En 1974, la dictature franquiste arrivait à son terme, mais elle était toujours aussi féroce et l’une de ses dernières victimes fut Salvador Puig Antich exécuté à l’âge de 25 ans.
Salvador Puig Antich était employé de bureau en 1968 à Barcelone. Dans son quartier, il fréquente les « Commissions ouvrières », syndicat alors indépendant. D’autre part il suit des cours du soir à l’institut Maragall. En 1969, il fait partie de la « Commission des étudiants de bachillerato » de ce collège. C’est après avoir effectué son service milliaire qu’il commence à participer aux activités du MIL en novembre 1971.
Le MIL (Mouvement ibérique de libération), implanté à Barcelone, était issu de la réunion de trois « équipes » inspirées d’une part par les théories anarchistes, d’autre part le syndicalisme révolutionnaire, le conseillisme et le situationnisme. Ses membres étaient en rupture avec les organisations anarchistes classiques alors très divisées et opposées à l’action violente. En décembre 1970, ces équipes avaient participé à la grève de l’usine Harry-Walker qui dura 62 jours et qui fut l’une des plus dures de celte époque. En mars 1971, une brochure appelait au boycott des élections syndicales, elle était signée « 1 000 ». Le sigle n’a aucune importance pour les membres du groupe. La presse et la police qui veulent absolument une signature, trouveront la signification des trois lettres MIL.
L’un des buts du MIL est la publication de textes théoriques qui sont difficiles à trouver en Espagne à cette époque. Le matériel destiné à l’impression est très cher, il faut de l’argent. Le MIL décide de passer à l’action : pour financer ses activités, il va pratiquer l’expropriation. Entre juillet 1972 et septembre 1973, une douzaine d’attaques de banques seront revendiquées par le MIL. Sous le franquisme, la répression et la présence policière étaient telles que personne n’osait pratiquer de hold-up. Il n’y avait pas de systèmes d’alarme sophistiqués et les expropriations étaient plus faciles à réaliser que dans d’autres pays.
Le MIL cherchait à éviter la violence contre les individus. Ces actions étaient revendiquées par le texte ou la parole. Dans l’un des tracts était saluée la mémoire de Francisco Sabaté, guérillero anarchiste actif en Catalogne entre 1945 et 1960, date à laquelle il fut tué. Salvador Puig Antich était en général le chauffeur du groupe pratiquant l’expropriation. Les sommes d’argent récupérées sont importantes : 1 mil-lion de pesetas à Bellver de Cerdanya le 15 septembre 1972, 1 million à la Banco central le 28 novembre, 1 million et demi à la Banco Americano-Hispano le 2 mars 1973... Du matériel d’imprimerie est également volé à Toulouse ainsi que des papiers officiels.
Cet argent va servir à alimenter des caisses de solidarité avec des usines en grève et à l’édition de textes. Les éditions « Mayo 37 » sont créées en janvier 1973. Seront publiés des textes de Camilo Berneri (anarchiste italien assassiné par les staliniens en mai 1937), Les Conseils ouvriers d’Anion Pannekoek, « Le Dossier San Adrian del Besos » (compte-rendu d’un conflit très dur en avril 1973), De la misère en milieu étudiant (brochure situationniste)... Une revue est également créée, elle s’appelle CIA (« Conspiration internationale anarchiste »). Elle n’aura que deux numéros dans lesquels on retrouve les deux tendances du MIL (le premier numéro est plutôt anar, le second ultra-gauche).
Mais le MIL ne veut pas se spécialiser dans les expropriations et se transformer en appareil militaire. Si son rôle d’appui aux luttes est important, les membres du groupe pensent que ces luttes n’ont pas besoin d’une organisation permanente spécialisée. Aussi en août 1973, un congrès du MIL décide sa dissolution. C’est donc après sa disparition que certains membres du MIL vont connaître une fin tragique.
Le 21 juin 1973, Salvador Puig Antich avait malencontreusement oublié dans un bar une sacoche contenant des documents compromettants. La police put alors localiser les planques du MIL. Le 15 septembre, un an après une première expropriation, trois membres du MIL s’attaquent à nouveau à la Caisse d’Épargne de Bellverde Cerdanya. Malheureusement, en un an, la police a fait des progrès, elle est très rapidement sur les lieux et Oriol Solé Sugranyes, 25 ans, et José Luis Pons Llobet, étudiant de 18 ans sont arrêtés, exhibés dans les villages et maltraités. Le troisième, Jorge Solé Sugranyes parvient à se réfugier en Belgique.
Le 25 septembre, Salvator Puig Antich avait rendez-vous avec un ami mais celui-ci avait été arrêté deux jours plus tôt et la police organise un guet-apens. Une fusillade éclate, Salvador Puig Antich est grièvement blessé, un inspecteur de police est tué, probablement par ses collègues car Puig Antich n’était plus en état de tirer après les coups qu’il avait reçus.
Le procès du MlL a lieu les 7 et 8 janvier 1974. Le verdict était connu d’avance. Les pressions de l’extrême droite étaient fortes ; au mois de décembre l’amiral Carrero Blanco, successeur désigné de Franco, avait été exécuté par un commando de l’ETA. Il fallait faire un exemple et la police menaçait de manifester à Madrid si Salvador Puig Antich n’était pas exécuté. Torturés pendant leur incarcération, les inculpés présentent encore des marques de brûlures sur le visage. Pendant le procès, ils sont insultés par les policiers présents dans la salle. A la sortie du tribunal, les avocats sont molestés par les « Guerilleros du Christ-Roi ». Salvador Puig Antich est condamné à la peine de mort, José Luis Pons Llobet à 30 ans de prison, son amie Maria-Augustias Mateos Fernandez, lycéenne de 17 ans, à 5 ans de prison.
Malgré les protestations venues du monde entier (manifs, meetings, attentats), le 2 mars 1974, Salvador Puig Antich est assassiné. On lui fait subir une torture digne de la Sainte-Inquisition, le supplice du garrot. Afin de faire croire qu’il n’était qu’un gangster le même jour est également assassiné Heinz Chens, comédien ambulant, émigré polonais, accusé d’avoir tué un Garde civil dans des conditions demeurées obscures. Comme après l’exécution de Francisco Ferrer en 1909, mais dans des proportions moindres, les réactions furent multiples : manifs , attentats et affrontements à Barcelone, nombreuses manifs dans toute l’Europe (parfois violentes), enlèvement par les GARI (Groupes d’action révolutionnaire internationale) d’un banquier espagnol à Paris...
Franco est mort dans son lit le 20 décembre 1975...
A lire :
Cortade (André). Le 1 000 : histoire désordonnée du MIL, Dérive 17, 1985.
« La Vérité sur les emprisonnés de Barcelone ». Suppl. à Front libertaire, 1974.
Barrot (Jean). Violence et solidarité révolutionnaire. Ed. De l’Oubli, 1974.
En plus des conseils de lecture donnés en 1994 par l’auteur de cet article :
Mouvement Ibérique de Libération : Mémoires de rebelles (PDF), de Jean-Claude Duhourcq et Antoine Madrigal (livre publié en 2007 et réédité en 2016). Editions du CRAS. Vous pouvez également commander la version papier en téléchargeant ce bon de commande (384 pages, format 14,5 x 20,5. Édité en mai 2007. 15€ port compris). Salvador Puig Antich - Guérilla anticapitaliste contre le franquisme, 16 euros. Éditions Noir et Rouge, 2022. Ouvrage collectif coordonné par Ricard de Vargas Golarons. |