementarisme, hors duquel, disait-elle, il n’y avait pas de salut.
On prévoit facilement ce qu’on pourrait attendre, en cas de guerre, de cette Société des Nations et de cette social-démocratie, aussi longtemps qu’elle comptera dans son sein des « chefs » de la IIe Internationale comme par exemple le chauvin social-démocrate Vandervelde, et, par surcroît, ministre de Sa Majesté, et qui déclare encore aujourd’hui qu’on ne saurait s’opposer à une guerre défensive. Ce mensonge chauvin de la guerre défensive est une des causes primordiales qui rendent la guerre moderne encore possible.
Mais, comme il est dit plus haut, le militarisme ne sert pas qu’à mener la guerre à l’extérieur, mais c’est aussi le plus ferme et le plus effectif soutien de l’État. La police et la bureaucratie, étatistes représentant des formes diverses et particulières du militarisme, on peut dire avec certitude que la puissance de l’État est bâtie sur la force du militarisme ; d’autre part, il ressort clairement que le militarisme disparait si l’État est détruit. Car qui dit État, dit domination et exploitation, c’est-à-dire esclavage, et l’état d’esprit du militarisme n’est possible que par l’esclavage. Qui dit domination et exploitation dit négation du socialisme, qui est la collaboration fraternelle de libres personnalités. Le militarisme est la négation du socialisme.
L’exemple de la Russie a démontré que l’état prolétarien est soumis à la loi d’airain de toute politique. Il lui faut un militarisme, dévoué en apparence à l’intérêt du peuple, mais, en réalité, servant à la conservation de l’État. Celui qui veut l’État doit vouloir un État national. Et celui qui veut d’un État national doit vouloir la guerre. Le fascisme, cette organisation militariste de la contre-révolution, et cette contre-révolution du militarisme n’a eu la possibilité de subsister que sur le terrain de l’État national.
C’est pourquoi la déclaration de principe de l’I.A.M.V. dit avec justesse que la croyance en l’État doit être combattue principalement, car elle rend l’homme esclave du militarisme et attente même à son droit à la vie.
L’antimilitarisme aura une tâche à remplir dans la révolution où il s’agira (tous les révolutionnaires sont d’accord là-dessus) d’une humanité intense, de solidarité volontaire, et de liberté. Le militarisme est la négation de la liberté, la négation de la solidarité, la négation de l’humanité. L’idée de la révolution est étroitement liée à l’idée de l’antimilitarisme, de même que l’antimilitarisme est indissoluble de la révolution.