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En souvenir de l’anarchiste polonaise Aniela Wolberg

dimanche 15 octobre 2023, par Groupe DURRUTI - A.F.P. (CGT-SR) (CC by-nc-sa)

Article paru dans Le Combat Syndicaliste n°236 daté du 26 novembre 1937.

Le mouvement anarchiste en Pologne a subi en ces jours une grande perte. Il a perdu une des camarades d’avant-garde. La camarade Aniela Wolberg n’est plus.

Le nom d’Aniela fut, pour tous, synonyme de riche et charmante individualité, de camarade sincère et dévouée.

Elle nacquit le 14 octobre 1907 de parents aisés ; dès sa première jeunesse, elle démontra une grande passion pour la vérité, la justice et une compassion pour la douleur humaine. Ces traits de son caractère s’exprimaient déjà à l’école, où elle travaillait dans les groupes d’entr’aide de jeunesses scolaires, en tâchant d’aider ses camarades matériellement et dans les études.

Ayant passé son baccalauréat, elle entra à l’Université de Cracovie, en 1924-1925, c’est-à-dire au moment où le mouvement révolutionnaire en Pologne était tout jeune et que les forces réactionnaires n’avaient pas encore le courage de se montrer ouvertement et d’être agressives.

Des étudiants bulgares, ayant des convictions formées, possédant une certaine tradition du mouvement et une aptitude à la lutte révolutionnaire dans leur propre pays, déployaient une forte propagande parmi les étudiants de l’Université de Cracovie.

Un des plus actifs camarades de ce groupe était Taczo Petroff, qui périt ensuite dans la prison bulgare. C’est au contact de ce groupe que la camarade Aniela trouva le chemin du mouvement anarchiste.

Quoique d’origine bourgeoise, elle comprit très tôt que le mouvement anarchiste en Pologne resterait fictif s’il ne s’appuyait pas sur la classe ouvrière. Ayant compris cela, Aniela fonda, avec quelques autres camarades, un mensuel sous le titre « Prolétarien », qui paraissait illégalement. Ce fut un de nos premiers périodiques édités illégalement en Pologne après la guerre. Son influence fut très limitée, parce que le mouvement anarchiste était illégal en Pologne depuis le premier moment de son existence et tous les groupes du pays n’étaient pas encore liés.

Sa vie fut brève.

En 1926, la camarade Aniela quitte l’Université de Cracovie pour se rendre à Paris, où elle va continuer ses études. Mais, au lieu de penser à la science, elle se sacrifie à la besogne révolutionnaire et devient l’âme du périodique propagandiste paraissant à Paris en langue polonaise, sous le titre Walka.

C’est là qu’elle montra toute sa générosité. Elle sacrifie à ce mensuel tout son temps et tout son argent. N’ayant que vingt ans, elle démontre un esprit critique et un sens réel très développés ; par dessus tout, c’est un cœur brulant de passion pour la révolution et la cause prolétarienne.

Son activité dans le mouvement avait pour origine des profondes et sincères convictions politiques.

Son but était de former en Pologne un mouvement qui ne serait pas enfermé dans des petits groupes, mais qui existerait comme mouvement populaire, fort et capable de réaliser ses aspirations.

La personnalité de la camarade Aniela, sa sagesse et sa bonté, lui valurent l’amitié et l’attachement de tous ceux qui se sont approchés d’elle. Partout où elle apparaissait, elle gagnait aussitôt l’amour et l’estime de son entourage.

Pendant son séjour à Paris, Aniela entretint une correspondance continue avec, les camarades polonais émigrés en Amérique du Nord, Amérique du Sud, Canada et Mexique. Elle les informa sur tout ce qui se passait dans le pays ; elle fait rayonner dans sa correspondance sa propre passion, pour gagner à la coopération ses camarades éloignés.

Hélas ! après un certain temps, le périodique Walka cessa de paraître. Ce mensuel était destiné, avant tout, à la propagande en Pologne. Les difficultés de le faire entrer en ce pays devenant de plus en plus grandes, ce mensuel perdit des lecteurs polonais, et, ainsi, sa raison d’être.

Pendant ce temps, la camarade Aniela passa de Paris, à la Faculté des Sciences à Montpellier. Là, elle entra en contact avec les groupes français et espagnols, en continuant toujours sa coopération avec le groupe polonais de Paris et le mouvement en Pologne.

A Montpellier, elle devient bachelière ès-Sciences et obtint ensuite une place d’ingénieur-chimiste dans une usine, d’automobiles près de Paris.

Elle recommença alors une proche coopération avec le groupe polonais à Paris et reconstitua, avec lui, l’activité dans le domaine de propagande par la presse.

Mais la police française avait déjà accumulé un gros dossier sur l’activité de notre camarade. Elle la força à quitter la France dans le délai d’une semaine.

Elle revint en Pologne en 1932. C’était, pendant la période de grands efforts de notre mouvement. L’activité du mouvement révolutionnaire en général s’était accrue.

La Fédération Polonaise fait paraître le mensuel illégal Walka Klas qui est diffusé dans toute la Pologne. De nouveaux groupes se créent et, dans les syndicats, commence à se former l’opposition anarcho-syndicaliste.

Quoique déshabituée du travail illégal, qui très souvent oblige à rompre avec tout l’entourage, notre camarade Aniela retrouva bien vite le chemin de l’activité révolutionnaire en Pologne.

Elle devint un des rédacteurs en chef du mensuel Walka Klas et, même, à un certain moment, presque tout le travail du Secrétariat de la Fédération reposa sur elle.

En 1934, elle fut arrêtée par hasard ; mais n’ayant point, de preuves de son activité, la police polonaise fut obligée de lui rendre la liberté.

A ce moment, la réaction s’accrut dans le monde entier, ainsi qu’en Pologne, et la propagande révolutionnaire devint de plus en plus difficile et, même, à certains moments, presque impossible.

La situation est grave. Une terrible dépression morale s’empare des masses ouvrières. Il ne reste plus dans les rangs des militants que l’avant-garde du mouvement. C’est parmi eux que se trouve notre camarade Aniela. Son sens du réel lui, permet de voir exactement ce qui se passe ; sa fidélité et sa foi dans l’idéologie de notre mouvement l’obligent à chercher l’origine de cet état de choses et les causes qui empêchent notre mouvement, malgré de grands efforts, de conquérir les masses ouvrières. Si nous n’arrivons pas — répétait-elle toujours — à appuyer notre mouvement sur la base des syndicats ouvriers, le mouvement anarcho-syndicaliste en Pologne ne deviendra jamais une force constructive.

C’est à ce moment que la camarade Aniela se consacra à la science. Elle travaille avec tout son zèle, comme elle se donnait toute entière à tout ce qu’elle faisait dans sa vie.

Bientôt, elle est nommée première assistante du Professeur de bactériologie à l’Université de Varsovie.

Son attitude envers les étudiants et son don de voir partout l’homme et de l’aider toujours, lui valurent, parmi les jeunes gens, grande estime et admiration. Elle sut aussi faire estimer ses convictions politiques en les présentant d’une manière sincère et logique.

En 1936, des camarades espagnols responsables lui proposèrent d’aller en Espagne, où son savoir en chimie pourrait être utile. Mais à ce moment-là, pour des raisons de famille, elle ne put quitter la Pologne. Elle exprima souvent son regret de n’avoir pu accéder à la demande des camarades d’Espagne.

La révolution en Espagne créa aussi en Pologne, de nouveaux espoirs. En même temps, arrive la nouvelle que la C.N.T.-F.A.I. est en tête de la lutte contre la réaction. L’anarchisme, la C.N.T.-F.A.I. deviennent subitement populaires. Le 19 juillet 1936 crée à nouveau des possibilités de développement pour notre mouvement. Puis, arriva le moment si longtemps attendu par nos camarades, où notre mouvement pourrait prendre racine dans les masses.

Longtemps a duré la préparation. Malgré des difficultés toujours aussi grandes, de nouvelles perspectives s’ouvrirent pour notre mouvement.

Parmi les camarades les plus actifs était de nouveau Aniela devenue l’âme de tout le travail.

C’est à ce moment que la mort subite et cruelle nous l’a prise. Le 9 octobre 1937, elle conférait encore avec les camarades et, le 11 octobre, elle mourut à la suite d’une opération manquée.

Cette nouvelle nous a frappé comme la foudre.

Les paroles prononcées sur la tombe fraîche par un de nos camarades vous diront le mieux ce que nous avons perdu :

Dans ce cercueil sont enfermés les meilleurs espoirs de notre mouvement.

Cette phrase exprime toute la douleur ressentie par nos camarades pour cette grande perte. Avec l’attachement à notre mouvement, subsistera toujours notre fidélité au souvenir de notre chère camarade Aniela.

Groupe DURRUTI - A.F.P.

 

Personnellement, je connaissais peu Aniela Wolberg. Je ne l’ai rencontrée que deux fois, peu de temps avant sa mort.
Mais ce fut suffisant pour que je puisse me rendre compte de sa valeur exceptionnelle, des qualités de son cœur et de son esprit, de la solidité de ses convictions et de son ardent amour pour ceux qui souffrent.
Elle avait l’ambition légitime de créer en Pologne, un véritable mouvement social appuyé sur des piliers solides : les syndicats.
Je comprends et partage la douleur de nos camarades polonais.
L’A.I.T. participe au deuil qui les frappe. Elle conservera le souvenir impérissable d’Aniela Wolberg disparue en pleine force, au moment où elle allait donner toute sa mesure.

Pierre Besnard,
Secrétaire Général de l’A.I.T.

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