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Introduction a la pensée provocatrice (Amsterdam)

jeudi 2 mars 2023, par Roel Van Duyn (CC by-nc-sa)

Pourquoi Provo s’appelle-t-il Provo ? Sommes nous positifs, sommes nous négatifs ? Quelle est notre norme ? Quelle est notre conduite ? Nous sommes Provos parce que l’attitude de Provo est la seule qui soit acceptable pour nous dans la société actuelle. Monter l’échelle sociale, avoir une position veut dire : collaborer. Collaborer à la destruction atomique prochaine, collaborer au capitalisme, collaborer au communisme, collaborer avec les Autorités et leur chuchoteuse rusée la TV. Vous pouvez nous appeler des anti-professionalistes. Nous ne pouvons nous imaginer un poste, un Job (comme disent les arrivistes populaires) qui n’ait pour conséquence de prolonger les circonstances désastreuses dans lesquelles nous vivons. L’ouvrier produit des objets de jouissance méprisables dont le capitaliste tire cependant un bon prix ; l’employé administre les victimes de la bureaucratie ; on fait un mauvais usage des inventions techniques et scientifiques, on les utilise à des fins militaires.

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Le Provo asocial est le seul rayon de lumière. Ses actions sont les bâtons dans les roues du train du progrès qui roule à une allure telle, qu’il ne voit pas la bombe placée entre ses rails. Nous savons bien que l’attitude du Provo, telle que le Dr. Buikuizen l’a décrite dans sa thèse de doctorat, c-à-d. l’attitude d’une certaine espèce de blouson noir, n’est pas encore parfaite. M. Buikhuizen écrit : Le Provocisme n’est pas l’expression de la révolte contre la société actuelle car les Provos attachent encore trop d’importance à leur situation, le provocisme est un passe-temps pour eux.

A notre tour, nous considérons le Provocisme comme la révolte par excellence contre la société et nous espérons que le Provo deviendra conscient du fait que sa situation le dégrade au point de devenir un des rouages de la machine infernale qu’est la société actuelle. Nous plaidons pour un Provocisme full-time. Nous voulons contribuer à l’évolution de l’expression « Provo = blouson noir provocateur » vers celle « Provo = anarchiste dangereux pour l’État ».

Aujourd’hui le Provo s’occupe, non sans mérite d’ailleurs, à provoquer la police, à causer des bagarres Place du Palais Royal, à déposer des pétard dans les boîtes aux lettres ; demain il devra considérer la police comme un adversaire véritable, envahir le Palais Royal, déposer enfin des bombes dans la boîte aux lettres de l’édifice de la Sûreté Intérieure. Car seule la masse des jeunes badauds et provocateurs peut se mettre en mouvement. Ce sont eux qui sont susceptibles de se révolter et non la classe dite « ouvrière » qui est liée pieds et mains au système social actuel.

Les Provos sont la dernière classe révolutionnaire (parmi les provos nous rangeons aussi les beatniks, pleiners etc.).

Nous avons adopté une attitude négative vis-à-vis du capitalisme, de la bureaucratie, du militarisme et de l’échec inévitable de la politique belliciste de nos gouvernements. Nous avons adopté une attitude positive vis-à-vis de la révolte, de la liberté, et de la créativité. Autrement dit, notre attitude est négative vis-à-vis du positif et elle est positive vis-à-vis du négatif. De là vient que nous aimons la haine et haïssons l’amour. Nôtre seule norme : que chacun lutte jusqu’à l’extrême contre le monde extérieur au nom de sa propre existence. Nous ne pouvons convaincre la masse, c’est à peine si nous le voulons. Il est incompréhensible que qui que ce soit puisse faire confiance à cette masse de cancrelats, à ce troupeau de Panurge apathique, dépendant, sans esprit. Nos camarades Domela Nieuwenhuis, de Ligt et tant d’autres l’ont essayé, leur postérité l’essaye toujours. Ils n’ont pas réussi, ils ne pouvaient réussir. Nous faisons de nécessité vertu en provoquant cette masse. Nos manières ne veulent pas servir de témoignage, de prophéties, elles ne sont pas toujours idéalistes, mais elle sont provocatrices. Nous sommes pénétrés de l’ineptie finale de nos actions, nous savons très bien que ni le président Johnson, ni M. Kosigin ne nous écouteront. Nous agissons quand-même. Nous n’avons pas honte d’être obligés de faire une impression de destructeurs. Si Dieu a créé cette société, nous faisons bien en nous liant avec le Diable. Pour cette raison, nous ne croyons pas à une méthode de lutte pacifiste. Aspirer le Bien par le Bien, faire comme si le mal n’existait pas toujours et partout, c’est penser d’une manière trop rectiligne et trop bornée à nos yeux. D’ailleurs la révolte pacifique en Europe (contre la Bombe atomique par exemple) a eu peu d’effet, par ce que le succès de cette méthode dépend trop d’une participation de masse et d’une opinion publique favorable. Si la révolte de Ghandi a pu porter des fruits, c’est parce qu’il était soutenu par la masse, une pareille révolte, une telle manière de lutte ne peut être utilisée qu’accidentellement par nous, car nous ne sommes pas soutenus par la masse et nous ne le serons jamais.

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Sommes nous des révolutionnaires ? Sommes nous les fondateurs d’une société nouvelle ? Croyons nous à l’anarchie ? Si seulement nous avions la possibilité d’être révolutionnaires ! Mais le soleil se lèvera à l’ouest avant que la révolution n’éclate en Hollande ! Si nous habitions l’Espagne ou la République Dominicaine, nous serions sans aucun doute des révolutionnaires. En Hollande il ne nous reste qu’à nous révolter, mais même en se révoltant, on se cogne la tête contre les murs de granits du conservatisme bourgeois. La seule chose que, nous puissions encore faire, c’est provoquer.

Comme nos forces sont insuffisantes pour détruire notre vieille société, nous ne pouvons donc pas encore construire de nouvelle société.

Pourtant, voilà qui serait un happening et une création !

Adieu la police, l’armée, l’appareil gouvernemental ! Les ouvriers prennent possession de leurs usines, l’appareil de production tout entier tombe entre les mains du peuple, décentralisation du pouvoir. Cela a été réalisé en Espagne avant le général Franco n’ait reconquis le pays ; il en était ainsi en Ukraine avant que les communistes n’en eussent chassés les anarchistes.

Dans l’anarchie, l’homme est libre, du point de vue social du moins, car là il dispose des meilleures conditions pour être libre et créateur.

Nous croyons à l’anarchie, nous vous, la présentons comme seule alternative, car c’est elle qui nous a inspiré notre but premier et final : la révolte.