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Augustin Souchy 1 - Attention : anarchiste ! [08]

vendredi 29 novembre 2019, par Augustin Souchy (CC by-nc-sa)

Nous autres, jeunes socialistes de Berlin, nous nous placions du côté de nos camarades français et anglais. Nous voulions sérieusement combattre la guerre et le militarisme. La Fédération socialiste fonda un comité pour appeler les travailleurs allemands à une journée où seraient discutées les actions internationales pour la paix. Nous étions d’avis qu’une grève générale était préférable à une guerre mondiale. Nous étions sûrs que le mouvement ouvrier français, syndicaliste et antimilitariste se solidariserait avec des actions contre la guerre venant d’Allemagne. Car de l’Allemagne et de la France dépendait la paix mondiale.

Gustav Landauer avait écrit un article – « L’abolition de la guerre par l’autodétermination des peuples, questions aux travailleurs allemands » – que nous tirâmes à 100 000 exemplaires [1]. Mais le tract fut remis aux mains de la police par le mouchard Prawitz Reimann, et confisqué avant d’avoir été diffusé, le 4 décembre, à cause de l’appel à la grève générale qu’il contenait. La saisie était illégale car il n’y avait pas, dans le code pénal allemand, de paragraphe prévoyant des peines pour la dénonciation des conditions de travail ou l’arrêt du travail. Malgré cela, la chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Berlin confirma le jugement le 25 mars 1912. Le tract resta interdit, les exemplaires déjà imprimés et la composition furent détruits. Personne ne put être condamné, car le texte de Gustav Landauer n’était pas signé (ce n’est qu’en 1919 qu’il apparut avec le nom de l’auteur dans le recueil d’articles Rechenschaft).

J’interromps ici l’exposé des événements pour raconter une anecdote personnelle : le 18 mars 1912, je déposais une gerbe sur la tombe des révolutionnaires tombés en mars 1848, en compagnie de quelques compagnons d’idées lorsque, à la sortie du cimetière, je fus appréhendé par la police. Ce n’est qu’après plusieurs heures d’interrogatoire au poste de police, lorsqu’il apparut que j’étais bien né en Allemagne, dûment estampillé et irréprochable au regard de la loi, que je fus libéré. La raison de mon arrestation j’étais encore un « bleu » dans le mouvement, et donc encore inconnu des services de police. L’appartenance à un groupe socialiste libertaire n’était pas interdite par la loi, mais celui qui faisait partie de ce mouvement bien peu constitutionnel dans ce régime autoritaire prussien devait s’attendre à être sans-cesse filé, arrêté, contrôlé et tracassé par là police.

En 1912, l’extension du conflit des Balkans menaçait de dégénérer en une guerre européenne. Mais après l’attentat du nationaliste serbe Prinzip contre l’archiduc autrichien François-Ferdinand et sa femme, le 28 juin 1914 à Sarajevo, le danger d’un conflit guerrier entre les grandes puissances était à son comble. C’était maintenant qu’on allait voir si la volonté de paix des peuples serait plus forte que le chauvinisme nationaliste, si l’idéal du socialisme humaniste remporterait sur les intérêts du capital international.


[1L’article parut en dépit de l’interdiction du tract dans Le socialiste n°19 (1er octobre 1912).