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Cahier d’un milicien dans les rangs de la CNT-FAI [02]

vendredi 24 mars 2023, par Albert Minnig (CC by-nc-sa)

Le Réveil anarchiste N°979 – 7 Août 1937

Cette précaution prise, ils pénètrent dans les dortoirs où les officiers, environ deux mille, reposaient confiants en la garde. Froidement, les libérateurs du peuple esclave se mirent à la besogne et tous ces exploiteurs à la solde du fascisme payèrent de leur sang les vies des camarades tombés par centaines la journée précédente, devant les canons et les mitrailleuses dans les rues de la ville. Ce récit nous glace d’abord, mais comment ne pas admirer autant de courage et de sang-froid ?

Comme l’instruction se fait le matin et ne dure qu’une heure par jour, nous profitons pour nous enfuir en ville, car nous entendons des choses qui nous laissent assez sceptiques et nous tenons à avoir des preuves. Nous arrivons place de Catalogne et regardons avec plus de soin que précédemment. Nous voyons les façades entièrement criblées de balles. Beaucoup de vitres ont été brisées ou percées et l’on comprend facilement quelle ardeur devait avoir la lutte. Nous descendons les Ramblas. A droite, c’est une grande église qui dresse ses murs noircis par l’incendie. Des ouvriers travaillent à boucher l’entrée en y faisant un mur. Plus bas à gauche, un local syndicaliste où il y eut une violente rencontre avec les fascistes. Le balcon est protégé d’un blindage d’acier et de petites meurtrières y ont été percées. A la place Colomb, c’est autre chose. Il y a des barricades derrière lesquelles s’étaient retranchés les camarades. Le grand bâtiment du consulat d’Italie est éventré par les coups de canons et la mitraille, car c’est depuis là que sont partis les premiers coups de feu. Une autre église est aussi à moitié démolie, car les curés tirèrent sur la foule avec des mitrailleuses. On nous explique les diverses positions qu’occupaient les rebelles, en particulier sur la colonne Colomb, qui domine tout ce grand quartier. Plusieurs centaines de personnes sont tombées et c’est grâce à l’audace des hommes et des femmes que ces positions ont été prises. Plus loin, sur un trottoir, un amas de couronnes, fleurs et écrits marque la place où est tombé l’indomptable Francisco Ascaso, qui, à la tête d’une poignée d’hommes, était parti à l’attaque et fut broyé par le feu des mitrailleuses. Nous écoutons avec tristesse les renseignements sur la vie de ce camarade, qui avait déjà tant souffert pour la cause de la liberté. Il est mort, nous dit le camarade espagnol qui nous accompagne, mais son souvenir reste profondément enraciné au fond du cœur des Catalans, qui lui ont fait la promesse de le venger.

Nous passons au port, où la lutte dut être âpre, car façades enfoncées, barricades de pavés, ballots de papier et taches de sang témoignent des événements passés. Toutes les rues où nous passerons ensuite portent les traces de combats sanglants et des monceaux de fleurs marquent les emplacements où sont tombés des héros.

Tout à coup, un camion chargé de miliciens armés passe à toute vitesse, cornant longuement. C’est, nous dit le camarade, une équipe de secours qui porte main forte au comité d’investigation à la suite de la découverte d’un nid de fascistes. Des coups secs résonnent, mais cinq minutes après le calme revient, le danger étant conjuré.

Notre petite enquête continue et nous arrivons devant un bâtiment qui ressemble à un pénitencier. C’est un séminaire et c’est à l’intérieur que s’éteindront mes derniers scrupules sur la religion. Les dalles ont été soulevées et des travaux de terrassement découvrent les preuves des crimes des curés. Des squelettes de grandes personnes et d’enfants, dont quelques-uns sont en pleine putréfaction, me glacent d’horreur et, avec indignation, je demande le motif de cette profanation. Mon camarade m’explique : une vive résistance nous était opposée de l’intérieur de cet immeuble, mais après un bon assaut on réussit à enfoncer les portes et saisir plusieurs mitrailleuses, une considérable provision de munitions, une vingtaine de curés et plusieurs nonnes (120 environ). Beaucoup de ces religieuses, en nous voyant pénétrer, levèrent le poing fermé en criant : Vive la FAI ! et accusèrent les directrices et les « Pères » de les avoir violées et fait subir des avortements. Les plus rebelles parmi elles avaient été assassinées et leurs cadavres cachés sous les dalles. Dans une petite pièce, nous voyons comment les supplices s’effectuaient. Le mur fait une saillie d’environ 80 cm. à 1 m. 70 de hauteur. Deux bracelets de fer qui maintenaient les bras levés sont encore fixés. Les pieds étaient attachés de la même façon, ce qui leur permettait de mener à bonne fin et sans effort leur œuvre sadique et cruelle. Pour terminer, des fac-similés de plusieurs documents nous sont montrés et traduits. Il y a des remerciements signés du pape et de Mussolini pour des envois d’argent faits pour la guerre d’Ethiopie. Plusieurs millions d’or et des titres de tous genres ont été trouvés dans les coffres, cependant que des centaines d’invalides et de mutilés tendaient la main pour du pain.

Après le repas, nous allons à un comité pour savoir si l’on peut coucher en ville. On nous indique un hôtel spécialement aménagé pour les miliciens qui veulent coucher en ville, car il ne faut pas monter à la caserne de nuit. Il y a trop de danger aux abords et souvent des miliciens sont tombés sous les coups de fusil des fascistes qui se cachent dans les bosquets environnants. On nous recommande aussi de ne pas fréquenter les mauvais quartiers, car beaucoup de miliciens ont trouvé la mort dans les bras d’une belle. Ceci a le don d’éveiller notre curiosité et chacun achète un bon poignard et nous voilà partis dans ces ruelles sombres et étroites, véritables coupe-gorges. Nous les traversons écœurés et nullement séduits par les malheureuses prostituées. Les mauvaises mœurs sont les résultats du régime capitaliste et par la suite cela disparaîtra presque complètement. Rentrés à l’hôtel, qui est gardé par un peloton de miliciens, comme il fait très chaud, nous tirons les lits sur la terrasse, où l’on passera une très bonne nuit.

Au matin, retour à la caserne pour l’instruction et l’organisation du départ. Une colonne doit partir pour Majorque, mais comme il ne reste pas de fusils, il nous faut attendre qu’il en arrive d’autres. En attendant, on organise un groupe de mitrailleurs. Le lendemain, deux petits Marseillais curieux viennent nous avertir qu’ils ont vu décharger un camion de fusils. Immédiatement, nous partons à leur suite, et ils nous conduisent vers les cachots. Entre les barreaux, nous apercevons des files d’armes. Vite au comité, qui nous fait un bon pour tout le groupe et nous voilà devant le magasinier qui nous remet les armes aussitôt. En même temps, nous regardons les cellules des condamnés à mort qui seront exécutés le lendemain à l’aube. Le gardien nous explique : Celui qui a la tonsure est un curé que l’on a pris hier caché dans un placard, dissimulé derrière un grand tableau dans une église, et qui a tiré avec une mitraillette sur ceux qui l’avaient découvert. Un autre est un espion, Français d’origine, qui s’était glissé, à l’aide de faux papiers, dans les rangs des milices et qui s’est fait prendre bêtement volant un rasoir dans la valise d’un camarade. Après une fouille en règle, le comité a trouvé sur lui des papiers compromettants et le lendemain il sera exécuté, au milieu de la caserne, afin qu’il serve d’exemple pour ceux qui seraient venus avec les mêmes intentions. Plusieurs autres fascistes occupent les autres cellules, car ils ont participé à divers soulèvements.

Ces traîtres ne nous intéressent pas. Nous chargeons les fusils sur les épaules et allons les distribuer à nos camarades. Chacun s’exerce avec des munitions au maniement du fusil qui lui sauvera souvent la vie. Quelques heures d’entraînement, les connaisseurs donnant des conseils à ceux qui n’ont jamais manié d’armes, et tout le groupe est prêt à partir. Chacun s’est acheté un bonnet de la CNT-FAI et nous recevons tous espadrilles, tutas et cartouchières.

Une colonne, part le lendemain pour le front d’Aragon et nous sommes inscrits pour partir avec elle. Nous consacrons les derniers instants à quelques plaisirs, qui pour beaucoup seront les derniers. La nuit nous semble longue, car nous ne dormons pas en songeant à ce qui nous attend. Le 6 septembre, jour tant attendu est enfin arrivé, et à 7 heures du soir tout le monde est groupé dans la cour. La colonne s’ébranle lentement et défile dans les rues qui sont pleines de monde qui nous fait une ovation formidable. Des dizaines de mille personnes nous acclament frénétiquement à travers Barcelone. La cadence de notre marche est rythmée par CNT-FAI — CNT-FAI — CNT-FAI.