Issu d’une famille modeste, Chester Himes est né en 1909 dans le Missouri. Cependant, il parvient à étudier dans une université ; il s’en fait exclure au bout de deux ans avant de sombrer dans la délinquance. Arrêté à l’âge de vingt ans pour un hold-up, il est condamné à 25 ans de travaux forcés. Il n’en fera que sept grâce à une nouvelle loi sur les remises de peine. De ces années de bagne, il a tiré un long roman Qu’on lui jette la première pierre décrivant le climat d’extrême violence qui règne dans les prisons américaines où il est fait peu de cas de la vie d’un détenu. De son propre aveu, s’il ne fut pas assassiné c’est dû à son activité d’écrivain. En effet, en 1934 il publie sa première nouvelle dans la revue Esquire ce qui lui assure une renommée et un respect vis-à-vis de ses codétenus et de l’administration.
Le Noir doit être injustement traité mais solidement résigné
Trois ans plus tard, il sort de prison et exerce plusieurs métiers (manœuvres, terrassier...) tout en continuant à écrire des nouvelles pour des magazines noirs. Ces derniers l’acceptent bien mieux que les éditeurs blancs même progressistes pour qui le Noir doit être injustement traité mais solidement résigné. Son premier roman, S’il braille lâche-le, sort en 1945. D’autres suivent, aussi virulents et critiques à l’égard des partis, syndicats, Blancs et Noirs. Les prises de positions de Himes ne sont pas du goût de tout le monde : les fascistes, la droite, la gauche et les communistes le détestent Dans son livre La croisade de Lee Gordon, dont le thème est la lutte d’un syndicaliste noir, Himes prête à un couple noir la foi dans l’intégrité des Blancs mais aussi certaines craintes et complexes résultant de sa « race ». Sa vision non simpliste n’est pas comprise par la presse communiste qui incite ses militants à s’en prendre directement aux librairies qui vendent le livre.
C’est à cause ce climat de boycottage généralisé qu’il s’exile en Europe en 1953.
C’est au roman policier qu’il doit sa renommée bien qu’il s’y soit mis sur le tard (La reine des pommes sera le premier). Sa rencontre à Paris avec Marcel Duhamel, directeur de la Série Noire, sera le point de départ d’une œuvre essentiellement tournée sur Harlem...
Ce roman de Himes est un excellent portrait de sa communauté où se révèle sa suspicion à l’égard de la bourgeoisie noire ; il s’agit de l’éclatement d’une famille qui tente de s’accommoder du mode de vie des Blancs. On peut constater qu’il y a une part largement autobiographique ; le frère de l’auteur suivait des cours dans la seule école d’Amérique ou Blancs et Noirs se retrouvaient sur les mêmes bancs, celle réservée aux aveugles.
On peut lire ce recueil comme un roman du début à la fin, car le ton de révolte va en grandissant à mesure que l’injustice se fait institution. Tel l’exemple de ce Noir cul-de-jatte lynché dans un cinéma pour ne pas s’être levé lors de l’hymne national ou de ce soldat noir abattu par deux Blancs pour avoir comparé le fascisme des Jaunes à celui des Blancs.
Un constat très noir de celle Amérique aux appels fascistes où le Noir vit dans une totale insécurité. Et la dernière nouvelle, où la manifestation des flics de New York laisse un lot appréciable de morts sous le feu nourri d’un tireur embusqué, qui ne peut être qu’un Noir, est l’exception qui confirme la règle.
Un Harlem haut en couleurs avec le fameux duo de flics noirs Fossoyeur et Ed Cercueil, l’un au crâne cabossé, l’autre au visage vitriolé, inspirant respect et crainte aussi bien aux flics blancs qu’aux voyous de Harlem.
Tout en continuant à écrire des romans, Himes rédige des reportages sur des leaders noirs, sur Harlem, sur des mouvements de libération noirs, etc. Son esprit critique et le refus du manichéisme, son désir de justice, en font un individu attachant, humaniste, dont la franchise a permis de mettre à jour une autre conception de l’émancipation du noir américain. Ainsi, il s’oppose aux théories de Malcolm X et à d’autres mouvements de libération noirs qui s’inspiraient de l’Islam pour la constitution d’un État noir.
Le héros de ce roman est un noir travaillant sur les chantiers navals pour le compte de l’armement américain lors de l’entrée en guerre des États-Unis. Himes y décrit avec beaucoup de réalisme la condition des ouvriers, la confrontation avec la direction raciste, les concessions de syndicats organisés verticalement et en conséquence collaborationnistes.
C’est un plaidoyer pour le boycott de la production armée où les Noirs ne pouvaient décemment soutenir un régime déclarant combattre un fascisme tout en étant un lui-même.
Les Panthères Noires se sont mise à jouer aux gendarmes et aux voleurs
Par ailleurs, des Panthères Noires il dira : au lieu d’organiser un mouvement révolutionnaire bien structuré, puissant, nombreux —c’est-à-dire capable d’une action efficace— les Panthères Noires dont on a tant parlé dans la presse se sont mis à jouer
aux gendarmes et aux voleurs
(...) Si bien que les masses noires, qui éprouvaient peut-être à l’origine, quelque espoir prudent de voir le potentiel révolutionnaire des Panthères Noires changer quelque chose à leur situation, s’en sont vite détournées à cause de la façon dont les opportunistes des deux races se sont mis à manipuler les Panthères. Non seulement ils ont été réprimés par la police, mais ils ont perdu toute crédibilité.
A travers son œuvre, sa principale critique à l’égard de la communauté noire est à l’encontre du nationalisme et du sentiment religieux qui, pour Chester Himes, ont détourné les éléments progressistes des deux communautés d’une lutte émancipatrice en la confinant dans un cadre racial et religieux.
De plus Himes n’a jamais prôné la passivité ; dans sa situation d’immigré en France, il a eu le courage de faire dans un article, lors de ta guerre menée par la France en Algérie, le parallèle entre l’OAS et le KKK.