A la suite de la libération des esclaves en 1888, les patrons et l’État brésiliens cherchèrent à remplacer cette main-d’œuvre bon marché par l’importation de travailleurs européens relativement qualifiés, considérés comme plus productifs. Italiens, Portugais, Espagnols, Allemands, Autrichiens, Polonais et individus d’autres nationalités affluèrent en masse dans cet immense pays, attirés, comme en Argentine, en Uruguay ou aux États-Unis, par la propagande officielle qui proposait de meilleures conditions de vie dans cette nouvelle terre promise.
Le plus important courant migratoire provint, comme en Argentine, de l’Italie. Entre 1884 et 1903, plus d’un million d’Italiens arrivèrent, ce chiffre dépassait le total de la demande nationale des autres nationalités de la même période. L’exode de paysans, d’artisans, d’ouvriers et de chômeurs italiens était croissant en 1902, date à laquelle le gouvernement italien imposa certaines mesures restrictives à l’émigration. Comme dans les autres pays du continent, cette émigration s’installa dans les grandes agglomérations urbaines et constitua le gros de la main-d’œuvre industrielle. Ainsi, dès 1909, 90% de la force de travail industrielle de Sao Paulo était étrangère.
Les bas salaires, le problème du logement, le manque d’assistance médicale et d’élémentaires garanties de l’emploi, les journées de 12 et de 16 heures de travail, le despotisme des contremaîtres et des patrons, la brutale répression de toute tentative de revendication contribuèrent à faire rapidement tomber le mythe de la terre promise. Les travailleurs étrangers unis aux travailleurs locaux cherchèrent intuitivement à se doter d’éléments d’organisation et de lutte. Les propagandistes anarchistes et socialistes —nombre d’entre eux étaient venus chercher un refuge aux persécutions qu’ils subissaient dans leurs pays respectifs— rencontrèrent rapidement une considérable audience. Dès la fin du XIXe siècle, les publications militantes se multiplient, et les premières sociétés ouvrières de résistance sont créés.
Les précurseurs de ce nouvel activisme remontaient à la moitié du XIXe siècle, ils se rencontraient autant dans les clubs que dans les associations mutualistes inspirées de Proudhon et Fourier, ainsi que dans les divers mouvements progressistes et spontanés pour les paysans et les esclaves (insurrections des « quilomberos », « canudos », etc.).
La communauté de La Cecilia, constituait, à la fin du siècle, un important groupe de diffusion du projet anarchiste. Fondée en 1890 par un groupe d’anarchistes italiens réunis par Giovanni Rossi, la colonie Cecilia comptait au bout de cinq années d’existence une population totale de 300 personnes, qui venaient des secteurs les plus divers de la société italienne : paysans, ouvriers, artisans, employés et instituteurs ; certains d’entre eux étaient analphabètes ; d’autres, en revanche, avaient suivi des études supérieures. Bien que peu d’entre eux aient une expérience du travail agricole, au bout de peu de temps ils obtinrent un terrain inhospitalier de la commune de Palmeira (Parana) dont ils eurent les premiers fruits, montèrent quelques industries (cordonnerie et confection) et acquièrent quelque bétail. Pour obtenir cela, il ne fut pas nécessaire d’instaurer le moindre système coercitif : sans chefs, sans règlement ni lois, les colons de La Cecilia organisèrent leur petite société.
Selon les premiers organisateurs de La Cecilia, cette communauté ne rechercha pas à se constituer en foyer rayonnement révolutionnaire couvrant toute la région. Dès le début, La Cecilia fut conçue comme une expérience d’organisation sociale, sur les résultats de cette expérience, Giovanni Rossi laissa des pages intéressantes. Cette organisation sociale ne fut évidemment, pas exempte de conflits. Diverses difficulté, d’ordres matériels, sexuelles et effectives, en particulier, motivèrent l’abandon de nombre de ses membres. Cependant, le développement de l’égalité et de la solidarité des intérêts entre les membres ont fait dire à Rossi que, bien que la vie morale de la communauté ne fut pas une idylle sentimentale, on pouvait considérer qu’elle lut
(Giovanni Rossi, cité par Edgar Rodrigues [1]).un peu supérieure à la vie normale du monde bourgeois
L’expérience de La Cecilia permit de poser certains problèmes rarement abordés par les anarchistes et les socialistes. Avec presque un siècle d’avarice sur les mouvements modernes des femmes du XXe siècle, Rossi posa en ces termes La spécificité de la lutte féministe contre l’oppression patriarcale : On affirme que la révolution émancipera économiquement la femme. Il est opportun de se questionner : la femme économiquement émancipée pourra-t-elle s’émanciper des préjugés moraux de la tyrannie de l’homme ? (...) Le doute s’impose, parmi de nombreux anarchistes qui se présentent comme les plus fervents défenseurs de la liberté, mais qui en matière d’amour sont comme les musulmans ou quelque chose de semblable, au point de tenir leurs femmes éloignées du mouve-ment social (...). Il est naturel qu’il en soit ainsi, puisque le sexe correspond à une classe sociale. Ainsi, comme chaque classe lutte toujours pour ses intérêts et jamais pour émanciper une classe qu’il soumet, ainsi les hommes qui se satisfont de la propriété exclusive de leur femme jamais ne proposeront ni ne consentiront ce qui la mettrait en péril (...). Ou [les idées des hommes changeront], ou les femmes —qui ne pourront plus être des animaux gracieux et bénins— devront commencer à se préparer pour elles-mêmes à l’ultime bataille pour intégrer toute l’humanité en une libre association
[2].
Délogés par la police, quelques-uns des derniers membres de La Cecilia s’installeront dans les grandes concentrations urbaines du pays et participeront activement à la fondation des premières associations ouvrières et constitueront un Groupe d’étude sociale.
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