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Lucía Sánchez Saornil, 1895-1970. De la militance anarchiste au féminisme, de l’exil à la clandestinité

mardi 13 décembre 2022

D’après Guillaume Goutte, Lucia Sanchez Saornil. Poétesse, anarchiste et féministe, Paris, Éditions du Monde libertaire, 2011, pp. 3-35

Lucía Sánchez Saornil naît à Madrid le 13 décembre 1895. Son père, Eugenio, est téléphoniste et sa mère, Gabriela, n’a pas d’activité rémunérée. Comme si la pauvreté n’était pas déjà assez accablante, Lucia perd jeune sa mère et son frère, et se retrouve seule avec son père et une petite sœur qu’elle a en charge d’éduquer.

À 21 ans, en 1916, elle entre à la Téléfonica comme téléphoniste. Ce métier ne la passionne guère et, en dehors de ses heures de travail, elle suit un cursus d’études artistiques à l’Académie des Beaux-Arts de San Fernando. Avec la peinture elle s’adonne aussi à la poésie. Elle aborde régulièrement un thème alors presque jamais exploré par les poètes espagnols : l’homosexualité. Elle-même lesbienne, Lucía écrit un certain nombre de poèmes érotiques dans lesquels elle fait l’apologie de l’amour lesbien.

C’est dans les années 1920 que Lucía entre dans la militance anarchiste et anarcho-syndicaliste. Son activisme au sein de la Confédération nationale du travail (CNT) est alors tel que la direction de la Téléfonica décide, en 1927, de la muter à Valence. Mais deux ans après elle revient dans sa ville natale et, lorsqu’une grève nationale éclate en juillet 1931, la direction la licencie d’emblée.

Dans le mouvement anarchiste et anarcho-syndicaliste espagnol, les femmes sont bel et bien présentes, certaines y ont des responsabilités. Pour autant, les militantes ne sont pas toujours reconnues à leur juste valeur et le mouvement n’échappe pas à certains préjugés sur les femmes. Face au machisme ambiant, Lucía se fait l’avocate des femmes, notamment dans les journaux anarchistes pour lesquels elle rédige de nombreux articles. Le point culminant de cette campagne est en 1935 lorsqu’elle publie, dans le journal Solidaridad Obrera, une série de cinq articles regroupés sous le titre de La question des femmes dans nos milieux.

Le 20 mai 1936, en compagnie de Mercedes Comaposada et d’Amparo Poch y Gascón, elle fonde la revue Mujeres Libres (« femmes libres »), qui deviendra ensuite une organisation. Ses objectifs sont clairement définis et exposés : « permettre à la femme de s’émanciper du triple esclavage [condition d’ignorance, de femme et de travailleuse] », mettre sur pied « une force féminine consciente et responsable, agissant comme avant-garde de la révolution » et « arriver à ce que les camarades, hommes et femmes […] parviennent à vivre ensemble et à collaborer sans s’exclure ».

Fondamentalement anarchiste, Mujeres libres aspire à être reconnue comme le quatrième pilier du mouvement libertaire espagnol, à côté de la CNT, de la Fédération anarchiste ibérique (FAI) et de la Fédération ibériques des jeunesses libertaires (FIJL). Mais, une partie du mouvement s’opposant à l’organisation des femmes en structure spécifiquement féminine, la non-mixité étant considérée comme contraire aux idéaux anarchistes, le groupe n’obtiendra jamais de reconnaissance formelle. Pourtant, elle constitue la seule organisation féminine de l’époque totalement indépendante et rassemble, en 1938, plus de 20 000 cotisantes en 170 groupes.

En 1939 Lucia, en tant que secrétaire générale de Solidarité internationale antifasciste (SIA), lance un appel à la France pour accueillir les réfugiés espagnols. Franco victorieux, elle s’exile à son tour dans l’hexagone où elle reste jusqu’en 1942, date à laquelle elle regagne secrètement l’Espagne pour échapper aux déportations nazies. Recherchée par les franquistes en raison de la loi sur les responsabilités politiques de 1939, elle est contrainte de vivre cachée à Valence jusqu’en 1954.

Le 2 juin 1970, elle décède d’un cancer.

Groupe de lectures du CIRA, décembre 2021