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Sur les traces de l’anarchisme au Québec - 2. L’essor d’un mouvement ? (1900-1910)

samedi 11 novembre 2023, par Michel Nestor (CC by-nc-sa)

La fin du XIXe siècle est marquée par l’apparition de nombreux groupes social­istes au Québec. Portés par une nouvelle génération de militants ouvriers, la plu­part des différents courants révolutionnaires de l’époque trouvent un écho dans la région de Montréal. Ce foisonnement commence en 1890 avec l’apparition d’une cel­lule du Socialist Labor Party (SLP), un parti révolutionnaire créé en 1877 aux États-Unis grâce aux efforts d’un intellectuel marxiste originaire des Antilles, Daniel De Leon. Les membres fondateurs de la branche montréalaise du SLP, pour la plupart des immi­grants originaires de la Grande-Bretagne, font alors partie de l’une des multiples sec­tions des Chevaliers du travail [1]. Mais, au fur et à mesure que le flot d’immigrants d’Europe de l’Est se déverse sur les rives du Saint-Laurent, d’autres groupes social­istes se développent à Montréal. Très bientôt, l’anarchisme prend également son essor, tout particulièrement au sein de la communauté juive.

Les libertaires du Yiddishland

Si les idées libertaires, notamment celles de Proudhon, ont un écho au Québec avant 1900 [2], les premières traces signi­ficatives de ce courant politique apparais­sent avec le siècle qui commence, tout par­ticulièrement les thèses anarcho-communistes et anarcho-syndicalistes. C’est d’abord dans les milieux ouvriers juifs que s’affirme la présence des anarchistes à la fin du XIXe siècle. D’après le chroniqueur Israel Medresh, plusieurs d’entre eux ont migré directement de l’Europe de l’Est, tan­dis que d’autres ont séjourné brièvement à Londres ou à New-York [3]. Ces derniers avaient pour la plupart appris l’anglais et connaissaient bien la littérature anarchiste d’Europe de l’Ouest. Toujours selon Medresh, certains, parmi les anarchistes venus de New-York, avaient été recrutés par de grosses firmes montréalaises comme ouvriers experts ou arti­sans spécialisés de premier ordre dans les métiers de la confection, notamment la fabrication des vêtements féminins et des corsages [4].

Hirsch “Harry”
Hershman
(1876-1955)

Ces ouvriers ne mirent pas beaucoup de temps avant de s’organiser poli­tiquement dans leur nouveau milieu de vie. En 1903, à l’initiative d’un groupe d’immigrants anarchistes et socialistes, s’ouvre la première bibliothèque juive à Montréal. C’est à New-York que le groupe s’approvisionne d’abord en livres et en jour­naux. Une douzaine de personnes se réu­nissent ainsi quotidiennement chez l’anar­chiste Hirsh Hershman (1876-1955) pour lire et débattre de leurs idées. Originaire de Bukovina (Roumanie), Hershman est actif dans le mouvement syndical depuis son arrivée en Amérique. Comme beaucoup d’immigrants originaires d’Europe de l’Est, il travaille d’abord à New-York comme tailleur dans l’industrie du vêtement avant d’arriver au Québec en 1900. Peu après l’ouverture de la bibliothèque, Hershman participe à la création du Mutual Aid Group, un cercle de discussion libertaire créé en l’honneur de l’a­narchiste russe Pierre Kropotkine. Le Mutual Aid Group s’adresse aussi bien aux ouvriers juifs montréalais qu’aux intellectuels radi­caux de l’époque. On retrouve parmi eux Richard Kerrigan, un militant syndical autre­fois membre de la cellule du SLP, ainsi que le poète Jack Dorman. C’est à cette période que Hershman créé des liens avec Rudolf Rocker (1873-1958), l’un des principaux théoriciens de l’anarcho-syndicalisme européen, avec lequel il entretiendra une correspondance pendant près d’un demi­-siècle [5].

Constatant le manque de vie culturelle et littéraire dans la communauté juive à Montréal, Hershman ouvre à la fin de l’an­née 1903 une librairie sur le boulevard Saint-­Laurent dans un local qu’il loue pour 5$ par mois. En plus de vendre des œuvres de fic­tion et une bonne partie de la presse juive new-yorkaise, celui-ci laisse une grande place à la littérature anarchiste dans les rayons de son magasin. Rapidement, sa librairie devient un centre culturel de toute première importance. Des ouvriers passent y prendre un verre de soda, achètent leurs journaux et discutent pendant des heures en s’appuyant sur les écrits de Rudolf Rocker, Pierre Kropotkine, Michel Bakounine, Johann Most ou Emma Goldman pour étay­er leur pensée. Deux ans plus tard, Hershman fonde le journal Der Telegrapher. Publié en yiddish, il vise à informer les com­munautés russes et roumaines de Montréal. D’autres journaux sont distribués par les anarchistes montréalais, notamment Di Fraye Arbayter Shtime (la voix libre des tra­vailleurs), un bimensuel américain de langue yiddish fondé à New-York à la toute fin du XIXe siècle, est rapidement devenu le principal journal anarchiste juif d’Amérique du Nord.

L’édifice du Arbeiter Ring, vers 1940. [Archives de la Bibliothèque publique juive de Montréal, PR1050_0003, Fonds 1050]

À en croire plusieurs observateurs de l’époque, l’anarchisme a le vent en poupe dans la communauté juive montréalaise, d’autant plus que celle-ci se développe rapidement grâce à l’afflux constant de réfugiés fuyant les pogroms qui se multiplient après l’échec de la révolution de 1905 en Russie. Signe des temps, une seconde librairie « ra­dicale » ouvre ses portes sur le boulevard S­aint-Laurent. Contrairement à celle de Hershman, celle-ci distribue exclusivement de la littéra­ture révolutionnaire. La création en 1906 d’une branche montréalaise de l’Arbayter Ring (le cercle des travailleurs) témoigne également du développement des idées rad­icales à Montréal. L’Arbayter Ring est une organisation « fraternelle » proche des idées anarchistes qui sert de pôle de référence cul­turel en faisant la promotion du yiddish auprès des ouvriers. Selon Israel Medresh, les immigrants qui arrivèrent à Montréal après 1905 rencontrèrent, au sein de ce cercle, des juifs qui s’étaient engagés en Russie dans des mouvements insurrec­tionnels contre le tsar et qui avaient lutté sur les barricades de Minsk, de Vilnius et dans d’autres villes de la Zone de résidence juive (...). Plusieurs avaient purgé des peines dans les prisons tsaristes ou avaient été déportés vers la Sibérie, d’où ils s’étaient enfuis pour finalement aboutir à Montréal [6].

De tous les courants socialistes actifs dans la communauté juive (qui compte alors plus de 10 000 personnes), les anarchistes en particulier formaient un groupe plus important sur le plan numérique et avaient été les premiers à s’organiser en mettant sur pied, à Montréal, une cellule appelée Frayhayt (liberté). À Toronto, ils avaient sus­cité l’apparition d’un groupement connu sous le nom de Royter Kraytz (le cercle rouge), et à Winnipeg, Fraye Gezelshaft (société libre). Au cours des premières années de leur exis­tence, ces associations anarchistes étaient beaucoup plus vigoureuses que leurs équi­valents socialistes [7]. L’historien Ivan Akumovik atteste lui aussi de cette présence au Québec : À Montréal, Toronto et Winnipeg, il existait aussi de petits groupes d’anarchistes, qui dénonçaient à la fois les socialistes et les employeurs, dans leur com­bat pour une société sans état, sans classe et sans argent [8]. Contrairement à d’autres courants socialistes présent dans la commu­nauté juive, les anarchistes sont ouverte­ment athées et anti-nationalistes, ce qui ne manque pas de créer des conflits avec les divers groupes sionistes. Un militant du début du siècle, Jacob Salomon, décrit les activités politiques de ces différents groupes : plusieurs factions militantes se disputaient fermement le terrain. Elles inondaient les rues habitées par les Juifs de leurs dépli­ants, de leurs brochures et de leurs périodiques, autant les anarchistes que les socialistes, les bundistes et tous les autres. Les invitations à des conférences et à des débats publics gratuits attiraient un grand nombre de gens [9].

Emma Goldman à Montréal

Au mois de février 1908, la militante anarchiste Emma Goldman (1 869-1 940) prononce une série de conférences à Montréal dans le cadre d’une tournée à tra­vers le Canada [10]. Sa venue soulève quelques remous dans les journaux de la Métropole : un chroniqueur de La Presse va même juger bon de dissocier les classes laborieuses canadienne-françaises des idées chères à l’anarchiste d’origine russe. Emma Goldman est accueillie par un groupe anarchiste nouvellement formé, l’Arbeiter Freund (l’ami des travailleurs) [11]. Profitant de la présence de Goldman, Arbeiter Freund tente d’effectuer un rapprochement avec les francophones et les anglophones en organ­isant un meeting en anglais. Voici comment Goldman décrit son premier passage à Montréal dans les pages du bulletin anar­chiste new-yorkais Mother Earth :

Montreal, the city of the dark ages, priest­craft and churches, proved unusually wide awake this time. Two packed Jewish meet­ings. But then, Jewish meetings are allways packed -with men, women, infants, and baby-carriages. The herding instinct of my race has aided its survival, despite ail the horrors it was made to endure. Besides, what would becomes of progress were it not for the Jews ? (...) Weil, weither it is acceptable or not, the Jewish Anarchists are acquainting Americans with Anarchism, especially since they have learned to realize that it is the English-speaking public that needs awaken­ing. Their sleep being almost death-like, it requires more energy, more constant and systematic efforts. Such efforts the "Arbeiter Freund" group of Montreal has certainly brought into play wh en it arranged the English meeting Sunday, Feb. 15th. No won­der it was a great success especially from an educational stand point. The same newspa­pers that gave a fair interview with myself, together with other papers, hastened to sound the alarm of horror. A meeting on sun­day, in superstition-ridden Montreal, and attended by Canadians ! Canadians, who were so bold-faced as to publicly declare themselves in sympathy with the lecture on "The Relation of Trade Unions to Anarchism", and even a vote of thanks to the speaker ! Unheard of ! Of course it is the fault of those foreign Anarchists ; if it were not of those creatures Canada would continue to be dull and pious and stupid. But as it is, some light may enter benighted Canada, and that’s more than the average newspaper editor can stand [12].

Les conférences en anglais pronon­cées par E. Goldman se dérouleront à la Bourse du Travail, l’édifice des syndicats internationaux à Montréal. Le bulletin Mother Earth nous apprend que ces rencontres publiques auront permis d’amasser la somme de 74$ pour le financement de son journal (qui alors coûte à peine 5 cents). C’est à nouveau dans les pages de Mother Earth qu’est annoncée l’adhésion du groupe Arbeiter Freund à la Fédération anarchiste de New-York, dont le rayonnement dépasse largement les limites de cette ville pour inclure des collectifs un peu partout dans le nord-est américain.

Un marxiste libertaire : Albert Saint-Martin

Albert Saint-Martin

D’après l’auteur Claude Larivière, c’est le militant socialiste canadien-français Albert Saint-Martin qui aurait loué la Bourse du Travail pour les conférences d’Emma Goldman à Montréal. Membre influent de la section francophone du Parti Socialiste du Canada (PSC), Albert Saint-Martin (1865-1947) est un personnage-clé de l’histoire des idées révolutionnaires au Québec. L’originalité de ses positions mérite qu’on s’attarde quelque peu sur ses activités. Sans être anarchiste, Saint-Martin a su développer tout au long de sa vie une pratique politique à la croisée du socialisme, du conseillisme et de l’anarchisme.

Pendant la période qui nous intéresse (1900-1910), Saint-Martin fait la diffusion de l’espéranto, une langue universelle en laquelle de nombreux libertaires fondent beaucoup d’espoir. Dans l’esprit de ses propagateurs, l’espéranto doit permettre aux prolétaires de tous les pays d’harmoniser leurs intérêts par l’usage d’une nouvelle langue commune. C’est ainsi que Saint-Martin participe en 1902 à la création d’une revue publiée dans cette langue, intitulée La Lumo (La Lune) : La Lumo enseigne une langue. Elle répand aussi un idéal : l’unité fraternelle des peuples et des races ; la lutte commune pour l’intelligence et la science.  [13]. Trois ans plus tard, Saint-Martin participe à l’ouverture du premier club espéranto à Montréal. Ce dernier vit alors dans une « commune socialiste » dans le quartier Maisonneuve en compagnie des membres de sa famille et de quelques militants francophones avec lesquels il va créer deux coopératives d’alimentation au centre-ville. Aux yeux des autres socialistes, Saint-Martin est un militant « différent » alors que pour d’autres, il est tout simplement « original ». Sa trajectoire l’amènera à militer d’abord au Parti Ouvrier (travailliste) d’où il sera expulsé en 1907 à cause de son affiliation au Parti Socialiste du Canada (PSC), une organisation que certains qualifient de libertaire (pour sa critique anti-capitaliste, anti-réformiste et anti-étatique) [14]. Pour ces raisons, le PSC refuse d’adhérer à la Deuxième Internationale et demeure très critique à l’égard des trade-unions. Nous reviendrons plus en détail sur le PSC et les activités d’Albert Saint-Martin dans notre prochain numéro, d’autant plus qu’avant 1911 (l’année d’une scission importante avec son aile social-démocrate), cette organisation politique semble s’intéresser davantage à la propagande électorale qu’à l’action directe.

Des anarchistes francophones ?

Si les informations sur les milieux anarchistes juifs sont relativement « nombreuses », il n’en va pas de même pour les autres groupes linguistiques. Pourtant, certaines pistes nous permettent de penser qu’il y a bel et bien eu des groupes anarchistes ou libertaires francophones à Montréal au tout début du XXe siècle. Dans l’un de ses nombreux articles sur l’extrême-gauche au Québec, le journaliste Jacques Benoit rapporte l’envoi au journal La Presse d’une lettre signée par le Groupe anarchiste de Montréal en 1905, suivi quelques années plus tard par la création du cercle Alpha Omega, proche des idées socialistes libertaires. Benoit cite le journal catholique La Vérité, qui décrit le cercle Alpha Omega comme un groupe de socialistes à allures d’anarchistes, de révolutionnaires et de toute une bande de sectaires enragés [15]. D’autre part, l’éditeur montréalais Dimitri Roussopoulos indique que des témoignages nous signalent la présence des travailleurs canadiens-français, avant la Première Guerre mondiale, arborant le drapeau noir des anarchistes lors des manifestations du premier mai [16], sans toutefois donner plus de précisions. Quoi qu’il en soit, d’autres sources viennent confirmer la présence d’anarchistes lors des toutes premières manifestations célébrant la Journée internationale des travailleurs à Montréal.

Les manifestations du 1er Mai

D’après Israel Medresh, les radicaux aujourd’hui plus âgés racontent que l’organisation des défilés du 1er mai à Montréal relevait des anarchistes [17]. Cette affirmation mérite quelques nuances. En effet, c’est à l’initiative de membres du Mutual Aid Group et du Parti socialiste du Canada que se déroule en 1906 la première manifestation du 1er mai à Montréal. Celle-ci faillit ne pas avoir lieu, les ouvriers d’origine juive craignant que leurs camarades francophones et anglophones ne se désistent à la dernière minute en les laissant manifester seuls dans les rues de Montréal. C’est finalement Jack Dorman qui servit de médiateur entre les différents groupes linguistiques, permettant à chacun d’eux de compter sur l’appui des autres. À en juger par le compte-rendu publié par le journal La Patrie, cette première manifestation fut couronnée de succès : la manifestation socialiste a été imposante et par le nombre de manifestants et par l’enthousiasme qui n’a cessé de régner dans les rangs de la longue procession qui a défilé par les rues Sainte-Catherine, Saint-Denis, Craig et Saint-Laurent [18]. D’après les journaux, entre 500 et 1 000 personnes de toutes « nationalités » confondues (Italiens, Roumains, Juifs, Irlandais et Canadien-français) se sont d’abord réunies vers 19h00 à la Salle Empire avant de se diriger vers le Champ de Mars accompagnées par une fanfare. Au nombre des manifestants, on retrouve les ouvriers de la Bargain Clothing Co. qui se sont mis en grève le matin même après que leur patron ait refusé de leur accorder congé pour le 1er mai et de réduire leurs heures de travail [19]. Sur le trajet, les manifestants s’arrêtent sur la rue Saint-Denis devant l’Université Laval et crient « Vive l’Anarchie ! » et « À bas la calotte ! » [20], ce qui ne manque pas de susciter la controverse parmi les bourgeois et les étudiants qui observent la scène. À leur arrivée au Champ de Mars, Jack Dorman prend la parole pour dénoncer le pouvoir des despotes, tout en prédisant le triomphe du socialisme dans tout l’univers [21]. Il encourage les participants à manifester leur solidarité avec trois membres de la Western Federation of Miners accusés du meurtre du gouverneur de l’Idaho. Une quête s’organise séance tenante parmi les manifestants et rapporte la somme de 8 $ !

Cette première célébration du 1er mai marque le début d’une tradition à Montréal ; à chaque année, ils seront des centaines, voire des milliers, à défiler dans les rues de la Métropole malgré la répression qui s’abat progressivement sur eux. En effet, la police s’intéresse de plus en plus aux milieux anarchistes et socialistes montréalais et cherche à faire interdire toute manifestation du 1er mai par le conseil de Ville. Dans une lettre pastorale largement diffusée dans les quotidiens du 29 avril 1907, Monseigneur Bruchési condamne à son tour les manifestations socialistes tenues à l’occasion de la Fête internationale des travailleurs. L’évêque de Montréal écrit :

Des hommes qui se proclament socialistes, non contents d’affirmer par la parole ou par la plume des principes subversifs de l’ordre établi, ont fait l’année dernière (...) une démonstration dont notre population garde un très pénible souvenir. Ils ont paradé, drapeau rouge en tête, et de leurs rangs sont parties des injures à l’endroit de l’Église et de la religion. (...) Nous observerons surtout qu’il y avait là l’affirmation de doctrines fausses, dangereuses et formellement condamnées par l’Église, comme par la raison et l’expérience des siècles. En effet, le droit de propriété privée est l’une des bases sur lesquelles la société repose. Or c’est précisément ce droit de propriété privée que le socialisme combat. Bien plus, il veut montrer dans la propriété la cause de toutes les injustices et de tous les crimes, et par là souffle au cœur des masses des sentiments d’envie, de haine et de vengeance capables d’engendrer les plus déplorables désordres. Grâce à Dieu les partisans de ces funestes utopies ne sont pas encore nombreux parmi nous, mais ils s’efforcent par tous les moyens de faire école et d’attirer à eux les ouvriers. C’est notre devoir de les dénoncer et de mettre le peuple en garde contre leurs enseignements et contre le zèle qu’ils déploient pour faire des recrues. (...) Mais aller dans les rues, à la suite de ce drapeau reconnu aujourd’hui partout comme le triste symbole des idées révolutionnaires et anarchiques, s’insurger contre ce qui garantit l’ordre et la paix publics, déclarer la guerre aux décisions augustes et aux sages directions de l’Église, semer sur le chemin ou dans des réunions tumultueuses, des germes de discordes et de troubles, cela n’est pas chrétien, cela n’est pas patriotique, cela n’est pas canadien, et avant que le mal ne devienne trop grave nous voulons faire tous nos efforts pour le conjurer. Que tous les amis de l’ordre prêtent leur concours. [22]

L’invitation du clergé sera entendue par les étudiants de l’Université Laval. Ceux-ci iront par dizaines attaquer les manifestants réunis au Champ de Mars le premier mai 1907 avant que le rassemblement ne soit finalement dispersé par les charges répétées de policiers à cheval. Le même scénario se reproduira pendant plusieurs années sans pour autant freiner l’ardeur des militants socialistes et anarchistes qui poursuivent néanmoins leurs activités.

Syndicalisme et lutte de classe

Un peu partout à travers le monde, une pratique syndicale révolutionnaire prend de l’ampleur dès la fin du XIXe siècle. Le mouvement ouvrier devient alors l’un des terrains de lutte privilégiés pour les anarchistes, qui s’efforcent de créer des syndicats combatifs et revendicateurs. Le principal objectif de ces organisations n’est pas d’obtenir telle ou telle réforme, mais bien de paver la voie à une révolution sociale par l’expropriation de la propriété privée et la réorganisation complète de la production. La visite au Québec d’une délégation ouvrière française en 1904 marque un tournant pour de nombreux militants syndicaux qui s’intéressent de plus en plus près à la perspective révolutionnaire. L’un des rares témoignages relatant cet événement provient d’Alfred Charpentier, un « pionnier » du syndicalisme catholique au Québec. Dans un article paru dans les années 1950, Charpentier décrit en détails la conférence organisée à Montréal en 1904 par un petit groupe de délégués de la Confédération Générale du Travail (CGT) en route vers les États-Unis. La CGT est alors une puissante organisation dans laquelle les anarchistes sont très présents, notamment à travers leur participation à la Fédération des Bourses du Travail. Devant un auditoire de 300 personnes composé de syndicalistes, de socialistes et de francs-maçons (dixit le très catholique Charpentier), les délégués de la CGT exposeront les divers moyens d’action directe (sabotage, grève sur le tas, occupation d’usines, etc.) employés par les travailleurs français afin de préparer la grève générale expropriatrice, ce grand chambardement permettant à la classe ouvrière de se débarrasser du capitalisme en ouvrant la voie au socialisme. À en croire Charpentier, cette rencontre laissa une forte impression aux participants montréalais.

L’année suivante, une première organisation syndicaliste révolutionnaire voit le jour en Amérique du Nord : il s’agit des Industrial Workers of the World (IWW). Le 27 juin au 8 juillet 1905, 200 délégués représentant plus de 35 000 travailleurs des États-Unis et du Canada se réunissent à Chicago afin de procéder à sa création. La plus grosse organisation à adhérer au nouveau syndicat est sans aucun doute la Western Federation of Miners, qui compte alors 27.000 membres. C’est à ce congrès qu’est adopté le préambule définissant les objectifs du syndicalisme industriel, préambule qui sera modifié en 1908 pour éliminer toute référence à la lutte « politique » (associée aux partis et à l’électoralisme) pour y substituer une action exclusivement « économique ». Les militants de l’IWW dénonçaient avec véhémence le syndicalisme de métier, d’affaires, de collaboration de classes, lui opposaient la conception d’un syndicalisme d’industrie, de solidarité ouvrière, de lutte de classes [23]. Les anarchistes américains seront nombreux à appuyer les efforts de l’IWW : il en sera de même au Canada tout au long de son histoire.

Le développement de l’IWW à Montréal commence en 1905. Parmi les personnes présentes au congrès de fondation à Chicago, on compte au moins deux Montréalais, W.T. Leach et Richard Kerrigan. Ils sont mandatés par la Bakers’ and Confectioners’ Union No. 48 afin de se joindre au nouveau mouvement. Kerrigan représente également deux autres groupes au congrès de fondation de l’IWW, la Fédération des cordonniers du Canada et la Wage Earners Union, sans toutefois n’avoir aucun mandat précis à défendre [24]. Certains des premiers militants de l’IWW (tel Richard Kerrigan) ont également fait partie des Chevaliers du Travail (Knights of Labor), l’ancêtre du syndicalisme de combat en Amérique du Nord. Mais contrairement à cette organisation, l’IWW est clairement anticapitaliste et fait l’apologie d’un moyen d’action alors tout nouveau pour les travailleurs québécois : la grève générale illimitée. Au cours des années à venir, le mouvement ouvrier aura maintes fois l’occasion de le mettre en pratique.

L’historien H.A. Logan est plus précis quant au membership de ces nouveaux syndicats : The real beginnings in Canada were associated with the influx in 1906 of Polish and Russian Jews as they fled from Europe after the failure of the Russian Revolution of 1905-1906. These were the days of agressive organization activities of the IWW and many of these immigrants, some of whom had already been active in underground union activities in Europe, were drawn into an IWW garment workers’ local in Montreal and a mixed local consisting of steel, wood, rubber and clothing workers in Toronto [25]. Après avoir réussi à créer une section regroupant les cloakmakers, l’IWW tenta au même moment de syndicaliser les tailleurs du vêtement masculin, deux secteurs manufacturiers où les anarchistes sont alors très présents [26]. Cette démarche eut lieu pendant la crise économique de 1907, mais la présence de l’IWW fut tout de suite combattue par divers syndicats de métiers qui finirent par avoir le dessus au cours des années suivantes. En 1912, l’IWW avait à toute fin pratique disparu dans l’industrie du vêtement à Montréal.

Bien qu’assez influente dans l’Ouest canadien et le nord de l’Ontario, l’IWW ne connaît pas au Québec de développement important. Sa progression sera entravée par de nombreux conflits avec des syndicats « internationaux » (c’est-à-dire américains), mais également par l’apparition en 1908 des premiers syndicats catholiques. Ceux-ci deviendront rapidement très influents auprès des travailleurs de langue française, tant et si bien qu’il restera très peu d’espace pour favoriser l’éclosion d’une conscience de classe autonome et révolutionnaire au sein de la classe ouvrière. Pourtant, des foyers d’incendie apparaissent ici et là, portés par les conflits sociaux qui frappent continuellement l’ensemble des sociétés capitalistes.

La révolte des pêcheurs

Si nous avons essentiellement parlé de la situation prévalant à Montréal, d’autres régions du Québec ont également connu d’importantes batailles sur le front de la lutte des classes. L’un des épisodes les plus importants s’est déroulé à l’automne 1909 sur la côte gaspésienne, dans le village de Rivière-au-Renard [27]. Il oppose plusieurs centaines de familles vivant de la pêche aux monopoles qui contrôlent cette industrie. Depuis près de 200 ans, un système d’exploitation particulièrement vicieux s’est mis en place dans toute la péninsule. Initiée par le marchand jersiais Charles Robin, l’arnaque est fort simple : des compagnies offrent aux pêcheurs de s’approvisionner à crédit dans leurs magasins pendant l’hiver. En échange, les pêcheurs s’engagent à vendre toutes leurs prises à ces compagnies l’automne venu, et ce au prix fixé par les marchands une fois la saison de pêche terminée. Année après année, le prix du quintal de poisson chute, entraînant les pêcheurs dans la spirale de l’endettement [28]. À défaut de pouvoir payer leurs dettes à l’automne, celles-ci sont reportées l’année suivante à la solde des familles. Mais dans bien des cas, les marchands envoient des huissiers pour saisir les rares biens des fautifs qui se retrouvent alors sans rien du tout pour passer l’hiver.

Le village de Rivière-au-Renard

Au mois de septembre 1909, cette situation devient tout simplement intolérable pour la majorité des pêcheurs. Ceux-ci apprennent avec colère que les compagnies ont décidé de fixer le prix du quintal de morue à 3,50$, 50 cents de moins que l’année précédente. Et dire que 10 ans auparavant, le prix était de 6$ ! Il n’en faut pas plus pour déclencher une véritable révolte dans plusieurs petits villages côtiers. Le 4 septembre, une centaine de pêcheurs rendent une visite aux agents des trois compagnies qui ont des comptoirs à Rivière-au-Renard. Leurs revendications sont simples : les pêcheurs exigent que le prix du quintal soit fixé à 4$ et qu’aucune saisie ne soit effectuée pendant l’hiver. Leur survie et celle de leurs familles en dépend. Cet ultimatum ne fait pas plier les marchands ; toutefois, la détermination des manifestants leur font craindre le pire. Les pêcheurs laissent aux compagnies un délai de 48 heures pour donner une réponse favorable à leurs revendications : si c’est non, dit l’un d’eux, on va revenir et on va vous sortir de la paroisse, tous, comme des chiens ! On va ouvrir vos magasins et on va placer quelqu’un d’autre dedans, à votre place, une fois qu’on se sera servis nous-mêmes. [29]. Les marchands prennent les menaces très au sérieux : le soir même, ils télégraphient au député de Gaspé, Me Adolphe Lemieux, pour obtenir l’aide du gouvernement fédéral. Celui-ci décide d’envoyer le lendemain deux bateaux de la marine pour rétablir l’ordre. En l’absence de chemin de fer et de routes praticables, la mer est le seul moyen de rejoindre rapidement la pointe de la Gaspésie. Cet isolement relatif laisse aux révoltés une certaine marge de manœuvre qu’ils et elles sauront mettre à profit.

Le 6 septembre au matin, l’ultimatum prend fin. Par centaines, les pêcheurs retournent à Rivière-au-Renard avec la ferme intention de reprendre leur dû. Certains cadres de la compagnie Fruing tentent de prendre la fuite : ils sont stoppés par des barricades érigées sur la route. Refusant de donner raison aux revendications des pêcheurs, ils sont copieusement rossés par les travailleurs en colère, qui sont maintenant plus de 400. Ceux-ci font maintenant la tournée des marchands à la recherche des responsables patronaux. Voyant approcher la foule de son établissement, l’un des cadres de la compagnie Hyman, Philip Romeril, tire à plusieurs reprises sur les « émeutiers » et blesse l’un d’eux à la jambe. Il est ensuite fait prisonnier par les autres pêcheurs. Ces derniers s’en servent comme monnaie d’échange pour désarmer d’autres employés de Hyman qui pointent des carabines sur eux. Les pêcheurs arrachent aux patrons qu’ils ont séquestrés un engagement écrit donnant satisfaction à leurs revendications initiales. En moins de trois heures, ce mouvement anarchique [30] a obtenu une victoire rapide et inattendue. Les pêcheurs croient avoir défait la minorité de possédants qui les exploitent depuis si longtemps.

Les marchands n’ont évidemment pas dit leur dernier mot : le lendemain, ils portent plainte contre quarante pêcheurs. Le shérif (!) de Gaspé les accuse d’avoir participé à un rassemblement tumultueux entravant illégalement le commerce de la morue et le cours normal des affaires. En outre, ces pêcheurs sont accusés d’avoir assailli, battu et tenté d’assassiner une dizaine de cadres et de patrons, en plus de s’être attaqué à la propriété des compagnies Fruing et Hyman. C’est la panique chez les élites locales : tous les jours, de nouvelles rumeurs laissent entendre que les pêcheurs vont s’attaquer aux établissements commerciaux de l’Anse-au-Griffon et de Grande-Grave. Les militaires accourus à Gaspé pour rétablir la loi et l’ordre envoient un télégramme à Ottawa le 9 septembre : Les marchands de Rivière-au-Renard sont maintenant à Gaspé pour leur sécurité, étant donné que les émeutiers défient le clergé, le maire et toutes les autorités et qu’ils ont décidé d’assumer eux-mêmes la loi. Seule une importante force armée peut rétablir la paix [31]. La réaction de la classe dominante ne se fera pas attendre. Le 11 septembre, deux croiseurs de la marine canadienne jettent l’ancre devant Rivière-au-Renard : 40 soldats débarquent à terre les armes à la main et procèdent à une vingtaine d’arrestations. Trois jours plus tard, une autre opération militaire effectuée pendant la nuit permettra d’arrêter quatre autres pêcheurs. Ils seront tous envoyés à Percé et jugés manu militari les 16 et 17 septembre. À la suite de ce procès expéditif, 22 des 24 accusés sont trouvés coupables d’émeute, de lésions corporelles et de blessures graves ; cinq d’entre eux sont condamnés à des peines de prison de 8 à 11 mois et incarcérés sur le champ. Quant aux promesses écrites faites aux pêcheurs, elles restent évidemment lettre morte. Une autre révolte spontanée vient de se terminer : l’exploitation, froide et meurtrière, peut à nouveau reprendre son cours.

Conclusion

La période historique que nous venons de survoler se révèle très féconde pour les idées anarchistes et libertaires, même si les francophones semblent quelque peu en retrait par rapport à ces développements. L’immigration européenne, combinée aux échanges bilatéraux entre le Québec et les États-Unis, favorisent l’éclosion d’expériences nouvelles, notamment au sein du mouvement ouvrier où le marxisme reste une idéologie encore peu connue. L’absence de parti communiste rend la tâche des anarchistes beaucoup plus facile, d’autant qu’on retrouve au sein du Parti Socialiste des militants assez proches des idées libertaires et anarcho-syndicalistes [32]. Cette tendance commencera à s’inverser entre 1910 et 1920, tout particulièrement après la révolution d’octobre et le triomphe des thèses léninistes. L’entrée en guerre du Canada aux côtés de la France et de la Grande-Bretagne compliquera grandement le travail des militants par l’adoption de lois répressives qui permettront d’interdire bon nombre d’organisations révolutionnaires partout en Amérique du Nord. Paradoxalement, c’est au cours de cette période que seront créés des liens durables entre anarchistes français et québécois.


 



[1Ce groupe diffuse le 3 septembre 1894 un manifeste rédigé en français à l’occasion de la Fête du travail, qui réunit chaque année des milliers de personnes dans les rues de Montréal. L’année suiv­ante, Daniel de Leon vient à Montréal au début du mois de mars à l’occasion d’une tournée de conférences à travers le Canada.

[2Voir à ce sujet la première partie de ce dossier dans Ruptures, no.1, automne 2001, pp. 21-24

[3Medresh, Israel (1997), Le Montréal juif d’autrefois, éditions du Septemtrion, p. 83

[4Ibid, p. 83

[5Rome, David (1986), « The Jewish Times » in The Immigration Story 1, Canadian Jewish Congress p.31-33

[6Medresh, Israel, op. cit. , p. 72

[7Belkin, Simon (1956-1999), Le mouvement ouvrier juif au Canada, 1904-1920, Éditions du Septentrion, Sillery, p. 92

[8Akumovik, Ivan (1975), The Communist Party in Canada : A History, Toronto, McClelland and Stewart Limited, p. 3

[9Belkin, Simon, op. cit. , p. 95. Les bundistes dont parle Belkin sont des membres du Yiddish Arbeit Bund (L’Union des ouvriers juifs de Pologne, de Lituanie et de Russie), créé en 1897. Mouvement révolutionnaire luttant à la fois sur le terrain politique et culturel contre l’exploitation des ouvriers et le racisme dont ils sont victimes, mais également pour l’égalité sociale et le rayonnement de la culture yiddish.

[10Il s’agit du premier voyage à Montréal pour Emma Goldman. Celle-ci aura toutefois l’occasion de séjourner au Québec à de très nombreuses reprises au cours des années suivantes, comme nous le verrons dans le prochain numéro. (Ruptures n°3)

[11Arbeiter Freund est également le nom d’un journal édité par Rudolf Rocker à Londres à la même époque.

[12Goldman, Emma (1908), « The Joys of Touring » in Mother Earth, vol.3, no. 3

[13Beaulieu, André et al. (1984), La presse québécoise des origines à nos jours, tome quatrième, 1890-1905, p. 149. Dès 1901, il existait à Montréal une autre revue en espéranto intitulée L’espérantiste canadien.

[14Gambone, Larry (1995), The Impossiblists, Red Lion Press, p. 3

[15Benoit, Jacques (1982), « Les anarchistes au Québec, une influence diffuse » in La Presse, 3 mai, p. A2

[16Roussopoulos, Dimitri (1980), « L’après-référendum... une perspective anarchiste » in L’impasse (sous la direction de Nicole Laurin-Frenette et de Jean-François Léonard), Ed. Nouvelle Optique, p. 105

[17Medresh, Israel,op. cit. , p. 85

[18La manifestation socialiste in La Patrie, 2 mai 1906, p. 142 Larivière, Claude (1979), Albert Saint-Martin, militant d’avant-garde (1865-1947), Éditions coopératives Albert Saint-Martin, p. 75

[19Larivière, Claude (1975), Le 1er mai, fête internationale des travailleurs, Éditions coopératives Albert Saint-Martin, p. 28

[20La manifestation socialiste in La Patrie, 2 mai 1906, p. 1

[21Groupe de chercheurs de l’Université du Québec à Montréal sur l’histoire des travailleurs québécois, L’action politique des ouvriers québécois (recueil de documents), p. 59-60

[22À ce sujet : Portis, Larry (1985), IWW et syndicalisme révolutionnaire aux États-Unis, Spartacus, pp. 138-140. On y retrouve la traduction française de ces deux préambules.

[23Guérin, Daniel (1970), Le mouvement ouvrier aux États-Unis 1867-1967, Ed. François Maspero, p. 36

[24À ce sujet : The founding convention of the I.W.W. (1969), Merit Publishers, New-York, 616 p.

[25Logan, H.A. (1948), Trade Unions in Canada, MacMillan Co. of Canada, Toronto, p. 211

[26Belkin, Simon, op. cit. , p. 69. Au début du XXe siècle, on désignait sous le nom de cloakmakers l’ensemble des travailleurs de l’industrie du vêtement féminin. Un cloak est un vêtement ample sans manche porté à cette époque par les femmes.

[27Toutes les informations sur cette révolte provienne d’un livre de Jacques Keable, La révolte des pêcheurs aux éditions Lanctôt.

[28Un quintal égale à 112 livres de poisson séché, c’est-à-dire vidé de son eau, de ses viscères, etc.

[29Keable, Jacques (1996), La révolte des pêcheurs, Lanctôt Éditeur, p. 83

[30Ibid, p. 91

[31Ibid, p. 108

[32McCormack, A. Ross (1977), Reformers, Rebels, and Revolutionaries : The Western Canadian Radical Movement.