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Han Ryner

Dessin de G. Raieter

mardi 12 novembre 2024, par Hem Day (CC by-nc-sa)

Né à Nemours, en Algérie, le 7 décembre 1861, de parents catalans des environs de Perpignan, Han Ryner, depuis son premier roman Chair vaincue, publié en 1889, jusqu’à son dernier livre, L’Eglise devant ses juges  [1], a produit une œuvre écrite considérable comprenant une soixantaine d’ouvrages, poésie, roman, théâtre, philosophie, à laquelle il faut ajouter un ample labeur de conférencier.

Han Ryner subit mille persécutions ridicules et une longue conspiration du silence tramée contre ses écrits, empêcha son œuvre de se répandre.

Mais une pensée aussi pure, sincère et désintéressée ne peut rester éternellement méconnue. Sous l’impulsion d’une jeunesse ardente et généreuse, conduite par Rosny aîné, Han Ryner s’est vu acclamer en 1922 « Prince des Conteurs philosophiques français ». C’était la digne consécration d’un noble talent chez un artiste indépendant, dont l’œuvre originale ne cesse d’être captivante.

On est séduit par sa pensée à la fois délicate et généreuse, lorsqu’on s’aventure à parcourir le vaste jardin littéraire et philosophique qu’il a créé. La lecture de ses œuvres exalta notre goût de la vérité, et notre animosité envers les dogmes.

Le respect de la pensée d’autrui et de la personnalité de chacun est la principale caractéristique de la philosophie rynérienne.

Ennemi du dogme glue qu’il soit, philosophique ou religieux, protestant ou catholique, qui affirme en dehors du domaine de l’affirmation et restreint la liberté du rêve. Han Ryner hait bien plus encore les imposteurs qui s’en réclament, que la religion elle-même, et ce sont ceux qu’il raille, cyniquement parfois, avec toute la verve sarcastique de son probe talent d’artiste.

Han Ryner est un de ces esprits indépendants qui ne sauraient être définis d’un mot. Chercheur solitaire, il n’est le porte-parole d’aucune secte et d’aucun groupe. Libre-penseur, il ne peut être rangé parmi les rationalistes purs ; mais on ne peut qu’éprouver la plus vive sympathie pour la liberté et la largeur de ses vues.

Une dernière citation nous fera pleinement saisir la pensée qu’il nourrit envers les religions :

Dieu, je ne suis pas sûr de ton existence, et si tu es, je ne sais ni ce que tu es, ni ce que tu veux. Tes interprètes, par quel moyen, en savent-ils plus que moi ? S’ils affirment quand je doute, c’est que les uns ont la sincérité de l’écho, mais que les autres ont l’ambition de me conduire et l’avidité de m’exploiter.

Léon Treich, dans le journal Le Soir du 9 janvier 1938, invoquant, dans son « Carnet Parisien » la noble figure que fut cet anarchiste paisible, pacifique relate ces quelques traits de sa vie qui nous le fait encore plus aimer :

Le pauvre Han Ryner n’était au reste nullement un homme d’argent : comment l’aurait-il été ? Il avait vécu, toujours, loin des caisses où se donnent les grasses subventions et loin aussi du public, qui dore parfois les hommes de lettres.

Plus loin il ajoute :

Il était avant tout plein de mépris pour ceux qui ne tenaient point le livre, le papier imprimé pour le seul but d’une vie digne d’être vécue. Lui, qui n’avait jamais eu d’autre dieu.

Cet exemple de vie, pleine de sagesse, doit être un enseignement pour les jeunes qui font métier d’écrire ; pour les autres, les arrivés et les jouisseurs, une gifle merveilleusement envoyée sur leur face de mufle.

Mais comme Han Ryner me l’écrivait jadis :

L’histoire d’un écrivain, c’est son œuvre. Et qu’elle ait été plus ou moins contrariée par les circonstances, qu’importe ? S’il y a quelques fleurs, on les respire ; quelques fruits, on s’en nourrit ; il n’y a pas grand intérêt à savoir si l’arbre a subi plus ou moins de vent est si des maladroits ou des malintentionnés ont cassé quelques-unes de ses branches. Le résultat compte seul.

Cette haute probité du grand écrivain, dont l’œuvre tout entière est une protestation éloquente contre le dogmatisme et l’autorité, qui en tant de domaines a persécuté et continue à vouloir entraver la libre pensée humaine, fait que sa pensée survivra en nous comme celle d’un des rares hommes de cette époque de sous-hommes.


 



[1Editions de l’Idée libre.