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Cahier d’un milicien dans les rangs de la CNT-FAI [06]

mardi 28 mars 2023, par Albert Minnig (CC by-nc-sa)

Le Réveil anarchiste N°985 – 6 novembre 1937

La nuit vient, mais nous sommes peu rassurés, car des bruits de camions nous laissent supposer que les fascistes reçoivent du renfort. La nuit passe lentement en travaillant à de petites fortifications, tout en répondant aux fascistes qui tirent avec des balles lumineuses. Les camarades qui établit partis à la recherche du capitaine reviennent sans l’avoir trouvé.

La deuxième mitrailleuse qui a tiré à peine une caissette est endommagée et il faut la porter en arrière pour la réparer. Le jour revient sans apporter de ravitaillement, mais nous voulons encore espérer que des ordres d’attaque viendront.

A 8 heures, les canons commencent, les obus passent à quelques mètres sur nos têtes et éclatent dans un fracas de tonnerre. Une pièce tire un peu court et les projectiles tombent à quelques mètres de nous, au risque de tous nous anéantir. Nous n’avons pas de téléphone pour demander du renfort et nous sommes comme prisonniers. Les fascistes ont occupé pendant la nuit une petite baraque que nous n’avions pas aperçue à notre gauche. Depuis cette nouvelle position, ils tirent sans relâche des balles explosives, qui ont vite fait de détruire les quelques sacs de terre qui nous protègent.

Heureusement l’artillerie s’aperçoit de son erreur, corrige son tir et bat le sommet de la colline. Je change de direction de tir, essayant de faire taire ce fusil-mitrailleur qui nous prend de flanc et empêche l’assaut des parapets. Plusieurs Italiens sont décidés de monter, car nous en avons assez d’une position aussi équivoque. Tous les moyens sont essayés pour déloger les fascistes de la baraque, mais en vain. Un vieil Italien aux cheveux blancs veut essayer de passer en arrière pour porter des ordres, mais il a fait à peine vingt mètres qu’il est blessé gravement et hurle de douleur, suppliant de venir le sauver. Ces cris sont entendus aussi par les fascistes qui s’acharnent à tirer dans sa direction, empêchant toute tentative d’aller le chercher. Ces cris et appels qui dureront jusqu’à la nuit démoralisent même les meilleurs.

La révolte contre le capitaine gronde et nous décidons d’envoyer trois délégués à sa recherche. Enfin il est retrouvé au Castillo Malatesta, à deux kilomètres de la ligne de feu. Les délégués reviennent en disant qu’il reviendra avant une heure. Ma mitrailleuse refuse tout service, une pièce essentielle étant cassée.

Un Espagnol s’approche de moi, disant être envoyé par le capitaine et qu’il faut se replier. Immédiatement nous organisons une retraite en ordre, emportant tout notre matériel. Nous nous réfugions dans la Casa Blanca, après avoir vu les camarades blessés qui vont être acheminés en arrière.

Le résultat de cette attaque se résume à plus de dix morts et trente blessés. Le capitaine arrive en agitant les bras en l’air, étonné de nous trouver à la maison et il veut savoir qui a donné l’ordre de retraite. Je m’explique et il veut me traiter de menteur, tout en menaçant de me fusiller. Je proteste en lui lançant au visage ce que beaucoup de camarades pensent et beaucoup ont déjà chargé leurs fusils pour le fusiller, car il est responsable de la mort des camarades. Les Italiens en ont assez et partent rejoindre leur bataillon, après avoir menacé le capitaine. Les hommes se calment, mais ne veulent plus entendre un ordre de cet homme.

Nous décidons de nous organiser nous-mêmes et de nous fortifier dans cette position. Dans l’après-midi, l’artillerie fasciste gronde, les obus sifflent et explosent autour de la maison que nous abandonnons en vitesse pour aller prendre position dans la tranchée de la ligne du chemin de fer. Le tir des canons est très précis, la maison est toute ébranlée, plusieurs obus la traversent et les éclats poursuivent leur route en des sifflements horribles, brisant tout sur leur passage. Des oliviers et amandiers sont pulvérisés, les étages supérieurs de la maison s’écroulent dans un fracas épouvantable.

Vers 5 heures, enfin, cet enfer est terminé. Plus de deux mille obus ont été lancés, toutefois sans faire de blessés. Pendant plusieurs nuits de suite, nous allons en avant de la maison creuser des tranchées et construire des parapets que nous occupons avec la certitude que les fascistes ne nous en délogeront pas. Nous travaillerons pendant quinze jours à nous fortifier et à creuser des tranchées de liaison. Chaque jour des camarades tombent sous les balles des fascistes qui nous dominent à environ cent mètres, mais nous redoublons de courage avec la pensée de bientôt les venger.

Enrico Zambonini

Notre mitrailleuse qui a été réparée ne nous donne pas entière satisfaction, s’enrayant souvent. Un spécialiste italien, Zambonini, vient et me demande de faire un essai pour voir ce qui ne marche pas. La meurtrière est dégagée et je promène mon tir sur les parapets fascistes, quand une balle ennemie explose sur le canon de la mitrailleuse, me blessant à une cuisse et à une main. Mais je ne suis pas seul et la balle fait encore deux autres blessés. Heureusement ce n’est pas grave et les bons soins dont un médecin nous entoure nous font vite oublier ce moment d’émotion.

Un petit Marseillais de 17 ans a la poitrine percée d’une balle, mais quelques jours après nous recevons des nouvelles qu’il aura la vie sauve. Cette joie éprouvée sera de courte durée, car Chevalier est aussi victime. Une balle dum-dum lui traverse le bras droit, lui arrachant le biceps, mais il supporte avec courage l’immense douleur et par ses propres moyens descend vers le docteur. Nous l’accompagnons pour l’encourager à attendre jusqu’à la nuit d’être évacué, et comme j’ai été blessé à la tête par un éclat, je lui dis que la prochaine fois je viendrai le rejoindre.

Trois jours plus tard, nous décidons d’attaquer par surprise. De gros nuages cachent la lune qui nous gênait les semaines précédentes et l’obscurité nous laisse prévoir un plein succès. A 3 h. 1/2, les dynamiteros disparaissent dans l’obscurité ; ils ont une heure pour s’approcher de la tranchée ennemie. Chacun est à sa place prêt à faire feu au premier signal. Tout à coup une fusée déchire le ciel d’une traînée rouge et la loma (colline) est illuminée par les bombes qui éclatent. Les mitrailleuses, fusils, revolvers crépitent dans les explosions formidables des bombes.

L’ordre de feu arrive, mais après trois bandes, la mitrailleuse s’enraye et les camarades tirent le mieux possible, mais sans pouvoir faire taire les fascistes. Une trentaine de camarades sautent dehors de la tranchée et réussissent à arriver à environ vingt mètres, mais il est impossible de grimper, les fascistes ayant des armes automatiques tous les cinquante mètres. Notre artillerie tire très bien, mais s’arrête n’ayant plus de munitions. Les bombardiers reviennent, n’ayant plus de bombes et avouent que nous ne sommes pas assez pour résister aux fascistes qui ont été bien renforcés. Nous cessons le feu pour permettre aux camarades de reculer jusqu’à la tranchée où ils arrivent les uns après les autres en apportant un blessé.

Le jour revient et nous sommes angoissés, car un Italien et un Espagnol manquent. Nous fouillons le terrain des yeux, essayant de voir leurs cadavres, mais la stupéfaction est grande en les découvrant à peine à quinze mètres d’un parapet fasciste. Ils sont dissimulés derrière un petit talus bien en sécurité et font de légers signes. Ils passeront toute la journée dans cette position sans avoir été aperçus par les fascistes. A la nuit, ils arrivent doucement jusqu’à nous et c’est avec une joie indescriptible que nous les recevons.

La récompense de cet effort désespéré ne se fait pas attendre et il y aura la relève à 10 heures de la nuit suivante. Nous faisons hâtivement nos préparatifs tout en causant de projets merveilleux. Enfin nos remplaçants arrivent, nous leur remettons nos armes, en leur souhaitant d’avoir plus de chance que nous. Le lendemain, nous arrivons à Barcelone où l’on passera quinze jours de fête. Les nouvelles du front de Madrid ne sont pas aussi bonnes que celles d’Aragon et la colonne Durutti a dû partir pour venir en aide aux malheureux Madrilènes, qui ne peuvent contenir l’avance toujours plus rapide des troupes de Franco. Le 20 novembre, alors que le succès des troupes de Durutti nous réjouit, une mauvaise nouvelle vient nous attrister. Durutti a été assassiné, et trois jours après c’est une foule de plus d’un million qui viendra saluer sa dépouille, en promettant de le venger et de continuer à suivre son droit chemin. (A suivre.)

Enterrement de Buenaventura Durruti Barcelone le 23 novembre 1936

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Voir en ligne : Pour le bien de la révolution, Minning Albert et Gmür Edi . Les éditions Atelier de création libertaire